28 août > Roman Grande-Bretagne

Ils sont des personnages incontournables des grandes villes : ces êtres sans âge, qui rient seuls et vitupèrent, fagotés de manière improbable ou crasseuse, et qui évoluent dans les rues comme s’ils étaient - qui sait - sur la Lune. On les connaît ; pourtant, qui peut dire qui ils sont ? C’est le défi que relève avec un certain brio le second roman du Britannique Stephen Benatar, publié pour la première fois en 1982 et jamais traduit en français. Rachel Waring mène à Londres une petite vie sans joie. Jusqu’au jour où sa vieille tante décède en lui léguant une maison à Bristol. Sur un coup de tête, Rachel décide de tout quitter et de s’y installer ; dans la maison, elle fait la connaissance avec Horatio Gavin, obscur philanthrope du XVIIIe siècle qui y a vécu… Après tout, un beau jeune homme, cet Horatio, sur son portrait ! Et les beaux jeunes hommes, Rachel a toujours bien aimé s’imaginer toutes les romances possibles avec eux. Car Rachel, c’est le moins qu’on puisse dire, a une imagination débordante. Tissant ses rapports avec autrui de fantasmes improbables et de blagues à part, elle oublie ce qui la dérange (son éternel célibat ou l’état de ses finances, par exemple) au profit d’un monde plus lumineux, peuplé de personnages de romans et de films, et des refrains de ballades populaires (que l’on peut aller écouter sur le site du Tripode). Ce qui, dans l’Angleterre thatchérienne, n’est pas tout à fait sans risque…

Rachel tient de Don Quichotte et de Madame Bovary, mais nulle voix auctoriale ne nous dira comment la juger. C’est elle qui est la narratrice de son histoire, dans un dispositif ambigu oscillant entre le récit a posteriori et le présent immédiat, ce qui fait que le lecteur, ayant l’impression qu’on lui raconte une histoire cohérente, ne se méfie pas tout d’abord de cette voix fantasque qui lui parle. A la fois sympathique et troublante, désabusée et totalement naïve, Rachel nous donne à voir un monde foisonnant, où réalité et fiction s’emmêlent, et qui dévoile du même coup son incompréhensible folie douce. Car au fond, qui peut garantir qu’il est moins fou qu’elle ?

Fanny Taillandier

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