De l'aurochs des grottes de Lascaux au noir antagoniste du torero en passant par les représentations par Picasso de son animal fétiche, le taureau est depuis la nuit des temps symbole de force, l'incarnation d'une virilité massive. Après Le loup : une histoire culturelle (dans la même collection, Seuil, 2018) Michel Pastoureau, spécialiste des couleurs et de l'iconographie médiévale, se tourne vers cette bête à cornes domestiquée il y a quelque dix mille ans. Domestique et toujours avec ce reliquat de sauvagerie indomptée qui, dans l'imaginaire, engendre des monstres, tel le Minotaure, mi-homme mi-taureau, et, dans la réalité, incarne la violence du combat dans l'arène, la tauromachie, qui fait aujourd'hui polémique. Image de la fécondité (et, partant, du désir à l'origine des unions) et de la mort, le taureau c'est eros et thanatos.
C'est à la faveur de ces spectacles tauromachiques, remis au goût du jour en Espagne au Siècle d'or et tout au long du XIXe siècle, qu'il revient au-devant de la scène, alors qu'il avait été longtemps relégué à l'étable, et sous sa forme émasculée : le bœuf. Mésopotamie, Égypte, Grèce, Rome... sa présence est partout attestée. Divinisé en Apis, le taureau est figuré dans des fresques où un pharaon lui rend hommage ; dans maints récits de la mythologie grecque, il s'affronte ou s'accouple avec des humains, comme le taureau de Poséidon et Pasiphaé, épouse de Minos, qui enfanta le Minotaure. Dans les Eddas, manuscrits scandinaves du XIIIe siècle, est relatée la naissance des deux premiers êtres vivants : un géant et une vache.
Avec l'avènement du christianisme et l'hégémonie de l'Église en Occident à partir du IVe siècle, c'est justement en tant qu'icône de la force et de l'énergie reproductrice que le taureau est diabolisé. Le culte de Mithra célèbre son pouvoir rédempteur par un baptême sanglant. Cornes, sabots fendus, longue queue, avant que le bouc ne le remplace au Moyen Âge dans cette fonction, il fournit alors ses attributs à Satan.
Les clercs corrigent les versions latines de saint Jérôme et autres traducteurs des textes araméens ou grecs. Là où il y a taurus (taureau), on réécrit bos (bœuf), voire vitellus (veau). Il s'agit d'abolir toute adoration païenne de ce phallus sur quatre pattes. La religion du Dieu fait homme prône certes l'amour mais la régénérescence, la nouveauté de vie, ne passera plus par la violence du désir, le sexe, mais la douceur du lien fraternel, l'amour du prochain. Et c'est sous son regard tendre que le bovin assagi, aux côtés de l'âne, verra naître l'enfant Jésus dans la crèche.
Le taureau : une histoire culturelle
Seuil
Tirage: 22 000 ex.
Prix: 19,90 € ; 160 p.
ISBN: 9782021449228