Comme les personnages historiques que Jean Teulé traitait avec une jubilation iconoclaste, sa propre oeuvre fera-t-elle aussi l'objet d'une relecture débridée ? Si l'écrivain nous a soudainement quitté en octobre dernier, son esprit libre et créatif continue de galvaniser l’édition. Confié à l’illustrateur Dominique Gelli et à son fils Tino Gelli, Jeanne, premier tome de l’adaptation illustrée de Crénom, Baudelaire ! sera publié chez Futuropolis le 5 avril prochain. Le roman, publié en 2020, s'est écoulé à 115 000 exemplaires et a été récompensé du prix Ginkgo .
« C’était Jean le véritable adaptateur »
« Teulé était un provocateur né. Il avait appliqué à la littérature un esprit Hara-Kiri, critiqué par ses détracteurs », raconte Betty Mialet, fondatrice des éditions Mialet-Barrault et éditrice de l'écrivain depuis plus de 20 ans. Sous sa plume piquante, Baudelaire et son mythe se révélaient aussi détestables que lyriquement grandioses. Pris entre répulsion et affection à l’égard du poète dandy, « Jean avait cette façon très drôle de disséminer ses propres commentaires, comme un chroniqueur distancié », explique Dominique Gelli à Livres Hebdo.
Fidèle au roman, l’adaptation se devait donc de « retranscrire cela sans recopier littéralement », détaille l’illustrateur. Si la tâche peut sembler complexe — l’existence tumultueuse de Baudelaire est découpée en triptyque dans le manuscrit —, Dominique Gelli rassure : « le livre, en tant que tel, était déjà construit comme un récit narratif et visuel. C’était Jean le véritable adaptateur ». Riche en dialogues, en descriptions détaillées et entrecoupé d’une sélection des Fleurs du Mal, le roman offre en effet une importante matière esthétique qui a facilité le découpage de l’illustrateur.
Deux artistes, une créativité frénétique
Venu de la bande dessinée, Jean Teulé s’aidait de croquis qu’il dessinait lui-même pour structurer ses livres. « C’était sa spécialité. Il ne commençait vraiment à écrire son manuscrit qu’une fois le titre et la couverture trouvés », rapporte son éditrice. Une habitude confirmée par Sébastien Gnaedig, directeur éditorial des éditions Futuropolis, lesquelles avaient accueilli, en 2020, l’adaptation de Fleur de tonnerre par Jean-Luc Cornette et Jürg.
« Avec Gelli, Teulé était très investi. Il voyait grand », se souvient l’éditeur BD. Voisins pendant plus de vingt ans, les deux artistes ne s’étaient pourtant jamais rencontrés avant la mise en images de Mangez-le si vous voulez, à l’initiative de Dominique Gelli, chez Delcourt (2020). Un heureux hasard et le début d’une grande amitié puisque les deux comparses n’ont cessé depuis de multiplier les projets, dont l’adaptation tuée dans l’œuf de Darling, à laquelle s'est aussitôt substituée celle de Crénom, Baudelaire ! Remplaçant ses dessins, punaisés au mur de son atelier, par ceux de Dominique Gelli, Jean Teulé s’était trouvé un camarade d’aventures et une nouvelle source d’inspiration. « Ils ont tous deux travaillé main dans la main pour cette adaptation. C’est une chose très rare chez les auteurs », relève Sébastien Gnaedig.
Le choix de Madrigall
En soumettant l’adaptation de Crénom aux éditions Futuropolis, l’écrivain avait aussi décidé d’inscrire tous ses futurs projets dans le groupe Madrigall, récemment rejoint par la maison Mialet-Barrault, qui l'éditait. Un choix inattendu par les éditeurs mais qui témoignait de son attachement tout particulier à partager sa création avec Dominique Gelli. L'écrivain aura raté l'élaboration de deux planches seulement du premier volume réalisé à partir de sa biographie du poète maudit. Son entourage a pris le relais. Il se dit déterminé à « aller jusqu’au bout » de l'adaptation du livre en BD et promet déjà l’illustration des deux tomes à venir.
