Signoret l’a dit bien avant moi : la nostalgie n’est plus ce qu’elle était. Pour elle, et bien d’autres, il s’agissait d’une époque où les intellectuels de gauche tournaient la page de leur jeunesse perdue où, compagnons de route de l’URSS et autres partis communistes pour lendemains qui n’ont jamais chanté, ils se découvraient les cocus de l’Histoire. Vaguement honteux de leur romantisme passé. Aujourd’hui il pleut sur Santiago et j’ai le coeur serré. Le Chili de ma jeunesse est mort. Mort heureusement comme son dictateur, Pinochet, le général aux mains couvertes de sang et aux poches cousues d’or. Mort tristement aussi comme Allende, président élu au suffrage universel, qui a préféré se suicider face au soulèvement de l’armée de son pays, un certain 11-Septembre déjà (mais en 1973), plutôt que se résoudre à l’exil. Tout est donc bien qui finit bien avec aujourd’hui une Présidente de gauche, laïque, élue elle aussi au suffrage universel. Alors pourquoi cette démocratie heureusement retrouvée a-t-elle ce goût amer ? S’agit-il de la honte du romantisme passé d’une génération qui fit la révolution sur le dos des peuples du tiers-monde ? C’est mon troisième voyage au Chili. J’y suis déjà allé en 1976 avec couvre-feu angoissant, enlèvement d’“opposants” à tout va et tortures à la Villa Grimaldi. J ’y étais revenu en 1980 avec toujours le même général mais dans un autre temps où le fascisme des rues était passé dans les têtes. Qu’allais-je retrouver cette fois ? Dans le centre ville, une foire commerciale bruyante où chaque galerie commerciale hurle ses promotions à plein haut-parleurs pour supplanter la musique des groupes de rocks planants, les clochettes des moines d’Hare Krishna, les sourires des ravis qui offrent “abrazos gratis” (traduisez “free hugs”, c’est-à-dire des baisers gratuits) et l'ambiance crade des “cafe piernas” (traduisez cafés cuisses) où des hommes viennent siroter leur expresso en reluquant les cuisses largement découvertes des serveuses. Ajoutez le dimanche des gamines qui font une espèce de chemin de croix à base de fleurs et de sables de différentes couleurs devant la cathédrale pendant qu’un curé et une bonne soeur hissés sur des tréteaux crachent leur chapelet à plein haut-parleurs pour recouvrir les chants débiles des sectes protestantes arrivées dans les fourgons de la CIA. Qu’ont-ils chanté les Chiliens du Chili et de l’exil El pueblo unido jamas sera vincido (*) , et nous avec ! Et pourtant ils ont été (mais nous aussi sans doute) vaincus. Et ils sont aujourd’hui divisés. Moins entre la gauche et la droite qu’entre ceux qui sont restés sous la dictature et ceux qui se sont exilés. Chacun reprochant à l’autre son attitude. Ceux qui sont restés s’en prennent aux exilés, qu'ils aient fait souche à l'étranger ou qu'ils soient revenus avec la démocratie, de leur avoir donné des leçons. Et ceux qui ont fait le choix (volontaire ou pas) de l’exil reprochant a ceux qui sont restés de s’être accommodés plus ou moins de la dictature. Les riches sont aujourd’hui plus riches, les pauvres ne le sont pas moins et la classe moyenne, elle, a progressé dans ce laboratoire de l’ultralibéralisme dirigé par les “Chicago boys” qui ne juraient que par le marché, le Super marché. On en est revenu à Santiago quand à Paris certains en rêvent (gag : les leaders de la droite chilienne qui veulent revenir au pouvoir sans uniformes s’apprêtent à rendre visite à leur chouchou, le Président français…). Mais à quoi servent les expériences des autres ? Et j’espère bien que ma nostalgie n’empêchera pas mes enfants de rêver un monde plus juste. Alors oui, la démocratie a repris ses droits au Chili. Oui, on peut réciter à nouveau l’article 5 de la Déclaration universelle des droits de l’homme : “ Nul ne sera soumis à la torture, ni à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. ” Les étudiants se remettent à manifester au Chili comme en France. La presse est libre. Les artistes créent. Bien sûr la seule vraie loi qui régit la vie des Chiliens est celle de l’argent, du dollar, même si leur monnaie s’appelle le peso. Les jeunes se bourrent le jour à la bière et sniffent le soir dans des fêtes qui peuvent nous paraître tristes. Les filles se dénudent pour un café. C’est ainsi. Comme disait Winston Churchill: “ La démocratie est le plus mauvais système de gouvernement à l’exception de tous ceux qui ont pu être expérimentés dans l’Histoire .” Et Vive la Liberté !   (*) Le peuple uni ne sera jamais vaincu  
15.10 2013

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