Les médiathèques sont des lieux de socialisation et de solitude, nous rappelle fort à propos un reportage diffusé sur France Culture. Une femme interrogée (Danièle) explique avec le sourire qu’à défaut de cocher la case « célibataire » ou « seule » dans un formulaire, elle les a rayées et a écrit « libre » à la place. C’est dire qu’il apparaît réducteur de regarder la solitude uniquement à travers le prisme de la souffrance et de l’isolement.
D’ailleurs, quand on interroge un échantillon de Français (tous les chiffres suivants sont issus de cette enquête), 53 % disent qu’il leur arrive plutôt de rechercher la solitude contre 32 % qui cherchent à l’éviter à tout prix. Et il est vrai que certains usagers se rendent à la médiathèque pour « souffler » et vivre un moment de solitude. Lors d’une enquête ancienne, nous avions ainsi rencontré deux enseignants qui, avant de rentrer à leur domicile, passaient par une médiathèque notamment pour y lire la presse.
Ils avaient un usage troisième lieu de l’établissement alors que la notion n’avait pas encore cours (nous étions en 1999…). Ni lieu de travail ni domicile, la médiathèque offrait un moment de suspension où chacun cherchait à se reconnecter avec son propre monde et indépendamment des deux autres.
Visages radieux
Et parmi le sous-ensemble de la population qui n’est pas en couple (34 %), la vision de leur situation est chargée de sentiments positifs. Pour 58 %, le célibat est un choix et pour 76 %, cela leur permet de se recentrer sur eux-mêmes. Moins d’un tiers ressentent une forte pression en raison de leur célibat et seulement un sur cinq disent avoir honte de leur situation. De même que le couple est vécu comme le cadre d’un espace d’épanouissement personnel, de même le célibat trouve une légitimité dans sa dimension choisie et dans ce qu’il autorise comme rapport à soi. À l’instar de Danièle interrogée pour France Culture, la médiathèque s’offre alors comme un espace avec des ressources pour construire sa liberté.
Pour autant, l’expérience du célibat hésite avec des impressions moins favorables. Pour près de la moitié des personnes concernées, elle ouvre la voie au sentiment de solitude. Séparation, perte d’un être cher forment autant de menaces conduisant à la solitude… C’est d’ailleurs la première cause identifiée par la population à cette expérience et ceux qui ne sont pas en couple sont deux fois plus nombreux à déclarer se sentir seuls toujours ou souvent (24 % contre 13 %).
Visages sombres
Si donc il convient de ne pas enfermer les personnes qui vivent seules dans un ensemble sombre et homogène, il reste que l’expérience de la solitude constitue souvent aussi une épreuve. Et les enquêtes en rendent compte.
Quand on compare les personnes en situation de « solitude chronique », c’est-à-dire ayant toujours ou souvent le sentiment d’être seul(e), à l’ensemble de la population française, des écarts importants apparaissent. Un tiers se jugent très malheureux contre moins d’un sur dix. Pour cette minorité, la solitude ne rime pas avec épanouissement et bonheur…
Et cette situation affecte aussi le rapport à soi-même. Les solitaires chroniques se sentent moins « capables » que les autres et moins souvent « fiers » d’eux-mêmes. À l’inverse, ils se disent davantage « pas à la hauteur » et deux fois plus souvent « inutiles ». Privés du regard bienveillants et ordinaires des autres sur eux-mêmes, ils en viennent à se retourner contre eux-mêmes. Et logiquement, hélas, les pensées suicidaires les traversent plus de trois fois plus souvent que le reste de la population. C’est pour lutter contre qu’ils ont davantage recours aux psychotropes (somnifères, anxiolytiques, antidépresseurs, etc.).
Les bibliothèques, lieux du lien
La force et la grâce des bibliothèques résident dans leur capacité à s’adresser à la diversité de la population à la fois dans ses appétences mais aussi dans ses rapports aux autres. Elle le fait d’autant mieux qu’elle ne montre du doigt personne, ne générant donc pas de stigmatisation qui ajoute à la difficulté. Par son attentive neutralité, elle permet aux personnes seules de trouver un lieu de socialisation et aux solitaires de venir se mettre à l’abri des relations sociales. Tous partagent des documents, des espaces, des heures, des activités et des personnels. Chacun se connecte aux autres par tous ces moyens en attachant une importance inégale à ce lien selon sa situation. Nous avons besoin de bibliothèques car notre population est diverse et doit se relier aux autres, y compris les solitaires...