Dans un entretien au quotidien Le Monde en 2014, à la parution de son premier livre traduit en français, La cigarette et le néant, l’universitaire Horace Engdahl, secrétaire perpétuel de l’Académie suédoise entre 1999 et 2009 et membre du comité Nobel, racontait avoir toujours sur lui un carnet pour noter les pensées intempestives, les idées qui passent. Non sans une certaine coquetterie, il se demande, en ouverture de ce deuxième recueil publié chez Serge Safran éditeur, si pour l’auteur étranger qu’il est "c’est vraiment une bonne idée que de se présenter en France avec un livre de réflexions et d’aphorismes". Le fragment, pourtant, qui "comme mode d’écriture a l’avantage d’être particulier sans relever du privé, d’installer une sorte d’intimité impersonnelle", estime-t-il, va comme un gant à cet historien de la littérature, critique et traducteur.
Composée de courtes phrases à la fois closes et ouvertes - "Les fanfaronnades d’impuissance de Mallarmé" -, et de réflexions plus développées (son analyse du Procès de Kafka), cette collection de fragments s’offre comme une promenade amoureuse et distanciée dans la littérature. Et si enfance, rêves et nostalgie s’invitent aussi, l’activité littéraire qu’Horace Engdahl connaît en lisant et en écrivant - tout ce qui gravite autour de la création, des ambitions intimes de l’écriture aux malentendus de la vie sociale d’un intellectuel - constitue le fil rouge de ce livre dont la forme incite le lecteur à vagabonder à son tour, en ouvrant et picorant au hasard.
Horace Engdahl pour qui "l’aphorisme ressemble à un vélo", "sans appui ni d’un côté, ni de l’autre", drape ses sentences dans une langue classique de moraliste, réservant ses traits les plus ironiques à quelques obsessions récurrentes : la littérature engagée, les médias, les philosophes… "La citation est la meilleure des critiques", écrit-il. Difficile d’appliquer ce principe à un tel livre : il faudrait tout citer. Véronique Rossignol