« C’est une parole libre qui est partie avec Jacques Julliard », écrit Laurence Engel, présidente de la BNF, dans un communiqué. Disparu le 8 septembre dernier à l’âge de 90 ans, le journaliste, historien et éditorialiste Jacques Julliard avait donné, en 2005 et en 2013, l’ensemble de ses œuvres à l’institution culturelle. De ses essais, dont Naissance et mort de la IVe République et L’Argent, Dieu et le Diable (Flammarion, 2008), à ses dossiers de voyages, en passant par sa collaboration à la revue Esprit ou encore ses correspondances, le fonds Julliard retrace le parcours et l’engagement d’une figure emblématique de la « deuxième gauche ».
Né en 1933 à Brénod (Ain), Jacques Julliard grandit au milieu du radicalisme social de son père et de l’éducation catholique de sa mère. Proudhon, Marx, Pascal, Pierre Mendès France ou Kant constituent l’essentiel de ses lectures lorsqu’il intègre l’hypokhâgne de Lyon puis l’ENS, où il se définit, en grand original, comme « cathoproudhonien ». Post-guerre, le jeune homme affirme son anticolonialisme, en parle pour la revue d’opinion Esprit d’Emmanuel Mounier et le défend lorsqu’éclate la guerre d’Algérie. Au même moment, il intègre l’Unef avant de rejoindre les rangs du SGEN, future CFDT. Dans le sillage de mai 68, il fonde avec Jacques Ozouf le département d’histoire de l’Université de Vincennes et publie son premier essai, Naissance et mort de la Quatrième République (Calmann-Lévy, 1968), à laquelle il s’oppose fermement.
Gauche déclassée
Remarqué un an plus tard par André Gorz, rédacteur en chef du Nouvel Observateur, Jacques Julliard rejoint la rédaction en qualité d’éditorialiste, et jongle avec son engagement syndical et la collection « Politique » qu’il préside aux éditions du Seuil. Plume incisive, presque pamphlétaire, il y analyse pendant près de 40 ans la situation politique et cite sans distinction Hannah Arendt, Simone Veil et Bernanos. Jusqu’en 2010, où – coup de théâtre – le polémiste rejoint les colonnes de Marianne, puis celles du Figaro, convaincu que la gauche contemporaine n’est plus celle qu’il a toujours soutenu. Un glissement idéologique vers les premiers héros de sa jeunesse ravivés dans De Gaulle et les siens (Cerf, 2020), suivi de Comment la gauche a déposé son bilan (Flammarion, 2022). Puis, comme dernière révérence : une analyse des deux mandats d'Emmanuel Macron, Chronique d’un déclin français, qui paraîtra en novembre prochain, chez Albin Michel.