Lorsqu’elle avait 14 ans, petite fille choyée d’un couple d’écrivains de Berkeley, Miranda July entreprit une longue correspondance avec un homme de 38 ans, pensionnaire de la prison du Comté de Florence, Arizona. Et lorsqu’elle cessa les échanges, ceux-ci servirent de base à sa première pièce de théâtre. Vingt-cinq ans plus tard, les choses n’ont guère changé. Devenue l’enfant chérie de la branchitude angelena, cinéaste (Moi, toi et tous les autres, Caméra d’or à Cannes, 2005), actrice, musicienne, écrivaine (Un bref instant de romantisme, Flammarion, 2008), l’artiste a beau jouer de presque tous les instruments, elle a toujours besoin d’aller à la corne du taureau du réel pour animer ses performances, ses petites fictions piégées.
Ainsi de ce Il vous choisit, très curieux exercice d’« automicrofiction », qui n’est pas sans rappeler les premiers livres de Valérie Mréjen. Miranda July s’y peint comme une artiste qui, en mal d’inspiration, entreprend d’éplucher un hebdomadaire californien de petites annonces où quiconque peut proposer de vendre des objets, souvent du quotidien. L’auteure va répondre à treize d’entre elles et, accompagnée de la photographe Brigitte Sire, proposer à chacun d’en profiter pour lui raconter sa vie. Elle fera ainsi la connaissance d’un garagiste transsexuel, d’un ado éleveur de têtards, d’une vendeuse de bébés léopards du Bengale, d’un joueur compulsif qu’empêtre son bracelet électronique, de toute une humanité aussi étrangère que proche qui, à chaque rencontre, la renvoie à son statut de femme mariée, qui voudrait avoir un enfant et que la possibilité du bonheur angoisse. Le tout sur fond de tristes arrière-cours, de néons déglingués, de rêve américain échoué dans les allées de supermarchés miteux. C’est Le magicien d’Oz réécrit aux bons soins de Charles Bukowski et de Raymond Carver ! On aurait tort de ne voir là qu’un exercice de style pour performeuse postmoderne en excursion chez les « vrais gens ». Avec délicatesse, Miranda July fait l’expérience de cette mise en abyme bien connue : on ne choisit pas ses personnages, ce sont eux qui vous choisissent ; on n’écrit pas un livre, on est souvent « écrit » par lui.
Olivier Mony