Avant-Critique Récit

Qomolangma, 8 882 m. Dans les pays himalayens (Népal, Inde, Tibet), dont la Chine, à l'origine, ne faisait pas partie, le mont Everest se nomme Qomolangma. C'est une déesse, comme Annapurna. À partir des années 1950, pour des raisons de propagande, Mao, à peine installé au pouvoir, s'était mis en tête que des alpinistes chinois seraient en mesure de conquérir ce sommet, le plus haut du monde, à partir du versant tibétain. Le « Pays des neiges » subissant, dès 1950, une première invasion massive qui conduira à l'écrasement de 1959, à la fuite du dalaï-lama en exil vers l'Inde (où il réside toujours), puis à l'annexion et au génocide culturel désormais accomplis et irréversibles.

Or, il n'y avait pas d'alpinistes chinois ! Le dictateur communiste s'est donc tourné vers le « pays frère » (de l'époque), c'est-à-dire l'URSS de Staline, qui s'était servi de l'alpinisme pour légitimer son règne, et de Khrouchtchev qui, lui, s'en fichait. Et c'est en écrivant son récit sur les Alpinistes de Staline (Stock, 2020, prix Albert-Londres du livre), que Cédric Gras est tombé sur ces pionniers chinois, quasiment inconnus en Occident, mal documentés dans leur propre pays, et retombés dans l'oubli après une courte période de gloire. C'étaient des étudiants, des paysans, des ouvriers, sans expérience aucune, recrutés de force et formés à la hâte par leurs homologues russes. Puis lancés à l'assaut des montagnes, d'abord en collaboration, ensuite seuls. Ils s'appelaient Xu Jing, Liu Lianman, Shi Zhanchun, Wang Fuzhou, Qu Yinhua, sans oublier le sherpa Gonpo, un Tibétain collabo des Chinois, qui a fait une petite carrière au sein du Parti. En 2008, c'est lui qui, à Lhassa, a brièvement porté la flamme olympique, tandis que ses frères et de jeunes moines s'immolaient pour attirer l'attention du monde libre sur le sort de leur pays martyr. En vain.

Cédric Gras, qui connaît bien la zone, s'est passionné pour cette histoire et s'est donné du mal, d'après ce qu'il raconte, pour la reconstituer, comme si on y était. Aucun détail sur les différentes tentatives ne lui échappe, jusqu'à l'apothéose un peu ridicule du 25 mai 1960 : Wang, Qu et Gonpo atteignent le sommet, à 8 882 mètres d'altitude, où ils plantent un drapeau chinois et déposent un buste de Mao en plâtre... Qui ne seront jamais retrouvés. De là à accréditer la thèse de l'affabulation. Les trois hommes n'ont pris aucune photo, et nulle trace de leur passage n'a été relevée par leurs successeurs. Peu importe. À l'heure où, du côté népalais (ancienne monarchie hindoue déstabilisée et satellisée par la Chine), l'Everest est devenu un spot touristique, il était légitime de ressusciter ses pionniers, dans un récit enlevé et très personnel.

Cédric Gras
Alpinistes de Mao
Stock
Tirage: 8 000 ex.
Prix: 20,90 € ; 304 p.
ISBN: 9782234092341

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