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Cro-Magnon meets Mark Zuckerberg

Iegor Gran - Photo John Foley/P.O.L

Cro-Magnon meets Mark Zuckerberg

Dans son dernier roman, Iegor Gran analyse les ressorts de l’ambition et fait se croiser les destins d’un jeune couple de l’ère Facebook avec leur ancêtre de l’âge de pierre.

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Par Sean James Rose
avec Créé le 11.10.2013 à 19h48 ,
Mis à jour le 11.10.2013 à 23h52

Avec L’écologie en bas de chez moi (P.O.L, 2011), Iegor Gran s’était attiré quelques inimitiés. Il s’attaquait au « greenwashing », le lavage de cerveau environnementaliste, et à la bien-pensance bobo qui, sous couvert de protéger les arbres, méprise de fait le développement des pays du Sud. O.N.G ! (2003) sur une guerre picrocholine entre deux organisations non gouvernementales, Le Truoc-Nog (2003), anagramme du célèbre Goncourt, sur les prix littéraires… l’écrivain né en 1964 à Moscou n’en était pas à sa première satire sociale…

Dans son dernier livre, l’ironie se fait plus romanesque. Un jeune couple se dispute : Cécile, 22 ans, reproche à José, 25, son manque d’ambition. Ou plutôt une ambition à deux balles : ciblant sur un marché de niche censément lucratif : la fabophilie, José veut mettre au point un logiciel référençant les fèves de galette des rois. Cécile est déterminée à réussir seule s’il le faut : elle largue José. Le jeune autoentrepreneur dépité se dit que son plan n’est pas plus bête que celui, assez simple, de Mark Zuckerberg, consistant à se faire des amis virtuels via Internet. Quant au peu de valeur de son produit d’appel, les boutiques ne foisonnent-elles pas d’autant de breloques : « Ce magasin, par exemple, qui vend des bretelles, et celui-là, avec ces gadgets idiots en plastique venus de Chine, en quoi sont-ils plus ambitieux que mes fèves ? » Que fait Cécile de toute façon : la potiche dans une galerie de photo !, fulmine José devant son contemporain Léo, autre « ambitieux » de la vingtaine.

Petits boulots, système D, tout sauf le modèle de papa-maman… Non, cette génération n’est pas faite pour le CDI : « Esclaves subventionnés : c’est ainsi que le jeune Léo appelait les salariés, tout en rêvant, sans se l’avouer à lui-même, de grimper un jour dans la grande arche, une entreprise avec cantine d’entreprise […]. Un distributeur de café à chaque étage. Avoir un badge magnétique - ça vous pose un homme. » Quid de l’écrivain ? Encore un autre modèle, dont l’activité ressemble parfois à de la procrastination, c’est le quotidien qui conspire à vous faire dévier de la voie de l’écriture. Le narrateur se rassure : « Demain on remet les compteurs à zéro. Une nouvelle vie pour le stakhanoviste de la littérature. Objectif minimum - cinq paragraphes. Quant au maximum… il n’y a pas de limites à l’ambition. » Le romancier en panne d’inspiration est convié à une fête de jeunes organisée par le fils d’amis de la famille : José. Il lui raconte son œuvre en cours : l’histoire de Graal préhistorique, dont le protagoniste, Chmp, est à la recherche de la Pierre percée. Ainsi se croisent la génération Facebook et l’homme des cavernes. Depuis la nuit des temps : une question de survie de l’espèce aiguillonnée par la séduction entre les sexes, et doublée d’une quête de sens. Les femelles étant plus concernées par le confort sédentaire, et les mâles, chasseurs dans l’âme, plus intrépides dans leur conquête de nouveaux espaces… De quoi, après les « Khmers verts », se mettre à dos les harpies des gender studies. Sean J. Rose

11.10 2013

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