Oslo, dans le quartier Bjørvika, entre la gare, des statues et l'Opéra, quinze degrés sous zéro adoucis par le soleil. Des enfants s'amusent à glisser sur l'eau gelée. L'été, s'y reflète un bâtiment de cinq étages constitué d'une enfilade de hautes vitres, comme des tranches de livres en transparence. C'est la bibliothèque centrale de la capitale norvégienne, désignée en 2021 par la Fédération internationale des associations de bibliothécaires (l'Ifla) comme la meilleure du monde.

Du monde, il y en a sur l'ensemble de ses 13 500 m² répartis sur six niveaux. La porte principale franchie, ça déborde de vie (2,4 millions de visiteurs en 2023, soit plus de 46 000 chaque semaine) et de livres. Pas de portique antivol visible, pas de barrière visuelle : c'est un lieu invitant. Dans ce hall à taille humaine, on passe en quelques mètres du café bondé (les Norvégiens y recommandent les pâtisseries à la crème) à la boutique vendant des lunettes grossissantes et des cartes postales à l'emblème du bâtiment. Une véritable marque, au logo lumineux qui tient en une lettre, « D » (pour Deichman, du nom du fondateur de la bibliothèque), rayonnant vers la droite comme un phare. Sur des écrans défilent les recommandations des bibliothécaires, résumées à une couverture de livre et une phrase de commentaire. Et quasi chaque rayonnage met en avant quelques titres en les plaçant de face. Sauf dans les réserves du sous-sol : des alignements de livres... où les lecteurs peuvent se servir !

Maia Haug, 19 ans, a apporté son propre bouquin. « Je viens ici pour m'imprégner de l'ambiance, c'est agréable d'être dans un open space au milieu de lecteurs. Et toutes ces couvertures sont attirantes », s'enchante l'étudiante danseuse, entouré de personnes de tout âge absorbées dans leur lecture. Contrairement à Copenhague ou Amsterdam visités quelques jours plus tôt, on n'y croise pas seulement des étudiants sur leur ordinateur (mot de passe wifi : « lesehest », littéralement « cheval de lecture », équivalent de « rat de bibliotheque » !). D'autres rêvassent. Une jeune femme s'est assoupie en boule sur un fauteuil. À l'espace enfants, l'ambiance est plus animée, les bambins se ruant dans une cabane après s'être mis pieds nus, comme leurs parents. Mais pas de brouhaha, grâce à une acoustique étudiée. « Nous avons créé une matière spéciale pour le plafond, un peu poreuse, qui absorbe le bruit et marque des décalages entre les niveaux pour ne pas avoir d'effet d'écho », nous explique l'architecte Jens Holger Rindel - que nous croisons par hasard ! Peut-être sommes-nous également passés à côté du champion mondial d'échecs norvégien Magnus Carlsen, dans l'espace spécialement dédié à ce jeu... Sur l'estrade non loin des plateaux, Thekla, 9 ans, s'amuse à faire des sculptures avec de grands coussins. « Quand on vient à Oslo, je demande à aller à la bibliothèque ! On peut faire plein de choses : lire des livres, jouer aux échecs... », explique-t-elle, traduite par son père professeur. Lui vient régulièrement au fablab avec ses élèves. Mais n'en est plus usager pour lui-même, depuis qu'il écoute de la musique en streaming et non en CD... Sinon, on croise une partothèque bien fournie, nombre de livres young adult, sur le jardinage et la famille, des jeux vidéo... Chaque espace variant légèrement d'atmosphère - un esprit chic et scintillant pour les livres d'art aux étagères serties d'ampoules, par exemple.

Pour trier l'ensemble, les bibliothécaires (30 à temps plein, 20 à mi-temps) disposent d'une machine automatique. Ce qui leur permet d'être disponibles pour les visiteurs du lundi au vendredi de 10 heures à 19 heures, et le samedi de 11 heures à 17 heures, indiquent des affichettes écrivant en gras "ask us for help". Le dimanche, c'est « service limité », mais nous croiserons tout de même des agents prêts à aider.

L'abonnement à la bibliothèque est gratuit pour toute personne qui réside dans ce pays de 5,4 millions d'habitants. D'après les chiffres du Bureau international de l'édition française (Bief), 8 sur 10 y ont lu au moins un livre en 2019, pour une moyenne de 13,2 livres par an - 21 pour les Français, selon le CNL. Des Français qui trouveront ici La Fontaine, Hugo, Apollinaire, Aragon, Senghor, Ionesco, Sartre ou Franck Thilliez... La bibliothèque propose une quarantaine de langues. Une bibliothèque du monde. La meilleure, dit-on.