Entretien

Christian Jacq : "Balzac avait sa Comédie humaine, moi j'ai ma Comédie égyptienne..."

"Le succès ? Il m'a traversé sans vraiment que je m'en rende compte" confie à Livres Hebdo Christian Jacq, le 2 février 2024 à Lausanne - Photo Eric Dupuy

Christian Jacq : "Balzac avait sa Comédie humaine, moi j'ai ma Comédie égyptienne..."

À 77 ans, combien de vies Christian Jacq a-t-il vécues ? L'égyptologue et romancier à très grand succès semble inarrêtable. Véritable machine à écrire, depuis qu'il se consacre entièrement à son art après une courte carrière d'éditeur et une d'universitaire, il nous raconte de quoi ses jours sont faits, et peut-être un peu, déjà, ce qu'on trouvera dans ses mémoires. En direct du haut non pas des pyramides, mais de Lausanne.

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Par Éric Dupuy
Créé le 22.03.2024 à 18h46 ,
Mis à jour le 25.03.2024 à 11h22

Livres Hebdo : Comme souvent dans ce milieu, c'est grâce à un libraire que vous en êtes là... 

Christian Jacq : Tout à fait. Au moment de mes 13-14 ans, je suis entré dans une librairie, à Neuilly-sur-Seine où j'habitais, et je ne sais pas comment le libraire a eu l'idée, mais il m'a aiguillé vers L'histoire de la civilisation de l'égypte ancienne de Jacques Pirenne. C'était cher et lourd, il y avait trois volumes, avec des photos et des textes, et je me suis dit « je vais essayer ». En parcourant les ouvrages, j'ai réalisé que c'était ça mon truc, que j'avais toujours vécu là, en Égypte ancienne. Et ce doit être freudien car j'ai entamé il y a quinze ans l'écriture d'une somme considérable, L'Égypte pharaonique (XO et EPA). Arrivé au bout du premier volume, ma femme m'a dit : « Tu as refait du Pirenne. »

Vous êtes marié à votre femme, Françoise, depuis vos 17 ans. Quelle part a-t-elle dans votre réussite professionnelle ? 

La plus grande : avant tout, c'est ma première critique. Ensuite, c'est elle qui a lancé l'idée de quitter Paris, à la fin des années 1980. Juste après la publication de La reine Soleil (Julliard, 1988), elle m'a dit : « Maintenant, tu ne fais qu'écrire. » L'ouvrage est devenu un livre vedette chez France Loisirs, avec 500 000 exemplaires écoulés. Je n'avais pas beaucoup de droits d'auteur sur celui-là, mais c'était la confirmation qu'un public me suivait. Pour autant, ce n'était pas évident comme bascule car, à ce moment-là, on me proposait une belle carrière dans l'édition...

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"En tant qu'éditeur, j'étais très sévère sur le style", explique Christian Jacq à Livres Hebdo, le 2 février 2024 à Lausanne- Photo ERIC DUPUY

C'est-à-dire ? 

C'est une période durant laquelle je faisais beaucoup de choses. Il y avait l'égyptologie avec des cours à la Sorbonne, une émission de radio à laquelle je participais régulièrement, Les chemins de la connaissance, avec Claude Mettra. Et puis j'ai été pendant quatre-cinq ans directeur littéraire aux Presses de la Cité... Et on m'a proposé de diriger les éditions Pocket, ce que j'ai donc refusé pour me lancer entièrement dans l'écriture.

Quel éditeur étiez-vous ? 

J'étais très sévère sur le style. C'est-à-dire que j'ai fait réécrire des bouquins comme on m'en a fait réécrire aussi d'ailleurs, au début, pour mon bien... J'étais un éditeur à la recherche d'un ton, d'un monde. Pour moi, un écrivain, il doit avoir un monde à lui, et ne pas copier. En revanche, je suis toujours très respectueux de quelqu'un qui écrit car je connais le métier...

Vous avez monté J éditions en 2011. Pour quelles raisons ? 

