19 février > Essai Grande-Bretagne

Même si sa veuve, Lady Veronica, s’en est toujours défendue, il est plaisant d’imaginer qu’en épousant Fitzroy Hew Royle Maclean of Dunconnel, elle ait épousé James Bond. La légende veut que cet écrivain, militaire, diplomate, agent secret et homme politique ait servi de modèle à son ami Ian Fleming pour le plus célèbre des espions de sa Gracieuse Majesté.

Il est vrai que peu de vies furent aussi aventureuses que celle de cet enfant de la gentry promenant à l’heure de la montée des périls et au cœur de la guerre une curiosité alliée à un scepticisme et une ironie qui en font un témoin essentiel. En 1952, Gallimard publia le récit de ses aventures sous le titre Diplomate et franc-tireur. Puis le livre et son auteur tombèrent dans un regrettable oubli. Cela jusqu’à ce que Claude Lanzmann, avec son Lièvre de Patagonie (Gallimard, 2009), n’en rappelle le souvenir dans les termes les plus louangeurs, comparant Fitzroy Maclean à un "colonel Lawrence des Balkans avec l’humour en plus". C’est ce livre, retitré Dangereusement à l’Est (1936-1945), que réédite aujourd’hui Viviane Hamy.

En 1936, Maclean est à Paris, jeune attaché d’ambassade de 25 ans. Il s’ennuie un peu, las de ces "Français au comble du bonheur dès qu’on leur donnait l’occasion d’exposer leurs vues"… Lui, à rebours de tout le Foreign Office, en tient pour l’Est lointain, Moscou et, au-delà, l’Asie lointaine, les terres tartares, le transsibérien, Samarcande… Là-bas, il fera la découverte de l’absurdité du système stalinien à l’heure des premiers grands procès, jouera à cache-cache avec le redoutable NKVD, ancêtre du KGB, mais surtout ira là où nul Occidental ne pouvait plus vraiment aller, aux marches de l’empire, des montagnes du Caucase jusqu’à l’Ouzbékistan auxquelles il consacre des pages inouïes de beauté, à la fois panthéistes et doucement ironiques. On le retrouve, dans la deuxième partie du livre, en Afrique du Nord, honorable correspondant des Special Air Services, avant que Churchill ne l’envoie en Yougoslavie pour veiller au bon déroulement de la révolution de Tito et à la sauvegarde des intérêts britanniques.

Cette vie aventureuse ne serait rien sans le talent d’écriture de Fitzroy Maclean. A l’inverse d’un autre grand témoin, Kessel, il rend compte sans jamais "surcharger" aucun de ses effets. Pour ce qui est de l’excès, le réel s’en charge… C’est ce qui rend ce livre magnifique aussi moderne, éveillant chez son lecteur des échos du Bakou, derniers jours d’Olivier Rolin (Seuil, 2010) bien plus que de tout autre récit qui lui serait contemporain. Si Fitzroy Maclean n’était pas James Bond, ce ne pourrait être que parce que James Bond n’était pas écrivain. O. M.

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