On le savait. Le Quid de nos jeunesses était devenu poussiéreux. Un livre pour de la simple consultation ? A l’heure d’Internet, c’est un produit sans beaucoup d’avenir. Le nouveau Quid , le Quid numérique, nous dit-on, ce sera du sérieux : pas de contributions désordonnées du tout venant, mais un peu d’ouverture quand même, façon Web 2.0, puisque les journalistes et les enseignants pourront rédiger des articles. Logique de club plutôt que logique communautaire, on reste dans la modernité, mais on espère en modérer les travers. Tandis que le Quid renonce au papier et s’ouvre aux contributeurs extérieurs, Wikipédia procède à l’inverse. Certes, la logique de l’ouverture à tous, celle des communautés ouvertes, à l’origine du modèle, continue de prévaloir, au point que l’on marche inexorablement vers les 7 millions d’entrées, 200 langues et plusieurs millions de contributeurs (j’hésite à écrire « auteurs » tant on s’écarte de l’acception traditionnelle de ce terme). Mais se dessine, pour Wikipédia un double mouvement : d’un côté, une volonté à peine voilée de mieux maîtriser la qualité des contenus, d’opérer de la sélection sur des critères scientifiques – ou simplement de sérieux -, et de l’autre côté la décision de produire une version papier, en Allemagne, de l’encyclopédie en ligne. Or qui dit version papier dit version arrêtée, au moins temporairement : un bon à tirer au lieu du flux incessant des entrées nouvelles et des révisions proposées. C’est là une nouvelle forme de convergence dans l’univers des NTIC, puisque les produits d’antan (le Quid ) migrent vers le numérique, tandis que ce que je suis tentée d’appeler les native Internet cultural goods (Wikipédia) se donnent avec le papier un petit air du passé pour gagner en légitimité, tout en affichant sereinement que, question qualité, ils ne sont pas si mauvais. Tandis que l’on ne manque pas de critiquer les encyclopédies les plus patentées, Wikipédia, avec tous ses défauts, résiste assez bien à l’examen. En témoigne un article de la revue Nature publié en 2005. L’auteur, Jim Giles, comparait 42 articles de Wikipédia et de l’ Encyclopaedia Britannica qui traitaient un même sujet – scientifique – et montrait que non seulement la Britannica n’était pas à l’abri des erreurs, mais qu’elle était loin d’écraser en qualité l’encyclopédie numérique. Dans un article publié dans Le Débat (148, janvier-février 2008, p. 17-30), « Le phénomène Wikipédia : une utopie en marche », Christian Vandendorpe fait état d’autres études qui concluent de même, allant jusqu’à prophétiser, sans doute emporté par l’enthousiasme : « tout comme l’ouvrage de Diderot et d’Alembert avait eu un impact considérable sur les mentalités du temps, il y a tout lieu de penser que Wikipédia contribuera de façon significative à modeler la culture virtuelle qui s’élabore en cette aube du XXIe siècle dans un monde globalisé ». Pour revenir à des considérations plus prosaïques, il est clair, en tout cas, que ce phénomène incontournable change la donne du marché. Le chiffre d’affaires des encyclopédies et dictionnaires ne représente que 1,6% du C.A. total de l’édition, mais une proportion bien plus forte pour certaines maisons. Faudra-t-il résister à la vague du web ou bien en adopter les mouvements, ce qui implique d’inventer le modèle qui va avec ? Quelle que soit la stratégie adoptée, ce sera une gageure.