En fait, mon petit plaisir, c'est l'écriture des enquêtes de l'inspecteur Higgins. Un jour, je révèlerai ce qu'il est vraiment, car il n'est pas tout à fait imaginaire... Je viens de rendre la 53e enquête à mon éditeur mais j'en ai encore beaucoup en stock : je peux déjà assurer que les publications me survivront. Comme je souhaitais avoir l'entière maîtrise de ce projet éditorial, j'ai décidé avec ma femme et ma fille Ghislaine de créer cette maison d'édition familiale pour éditer ces enquêtes, en trouvant un diffuseur. Finalement, il s'est avéré qu'une petite maison génère autant de problèmes de gestion qu'une grande. On s'est donc approché une fois de plus de Bernard Fixot, qui a accepté de coéditer cette collection. En revanche, je ne veux pas qu'un autre écrivain reprenne le flambeau des enquêtes d'Higgins, dont la dernière est déjà écrite.

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Le premier succès romanesque de Christian Jacq, réédité à neuf reprises depuis sa première publication aux éditions du Rochet, en 1987.- Photo ERIC DUPUY

150 titres publiés en 36 ans... 30 millions d'exemplaires écoulés à travers le monde... Que vous inspirent ces chiffres pharaoniques ?

C'est un peu vertigineux, je vous le concède, d'autant plus que j'ai depuis quelques années un petit calepin, comme Mozart le faisait lui aussi, où je tiens à jour toutes mes publications. En ajoutant les articles et les nouvelles, il y a près de 300 titres ! Alors évidemment, même si je ne regarde pas vraiment en arrière, quand je vois ma bibliothèque avec tous mes bouquins, je me dis « Tu as pas mal travaillé déjà... » (Rires.) Mais cela s'est fait naturellement, même si j'ai un plan d'œuvres depuis longtemps : celui de raconter la civilisation égyptienne depuis sa formation jusqu'à la fin, c'est-à-dire Cléopâtre. Aujourd'hui, je n'en suis pas loin, avec quelques trous néanmoins, mais j'ai presque traité la totalité des thèmes, des règnes ou des moments que je souhaitais aborder. Balzac avait sa Comédie humaine, moi j'ai ma Comédie égyptienne, comme je l'appelle...

Et le succès qui accompagne votre œuvre depuis 36 ans ? 

Alors ça, c'est autre chose. Il m'a traversé sans vraiment que je m'en rende compte. Je ne m'en suis pas aperçu...

On ne vous voit pas souvent en séance de dédicaces en librairie... Les fuyez-vous ? 

Je l'ai beaucoup fait avec Champollion l'Égyptien (Le Rocher, 1987). J'ai fait le tour de toutes les librairies françaises, où j'ai rencontré des tas de gens formidables. Mais ensuite, j'ai plutôt réalisé des conférences, qui ont toutes rencontré le succès auprès du public. Je me souviens notamment de celle à l'Institut du monde arabe à l'invitation de Jack Lang, ou encore l'an dernier à Lyon, au festival Quais du polar. Là, j'ai failli avoir un malaise. Déjà, il n'y avait pas assez de livres à vendre mais, surtout, le public était ému aux larmes. Je pense à cette femme qui m'est tombée dans les bras - heureusement ma femme était là, cela n'a pas posé de problèmes (rires) - en me disant que jamais elle ne pensait me voir de sa vie... Alors c'est vrai, je ne suis pas allé autant à la rencontre du public que je l'aurais souhaité, mais c'est parce que je travaille beaucoup et que ces rencontres me fatiguent, car je rattrape mon temps d'écriture la nuit dans ce genre de cas...

Vous êtes un homme passionné par de nombreux domaines, du sport à la musique en passant évidemment par l'histoire et la littérature... De ces deux passions, l'égyptologie et l'écriture, laquelle nourrit l'autre ? 

Les deux se nourrissent mutuellement, en interférence. Quand j'écris un article ou un essai historique, c'est l'égyptologue qui travaille. Lorsque je dois écrire pour des éditions grand public, comme Perrin, l'égyptologue demande à l'écrivain un coup de main pour écrire lisiblement, sans se cacher derrière un vocabulaire technique ! Et puis alors, pour l'écriture d'un roman, c'est entièrement le romancier qui fonctionne mais sur la base des recherches de l'égyptologue. En somme, je suis deux ! (Rires.)

