On connaît le Chaillou romancier dans l'histoire, celui de Domestique chez Montaigne (Gallimard, 1982, repris dans "L'imaginaire" en 2010), ou du Matamore ébouriffé (Fayard, 2002), l'amoureux de la langue et de la littérature latines, qui lit Tertullien ou Apulée dans le texte - et avoue ne point connaître le grec. Un fou des mots, du style et de la littérature, qui a construit une oeuvre considérable, récompensée, entre autres, par le grand prix de Littérature de l'Académie française en 2007. Au naturel, Michel Chaillou est un être un peu lunaire, discret, qui n'aime guère à se faire remarquer. Sa signature dans une collection intitulée "Politique" ne laisse donc pas de nous intriguer.
On pourrait dire, familièrement, que ce petit essai drôle et modeste, érudit et salutaire, est le fruit d'un "ras-le-bol". Notre écrivain, un jour, se voit, dans le train Paris-Le Croisic, moqué par deux péronnelles harnachées d'équipements d'androïdes, sous prétexte qu'il était en train de lire un livre en papier. De poche, de surcroît, et passablement usé pour avoir été lu et relu. Chaillou n'est point de ces ingrats qui oublient les auteurs aimés jadis : sans cesse il leur revient. Comme vers son cher Montaigne, mais aussi ces écrivains dits "mineurs" qui font ses délices et, grâce à son truchement, les nôtres : Fontenelle, Chapelle, Bachaumont, La Mothe Le Vayer, ancien précepteur de Louis XIV, ou le toujours fulminant Léon Bloy.
Aussi Chaillou a-t-il pris la plume, non seulement afin d'assumer avec malice son obsolescence : "Je vis à reculons", dit-il ; son amour des "objets inanimés" qui, on le sait depuis Vigny, ont "une âme", son plaisir de chineur, de fripier presque - le métier d'une de ses grands-mères - qui préférera toujours au costume trop neuf et trop raide, qui engonce et maltraite le corps, le bon vieux velours usé, façonné, un peu avachi où l'on se trouve à son aise. Au passage, il ne manque pas de se moquer de ce qu'il appelle joliment "le haillon extrême de la modernité", à propos des jeans artificiellement vieillis par pur effet de mode. Ou bien notre Pic de La Mirandole nous apprend que le mot rock"serait à l'origine le nom démodé d'un gilet de fourrure porté par les Francs". Les anciens, bien sûr.
Pour les vêtements comme pour la littérature, la mode n'est qu'une "affaire de style", "de style du style" même, où Chaillou distingue le factice de l'authentique, le noble "écrit" du trop souvent simplement "rédigé". Et le bon grain de l'ivraie. On en bénirait presque les deux béjaunes "branchées" du Paris-Le Croisic pour avoir inspiré à un écrivain ce petit livre roboratif où Chaillou "castigat ridendo mores ». La maxime, devise de la comédie, est due à Santeul, un poète du XVIIe siècle, et figure dans les pages roses du Larousse. Un dictionnaire de papier.
Ajoutons que La Différence republie simultanément un autre livre de Michel Chaillou, 1945, paru au Seuil en 2004, très beau récit d'une enfance et d'une adolescence pendant la guerre, à Nantes, là où le héros narrateur est né en 1930.