Jonathan Coe varie à chaque fois sa palette. L’Anglais change toujours de ton et de couleurs pour bâtir, livre après livre, une œuvre où il met en scène avec maestria des personnages faussement banals. Après La vie très privée de Mr Sim (Gallimard, 2011, repris en Folio), il nous présente cette fois Thomas Fowley. Un homme de 32 ans, aux faux airs de Dirk Bogarde et de Gary Cooper, qui lit Dickens et Wodehouse. Monsieur est peu porté sur le bavardage. Marié à la discrète Sylvia et père d’une petite Gill, il rembourse les traites d’un pavillon à Tooting, dans la banlieue sud de Londres.
Thomas est entré quatorze ans plus tôt au Bureau central de l’information. Après s’y être occupé du courrier, il rédige désormais des brochures de santé et de sécurité publiques, notamment destinées à "apprendre aux piétons la rue sans risque et aux enrhumés à garder pour eux leurs microbes". Le quotidien du héros de l’auteur de La maison du sommeil (Gallimard, 1998, prix Médicis, repris en Folio) va être pimenté par une mission qu’on lui confie.
Précisons que nous sommes au siècle dernier, en 1958. Au moment où les romans de Ian Fleming commencent à faire fureur et où s’annonce l’Exposition universelle et internationale de Bruxelles. Le premier événement de cette nature depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, à une période de tension entre l’Otan et le bloc soviétique. Fils d’une Flamande et d’un défunt patron de pub, Fowley semble tout indiqué pour être envoyé six mois durant à Bruxelles. En qualité d’administrateur du pavillon britannique de l’Expo 58, pavillon censé présenter au reste du monde le nouveau visage d’une Grande-Bretagne qui va de l’avant.
Pour cela, rien de mieux qu’ouvrir aux visiteurs un pub, le Britannia, établissement "tout aussi britannique que le chapeau melon ou le fish and chips, le fin du fin de l’hospitalité à l’anglaise", selon les supérieurs de Fowley ! Sur place, où il s’installe sans femme ni enfant, ce dernier ne va vite plus savoir où donner de la tête. Autour de lui, voici Tony Buttress, le conseiller scientifique du pavillon ; Anneke Hoskens, accorte hôtesse flamande ; Andrey Chersky, rédacteur en chef d’un journal moscovite ; ou encore Emily Parker, beauté du Wisconsin…
Tout en s’intéressant à la vérité et au mensonge, Jonathan Coe démêle les fils d’un imbroglio réjouissant dans un roman enlevé, à la fois mélancolique et drôle. On enchaînera avec Le miroir brisé, son premier texte pour jeunes lecteurs qui paraît chez Gallimard Jeunesse avec des illustrations de Chiara Coccorese.
L’histoire de Claire, fille unique de 8 ans qui découvre un jour de pluie un miroir dans la décharge au bout du jardin. Une Claire à qui sa trouvaille donne alors à voir un monde magique, miraculeux, "des choses deux fois plus passionnantes et cent fois plus magiques que le quotidien prosaïque qui l’entoure de toutes parts"…
Alexandre Fillon