Vous publiez au moins cinq ouvrages par an, dont un grand roman. Comment travaillez-vous au quotidien ? 

C'est la même routine, sept jours sur sept, toute l'année. J'ai trois bureaux chez moi, avec de nombreux projets en cours étalés sur chacun d'entre eux. Le matin, je me réveille entre 8 h 30 et 9 heures et j'en prends un, parce que la nuit m'a apporté un éclairage sur un personnage ou une intrigue... Alors je déroule, toujours à la main, avec parfois un peu de Tipp-Ex, en recherchant des données historiques dans mes travaux d'égyptologie. À la mi-journée, je vais déjeuner avec mon épouse qui me prépare toujours un bon repas, et on parle de ce que je suis en train d'écrire. Cela me donne des idées ! Puis je retourne travailler, en écoutant de la musique - avec toujours un peu de Mozart, jusqu'à 2 ou 3 heures du matin... C'est monacal et très simple. Par exemple, ce matin, j'ai enfin trouvé l'idée que je cherchais depuis plusieurs jours pour la nouvelle que je dois écrire dans le prochain recueil du livre des Restos du cœur, Treize à table !, édité par Pocket (à paraître en fin d'année, ndlr). Je l'ai notée et je vais la rédiger dans la journée !

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Christian Jacq écrit toutes ses oeuvres à la main- Photo DR

Selon vous, est-ce que vous pourriez avoir la même carrière si vous débutiez en 2024 ? 

Je n'en suis pas certain car je pense que les éditeurs ont changé. Je suis en train de préparer - encore un projet ! - mes mémoires, dans lesquels je raconterai les anecdotes que j'ai vécues personnellement, à travers mes recherches en Égypte mais aussi dans ma carrière d'écrivain... Déjà, à l'époque, il fallait des éditeurs un peu fous, comme Bernard Fixot peut l'être. J'en ai connu beaucoup des éditeurs, chez Julliard, chez Plon ou encore chez Grasset. Où cela fonctionnait bien d'ailleurs, même si je n'avais pas d'atome crochu avec Yves Berger... Mais il était même question de prix, à condition que je n'écrive pas trop. C'est une vision de l'édition que je ne partage pas. À cette époque, il n'était pas question de romans en plusieurs épisodes ! Et ce qui se passe aujourd'hui dans l'édition me dépasse complètement. Je suis archaïque. Je me considère comme un égyptien vieux de 5 500 ans donc j'ai le droit ! (Rires.)

Quel lecteur êtes-vous ? 

Aujourd'hui je lis beaucoup et sur divers sujets, mais toujours liés à mon travail. Pour une enquête de l'inspecteur Higgins, je peux lire des livres d'astrophysique, de chimie ou sur la Chine parce que j'ai besoin d'informations. Comme il ne me reste pas beaucoup de temps, je veux profiter au maximum de mes capacités pour aller le plus loin possible dans mon travail.

Êtes-vous à la recherche d'un héritier littéraire concernant votre œuvre sur l'Égypte ? 

Pas vraiment car je pense qu'elle formera un tout. Même si l'Égypte ancienne n'a pas révélé tous ses secrets et qu'il y a encore 200 à 300 ans de recherches en égyptologie, je pense que sur l'aspect romanesque, il n'y aura pas grand-chose de nouveau à faire. Ce qui peut être intéressant, c'est que quelqu'un face la même chose avec la Chine, ou des civilisations amérindiennes, africaines... Si mon œuvre pouvait donner des idées à quelqu'un qui connaît parfaitement le moindre détail de ces civilisations, alors cela pourrait servir d'exemple.

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Vraiment toutes ses oeuvres...- Photo DR

Biographie

Christian Jacq est né en 1947 à Paris. Fils d'un pharmacien du quartier de l'Europe à Paris (VIIIe) d'origine bretonne et d'une immigrée polonaise, il est titulaire d'un doctorat d'égyptologie à la Sorbonne, après un cursus de philosophie et de lettres classiques à Nanterre. Devenu maître de conférences, il collabore comme lecteur et directeur littéraire aux Presses de la Cité tout en publiant des essais historiques. En 1987, son premier succès l'emmène vers une carrière d'écrivain prolifique, à un rythme de cinq titres par an. 

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