Gentleman cambrioleur. Il flotte comme un vent de Modiano sur cette enquête, ce jeu subtil entre l'ombre et la lumière, ces facéties du hasard qui vous mettent sur la trace de quelqu'un que vous ne recherchiez pas. En l'occurrence Georges Ostrowski. Patrice Lajoye, docteur en histoire des religions comparées, tombe sur lui en travaillant sur la science-fiction russophone − d'habitude, il planche sur l'élaboration d'un corpus de textes en patois normand, c'est son métier au CNRS. En fouinant chez un proche de Maxime Gorki, il découvre un article qui relate l'évasion de la prison de Caen, en 1901, d'un nommé Ostrowski. L'affaire fit grand bruit car l'homme était sorti par la grande porte, habillé en civil, affublé d'une fausse barbe et d'une perruque. Ce voyou élégant multipliait les identités. « Ostrowski bougeait sans cesse, passait d'un hôtel de luxe à un autre, ses seuls moments de pause, non volontaires, étant ses séjours en prison. » Il avait tout pour plaire à Patrice Lajoye qui étudie avec sa femme la manière dont Sherlock Holmes a pénétré la culture populaire russe. Car celui qui se faisait appeler aussi « comte Ostrowski » rappelle un autre personnage de la culture populaire, française celle-là : Arsène Lupin.
Certains spécialistes considèrent que Maurice Leblanc (1864-1941) s'est inspiré du cambrioleur anarchiste Marius Jacob (1879-1954), mais l'écrivain a nié cette source en indiquant avoir puisé dans « l'air du temps ». Or, comme le souligne Patrice Lajoye, à partir de 1903, deux ans, donc, avant l'apparition d'Arsène Lupin, les rats d'hôtels sont devenus des personnages littéraires. Thomas Mann collationnait les papiers sur Ostrowski car le truand sévissait aussi en Allemagne et dans d'autres pays d'Europe. Quant à Maurice Leblanc, il lisait la presse normande relatant les exploits de cet aventurier juif originaire d'Ukraine qui multipliait les maîtresses et les exploits sur la Riviera. « Il porte alors la fameuse tenue sombre qui a fait la célébrité des rats d'hôtels : un maillot ou une chemise de soie noire et des collants noirs. Il est le premier cas attesté, et pourrait bien être l'inventeur de cette tenue. »
Ce livre très documenté, même si l'on ne connaît pas les dates de naissance et de mort d'Ostrowski, offre toutes les pièces du dossier, y compris les coupures de presse. Il pose aussi en filigrane la question récurrente de l'inspiration des écrivains, des auteurs de BD et des scénaristes. D'où vient un personnage ? En lisant cet essai, on comprend la difficulté à être catégorique. Néanmoins, un faisceau de probabilités converge vers cet inconnu aux multiples pseudonymes. En fait, il s'agit moins d'inspiration que de respiration. Leblanc, comme d'autres, a bien humé « l'air du temps », celui de cette Belle Époque qui ne laissait pas présager le chaos des armes. D'ailleurs, le personnage de Lupin évoluera principalement entre 1905 et la Grande Guerre. Quoi qu'il en soit, la traque de Patrice Lajoye révèle un pan méconnu de l'histoire criminelle avec ses « rats d'hôtel ». L'expression se popularise en 1907. Ostrowski et Lupin sont alors en pleine activité.
Aux origines d’Arsène Lupin. Ostrowski, rat d’hôtel à la Belle Époque
CNRS Editions
Tirage: 1 500 ex.
Prix: 24 € ; 192 p.
ISBN: 9782271130587