12 mai > Roman France

Le bonheur tient à peu de chose. Un peu de calme suffit. Espérer le fait sans doute advenir. "Je ferme les yeux et je précipite le temps, jusqu’à passer - par anticipation - à autre chose." Le narrateur de Petite vie de Patrick Varetz est l’enfant qui dit " je " dans son deuxième roman, Bas monde (P.O.L., 2012). L’avorton, fausse fausse couche, qu’on avait placé dans une boîte à chaussure à la naissance faute de couffin, a grandi, mais il flotte encore dans son pyjama. Derrière la cloison il entend les cris, les râles, l’infernal manège de "Daniel, [s]on salaud de père" et de "Violette, [s]a folle de mère", la litanie de leur haine conjugale : "Salopard ! - Putain ! Traînée ! Espèce de peau ! - Salaud !". L’accouplement, la scène primordiale, il se le visualise : ce mari minuscule, plein de rage, s’agitant sur sa démente épouse, "posé sur elle", réduit à "cette petite chose qu’elle s’apprête à absorber tout entière dans son ventre". Hors de la chambre, c’est une pluie de coups, les poings qui tombent et frappent inexorablement avec cette colère qui ne quitte jamais Daniel, cette brutalité qui assoie sa toute-puissance de frustré et pallie l’échec de sa "petite vie", quand il revient du bar, après l’alcool et les "pouffiasses". Violette persiste et signe dans son autodestruction insensée, mêlant à la violence du quotidien l’entêtant cauchemar d’un viol subi au sortir d’un bal - deux types, deux frères, l’aîné la plaquant sur les galets, pointant un canif vers son œil, le cadet sous l’injonction du plus grand s’unissant à elle sans conviction. Daniel allumera le poste, et regardera, hébété, défiler dans le bocal les images d’un monde dont il est exclu. Violette sanglotera, gauloise au bec, et couvrira ses bleus de fond de teint.

Après un détour par la poésie, Premier mille (même éditeur, 2013), où il visitait à travers une myriade de poèmes le thème du chaos intérieur alliant l’incantatoire au mode des Lamentations, Patrick Varetz renoue avec la fiction et les dramatis personæ de la tragédie familiale. On retrouve ici l’atroce docteur Caudron aux cheveux gominés qui avait accouché Violette et qui a pourvu un poste de laborantin à Daniel, et sa "garce d’infirmière", la grand-mère paternelle du narrateur. Que ce soit de manière romanesque ou avec la fulgurance du souffle poétique, l’écrivain pose la même interrogation existentielle, déjà en incipit de Bas monde : "Je n’appartiens pas à ce monde et j’ignore qui m’y a jeté et pourquoi. Tout ici vous contraint au bonheur, justement parce que ce n’est l’inclination de personne." Vertige du malheur qui vous emporte avec d’autant plus de force que la vie vous a inoculé cette fallacieuse promesse de bien-être.

Sean J. Rose

08.05 2015

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