Le lait sacrificiel. « Ceci est un texte féminin cousu de culpabilité et de désir. Ceci est un texte féminin, et sa seule existence un tout petit miracle. Ceci est un texte féminin, écrit au vingt et unième siècle. Comme il vient tard. Combien les choses ont changé. Combien peu. » Aujourd'hui encore, la maternité reste la boussole de nombreuses femmes. Que leur vole-t-elle ? Ce magnifique récit - couronné aux Irish Book Awards en 2020 - pose la question de façon virtuose et interroge la féminité avec originalité. Il permet également de découvrir une nouvelle voix irlandaise. Doireann Ní Ghríofa a déjà publié six recueils de poésie, traduits dans plusieurs pays. Elle voulait devenir dentiste, mais a vite compris que ce n'était pas pour elle. Après avoir longuement parcouru « les paysages des poèmes », elle sème des graines littéraires en se penchant sur la maternité.
« En choisissant de mener une grossesse à son terme, une femme fait don de son corps avec une abnégation si ordinaire que celle-ci passe inaperçue, même à ses yeux. » Ceci vaut aussi pour les longs mois en tête à tête avec les bébés, le quotidien étant entièrement tourné vers ces petits êtres dépendants. Peu importe l'épuisement, une liste de devoirs domestiques, conjugaux et organisationnels se met en place. Des « travaux sans éclat avec leur contingent de fatigue, de peurs et d'anxiété » ponctués par un moment sacré : l'allaitement. « Le rituel de me donner à l'autre est trop exquis. J'étais désormais gouvernée par le lait, un océan montait et descendait. » En dépit de l'amour pour son mari et ses petits, l'existence de la narratrice rétrécit. Mais tout change quand elle craint de perdre son quatrième enfant. Pour traverser toutes ces émotions, belles ou difficiles, elle trouve une bouffée d'oxygène inattendue. « Je ne peux imaginer ma vie sans Eibhlín Dubh. » Datant du XVIIIe siècle, la célèbre complainte « Caoineadh Airt Uí Laoghaire » de cette poétesse irlandaise lui offre « un voyage dans le temps ». « Quand nous nous sommes connues, j'étais enfant et elle, morte depuis des siècles. » Pourquoi ces vers sur un amour tragique lui apportent-ils tant de réconfort ? « Ce texte est un texte qui souffre. Il a mal. » Loin de panser les plaies de Doireann Ní Ghríofa, il l'obsède. Aussi décide-t-elle d'enquêter sur l'existence de son autrice. « Il y a quelque chose de vertigineux à passer de longues périodes confrontée aux textes du passé. On peut s'imaginer imaginer le passé, mais c'est une illusion. » En va-t-il de même de la force des mères, érigées en héroïnes d'hier ou d'aujourd'hui ? Avec ce récit magistral, Doireann Ní Ghríofa révèle son écriture ardente, nourrie par la vie. Une façon d'explorer la transmission, filiale, biologique et littéraire. Et de rendre hommage à « ces existences de femmes tenues cachées, présentes, toujours, mais codées à l'encre invisible ». Comment lutter contre leur effacement ? Devient-on femme avec l'écoulement du sang et du lait ? Un livre hypnotique qui nous offre « un peu de noir dans la lumière et un peu de lumière dans le noir ».
Un fantôme dans la gorge
Globe
Tirage: 3 000 ex.
Prix: 23 € ; 368 p.
ISBN: 9782383612308