Après Hongrie-Hollywood express, premier tome de sa trilogie 1984 - en référence à l’année où s’est suicidé, d’un coup de pistolet, l’écrivain-beatnik Richard Brautigan -, Eric Plamondon, le Canadien de Bordeaux, récidive. Voici Mayonnaise, en attendant Pomme S, déjà paru chez l’éditeur montréalais Au Quartanier, comme les précédents.
Chaque volume est une espèce d’olni, de patchwork. Ici se mélangent, au fil de chapitres en général très courts, des épisodes de la vie de Gabriel Rivages, double de l’auteur, un écrivain montréalais quadragénaire transplanté à Bordeaux, et qui doute de parvenir jamais à exaucer tous ses rêves. D’où un chapitre 2 intitulé « Jamais », drôle à la Perec, où le narrateur énumère ses regrets. Par exemple : « Je ne deviendrai jamais pape, jamais pop star, jamais Mao, jamais Marlon Brando. » Ça pourrait devenir une chanson, façon J’aurais voulu être un artiste, extrait de Starmania, texte écrit par le célèbre Luc Plamondon (homonyme ou de la famille ?). Il y a aussi l’épisode farfelu de son père, retrouvé mort dans une boîte échangiste.
Ce fil rouge, assez mince, est mêlé à quelques chapitres témoignant de l’érudition de l’auteur-narrateur et de son amour pour l’american way of life, en particulier ses inventions technologiques au service de l’écriture, comme la machine à écrire Remington ou la machine à boule IBM. A quelques digressions sur la pêche à la mouche, l’une des grandes passions de Brautigan, avec la picole. Nous y revoici.
Car l’essentiel du livre, finalement, c’est un parcours bio-bibliographique de l’écrivain américain dont on ne connaît que certains épisodes parmi lesquels sa mort, à Bolinas, Californie, dans la luxueuse villa qu’il s’était achetée avec ses droits d’auteur. Mais seul comme un chien, parce que sa (deuxième) femme, Ginny, mère de leur fille Ianthe - laquelle, écrivaine elle-même, se dévouera plus tard à la postérité de l’œuvre paternelle -, lassée de son ivrognerie et de ses esclandres, l’avait plaqué. Le premier best-seller de Brautigan, paru en 1967, s’intitule justement La pêche à la truite en Amérique.
Le récit est inclassable et déstructuré, à l’image même des œuvres de son héros, truffé de poèmes, de non-sens, d’anecdotes passionnantes souvent inédites ou peu connues : ainsi l’histoire de ce disque de lectures de ses textes par Brautigan, enregistré en juin 1969 chez Zapple, la filiale expérimentale de l’Apple des Beatles, juste avant sa liquidation. Il y a aussi, çà et là, des recettes pour faire la bonne mayonnaise. Un art où Eric Plamondon est expert : la sienne prend. J.-C. P.