«L'acte que nous avons à accomplir est “beau comme une rose dont la tour Eiffel assiégée à l'aube voit s'épanouir enfin les pétales”.» Pour conclure son discours d'ouverture de l'examen du projet de loi sur le mariage et l'adoption à l'Assemblée nationale, le 29 janvier dernier, Christiane Taubira a créé la suprise en citant un extrait du poème de Léon Gontran-Damas,
Grand comme un besoin de changer d'air.
Durant les débats sur le mariage homosexuel qui ont agité l'Assemblée, la garde des Sceaux a convoqué à la tribune de l'Hémicycle de nombreux auteurs et poètes, sans note. Si, sur le fond, elle est loin de faire l'unanimité, force est de constater que ses envolées poétiques l'ont révélée. Ses talents d'oratrice ne sont pas seulement appréciés des députés. D'après un sondage BVA pour I-Télé publié le 8 février dernier, 36% des Français déclarent que l'image qu'ils avaient de la ministre a changé. Parmi eux, 65% en ont une image plus positive.
Poètes de l'anticolonialisme et de la résistanceDans ses interventions, la ministre fait surtout référence à des écrivains engagés pour l'anticolonialisme ou la Résistance. Comme Léon Gontran-Damas, originaire de Guyane comme elle, le Martiniquais Aimé Césaire et le Sénégalais Léopold Sédar Senghor, poètes fondateurs du mouvement de la négritude dans les années 1940 à Paris.
Mardi 5 février, alors que le député UMP Hervé Mariton conteste l'interprétation littéraire de l'oeuvre de Léon Gontran-Damas qu'a fait la garde des Sceaux dans son discours du 29 janvier, elle réplique en citant par coeur un de ses poèmes, intervertissant néanmoins deux strophes :
«Je vais vous dire ce que vous aurait dit Léon-Gontran Damas par rapport à ce que vous venez de dire. Nous les gueux/ nous les rien/ nous les peu/ nous les chiens/ nous les maigres/nous les Nègres/ Qu'attendons-nous/ Qu'attendons-nous pour faire les fous/ pisser un coup/ tout à l'envi/ contre la vie/ stupide et bête/ qui nous est faite ?
Si nous, si nous ne nous n'accordons pas l'égalité des droits, si nous ne nous reconnaissons pas la liberté, nous leur disons, qu'attendez-vous pour faire les fous sur cette vie stupide et bête».PhilosophesChristiane Taubira cite aussi abondamment des philosophes, comme Paul Ricoeur. Mardi 12 février, après le vote de l'Assemblée sur le projet de loi autorisant le mariage homosexuel, elle cite l'écrivain espagnol Antonio Machado: «
Il restera toujours beaucoup beaucoup de femmes pour vous regarder, messieurs, (...) pour discerner dans l'entrelacs de vos talents et vos faiblesses si vous êtes capables de tracer des chemins sur la mer». Et de citer le philosophe Lévinas:
«Penser autrui relève de l'irréductible inquiétude pour l'autre. C'est ce que nous avons fait tout au long de ce débat.»Christiane Taubira pratique la citation littéraire de longue date. En 1999, alors députée socialiste, elle cite Léon Gontran-Damas et Aimé Césaire lors de sa présentation à l'Assemblée de sa proposition de loi visant à faire reconnaître la traite et l'esclavage comme des crimes contre l'humanité. En 2002, toujours à l'Assemblée nationale, elle cite René Char, poète surréaliste et résistant, dans sa candidature à l'élection présidentielle sous l'étiquette du Parti radical de gauche :
«La lucidité est la blessure la plus proche du soleil». Références littéraires 2.0Ces citations sont donc un moyen pour Christiane Taubira d'argumenter, de défendre et de contre-attaquer, quelque soit le support... Ainsi, le 9 février, elle écrit
sur son blog une lettre à Nathalie Kosciusko-Morizet, dans laquelle elle lui demande de ne pas s'abstenir lors du vote mardi sur le mariage gay à l'Assemblée nationale. Ses citations vont d'Aristote (
Ethique à Nicomaque) à René Char, avec lequel elle conclue à l'adresse de la députée:
«Tiens vis-à-vis des autres ce que tu t'es promis à toi seul. Là est ton contrat».
Avant d'être ministre de la Justice, elle affichait aussi ses lectures dans un autre site, christiane-taubira.net, aujourd'hui hors ligne. Tahar Djaout cotoyait Pablo Neruda, Nelson Mandela, René Char ou Aimé Césaire. Même sur Twitter et en moins de 140 signes, la garde des Sceaux a fait appel, le 31 décembre dernier, à un de ses poètes favoris:
«Belle année à vous tous qui savez comme Césaire que “tout l'espoir n'est pas de trop pour regarder le siècle en face”»Et la ministre ne compte pas s'arrêter en si bon chemin. Interrogée sur France Culture vendredi 15 février dernier sur les prochains débats concernant la prévention de la récidive, elle a expliqué qu'elle choisira ses prochaines références sur le moment:
«cela dépendra de la tonalité, de l'ambiance et de la qualité des interventions».BibliographieL'Esclavage raconté à ma fille (Bibliophane, 2002, réédité en 2006)
Une campagne de folie: comment j'en suis arrivée là (First éditions, 2002)
Codes noirs de l'esclavage aux abolitions (Dalloz, 2006)
Rendez-vous avec la République (La Découverte, 2007)
égalité pour les exclus: le politique face à l'histoire et à la mémoire coloniales (Temps Présent éditions, 2009)
Mes météores: Combats politiques au long cours (Flammarion, 18 mars 2012)