Ça chauffe pour Daniel Brodin. D’abord parce que cet étudiant en droit qui se pique de poésie a été pris en flagrant délit de vol de livres à la librairie Le Minotaure. Ensuite parce qu’il est rapidement démasqué lorsque, sommé de déclamer l’une de ses compositions dans un bistrot du Quartier latin, il plagie un poète italien. Par chance - ou pas ! -, il va vite découvrir que l’imposture est une œuvre d’art dans ce Paris de 1953 peuplé de jeunes désœuvrés vaguement artistes, plus ou moins libertaires, possiblement délinquants, toujours alcooliques que décrivent l’Italien Alessandro Tota (scénario) et le Français Pierre Van Hove (dessin). Et cet antihéros un peu écœurant va en tirer les conséquences en saisissant par tous les moyens les opportunités que lui offre un monde littéraire présenté sous un jour particulièrement peu flatteur par les deux jeunes auteurs. Jusqu’à se trouver dépassé par Jean-Michel, un autre demi-mondain au physique à la Depardieu.
Des chambres et des cafés du faubourg Saint-Germain, enfumés par la cigarette et le haschich, aux salons de Gallimard, avec un détour par Aubervilliers où Daniel Brodin loge chez son oncle communiste, on croise intellectuels autoproclamés, bourgeois rassis, filles perdues, faux dandys et vrais malfrats. Passent Gaston Gallimard et Roger Nimier, Jean-Paul Sartre et Simone de Beauvoir, l’ombre de Gainsbourg et un double de Balthus, entre autres. Mais au-delà du jeu de piste et de la belle galerie de personnages plus ou moins imaginaires, Pierre Van Hove et Alessandro Tota proposent une parabole subtile sur la création littéraire et son rapport au réel.
Où sont le vrai et le faux, l’avéré et le fantasmé, le bon et le mauvais, et qui a la légitimité pour en juger ? En six chapitres bien charpentés, les deux auteurs mènent leur récit tambour battant, multipliant les surprises et les rebondissements dans un livre qui oscille sans cesse entre thriller et fantaisie littéraire. Pierre Van Hove, dont Le voleur de livres est la première bande dessinée, séduit par ses ambiances des banlieues industrielles et des appartements bourgeois, comme par sa manière de faire ressortir en quelques traits la psychologie de ses personnages.
Fabrice Piault