7 avril > Histoire France > Alain Corbin

L’ombre, les odeurs, le son des cloches et même le vide. Il y a toujours de la poésie dans les thèmes abordés par Alain Corbin. Et puis aussi le goût du défi pour cet historien du sensible dont trois principaux travaux ont été récemment réunis dans un volume de la collection "Bouquins" (Une histoire des sens, Robert Laffont, 2016). Tout ce qui n’intéressait pas vraiment l’université avant qu’il ne s’en empare fait aujourd’hui l’objet d’attention chez les jeunes chercheurs qui se revendiquent de sa façon de faire de l’histoire.

Cette fois, le brillant et récent octogénaire s’intéresse au silence, un sujet qu’il avait déjà esquissé dans Le monde retrouvé de Louis-François Pinagot (Flammarion, 1998). Mais comment parler de ce qu’on n’entend pas ? Tout simplement en considérant qu’il y a toujours un bruit, même infime, quelque chose qui vous rattache au monde. Le silence pour Valéry serait même un bruit fin et continu. D’ailleurs, il y a autant de manières de caractériser un bruit qu’un silence. L’un comme l’autre peut être absolu, complet, prolongé, recueilli, religieux, long, lourd ou profond.

Alain Corbin est donc parti à la recherche de ceux qui ont parlé du silence. Les écrivains, et parmi eux surtout les poètes, sont les plus nombreux. Puis viennent les mystiques qui, par définition, contemplent mais commentent peu. Enfin quelques anthropologues, des philosophes marginaux comme Simmel, mais finalement très peu d’historiens. En fait, le silence intéresse rarement les scrutateurs du passé car il est une donnée fuyante. Il se recherche, il s’apprécie ou il effraie comme chez Pascal, car il ne dit rien à l’approche de la mort. Il en est le prélude muet.

"Trop souvent l’histoire a prétendu expliquer. Quand elle aborde le monde des émotions, il lui faut aussi et surtout faire ressentir, en particulier quand les univers mentaux ont disparu." Avec cette plume élégante qui le caractérise, Alain Corbin se saisit du silence pour le faire parler, pour écouter ce qu’il a à nous dire du monde d’hier et de notre rapport aux autres. Il nous rappelle aussi que le silence est le langage des peintres avec le fameux L’œil écoute de Claudel, celui de l’écriture et celui de la lecture depuis le Moyen Age.

En s’intéressant à la place accordée au silence dans la vie des hommes depuis la Renaissance, il déplore que cette pratique pourtant structurante pour les individus se soit perdue aux alentours des années 1950. Désormais faire du bruit, du buzz, c’est communiquer, c’est se manifester, c’est appartenir à la communauté. Faire silence, c’est s’évader pour mieux se rejoindre. Il y a sans doute moins de bruit aujourd’hui dans les villes qu’au XIXe siècle, suggère Alain Corbin, mais on ne s’en rend pas compte. Voilà pourquoi le silence est redevenu d’or. Laurent Lemire

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