Le Centre national du livre (CNL) a rendu publics mardi 8 avril les résultats de la 6e édition de son baromètre bisannuel « Les Français et la lecture », réalisé par Ipsos. Portant sur un échantillon de 1 000 personnes, celui-ci a pour objectif de « mesurer, sur la durée, les pratiques et les perceptions des Français vis-à-vis du livre et de la lecture, mais aussi de mieux comprendre ce qui favorise ou au contraire freine la lecture ».
Selon ce rapport, la France - qui a pourtant fait de cette pratique sa grande cause nationale - compte de moins en moins de lecteurs, ceux-ci se tournant chaque jour davantage vers les écrans. Un phénomène encore plus prégnant chez les plus jeunes. Dans le même temps, la qualité des 31 minutes consacrées en moyenne par jour à la lecture se trouve de plus en plus altérée par les distractions, notamment numériques.
Par ailleurs, si le roman figure toujours en tête des genres littéraires les plus lus, le recours au support papier recule, tandis que la lecture sur support numérique progresse. Enfin, les modèles traditionnels de recommandation connaissent eux aussi un certain changement dû à l’importance d’internet, des réseaux sociaux et à la puissance des adaptations.
Selon Régine Hatchondo, présidente du CNL, ce baromètre indique « des données inquiétantes qui nécessitent une prise de conscience individuelle et collective pour l’avenir de nos sociétés et de la filière du livre ».
Un recul de la lecture
Actuellement, seuls 56 % des Français se déclarent spontanément lecteurs réguliers, soit une baisse de 5 points par rapport à 2023. Cette diminution concerne globalement toutes les catégories (hommes, femmes, CSP+ et CSP-) ainsi que la majorité des tranches d’âge, à l’exception des séniors, dont la proportion de lecteurs réguliers a progressé de 2 points.
Le baromètre du CNL révèle également une baisse du nombre de livres lus par an, tous formats confondus : de 22 en 2023, la moyenne est tombée à 18 en 2025. Par ailleurs, seuls 63 % des Français lisent au moins cinq livres par an.
Autre tendance marquante : ceux qui lisent le font moins souvent qu’auparavant. La part des lecteurs quotidiens recule de 4 points et atteint son plus bas niveau depuis dix ans, à 45 %. Par ailleurs, 39 % des lecteurs déclarent lire de moins en moins : un record historique, en hausse de 4 points par rapport à 2023. Ce constat est particulièrement marqué chez les plus de 35 ans.
31 minutes quotidiennes
Le temps consacré à la lecture de loisir a diminué de 10 minutes par jour depuis 2023, pour atteindre aujourd’hui une moyenne de 31 minutes quotidiennes, soit 3h40 par semaine, en recul d’1h07 depuis le dernier baromètre.
La qualité d’attention durant la lecture est également en baisse : si 62 % des lecteurs sont capables de lire 30 minutes d’affilée, 27 % déclarent au contraire être déconcentrés et occupés à autre chose en même temps. La messagerie instantanée représente la principale source de distraction (18%), un phénomène particulièrement présent chez les 20-24 ans (55 %).
Alors qu’ils sont de moins en moins nombreux à lire dans les librairies et les bibliothèques (28%, soit une baisse de 6 points par rapport à 2023), les Français profitent de leurs trajets pour lire (64%), même s’ils privilégient majoritairement la lecture à domicile (97%), en particulier avant de s’endormir (46%). Pour 76% d’entre eux, lire est avant tout un loisir (-3 points), tandis que 17 % le font également dans un cadre professionnel ou scolaire (+1 point).
Pourquoi lire ?
Les lecteurs, qui sont un quart à lire pour s’évader, estiment à 73% que davantage de temps constituerait le principal levier d’incitation à la lecture, devant les discussions avec leurs proches (65%). La fréquentation des réseaux sociaux joue également un rôle non négligeable, motivant 47% des lecteurs. Le visionnage d’une série ou d’un film adapté déclenche également l’envie de lire pour 43% des lecteurs. Ce chiffre s’élève à 74% chez les 15-19 ans.
Chez les non-lecteurs, la lecture est perçue avant tout comme un moyen d’approfondir ses connaissances (28%). Toutefois, même s’ils disposaient de plus de temps, seuls la moitié d’entre eux se tourneraient vers les livres, et peu de leviers semblent réellement en mesure de déclencher chez eux un véritable désir de lecture. Et pourtant, 83 % des Français déclarent aimer lire, un chiffre qui atteint 90 % chez les femmes. Mais seulement 29% des Français déclarent adorer lire des livres (39% de femmes et 18% d'hommes).
Les écrans, principal frein à la lecture
Chez les lecteurs, le manque de temps demeure le premier frein à la lecture (68%), bien que 61% préfèrent s’adonner à d’autres loisirs. D’ailleurs, pour 68% d’entre eux, ces loisirs empiètent sur le temps de lecture. Un sentiment particulièrement marqué chez plus de 80% des moins de 35 ans. À l’inverse, les non-lecteurs justifient leur non-pratique par une préférence pour d'autres loisirs, le manque de temps et la faible appétence pour la lecture (+6 points depuis 2023).
Dans les autres activités plébiscitées par les Français, alors que 91% écoutent de la musique, les écrans (Internet, séries/films sur les plateformes et fréquentation des réseaux sociaux) occupent une place centrale (92%), en hausse de 7 points depuis 2023.
Ainsi, pendant leur temps libre, les Français consacrent en moyenne 3h21 par jour à des activités sur écran (hors lecture ou écoute de livres) soit 23h27 par semaine, en hausse de 49 minutes par rapport à 2023. À l’inverse, le temps moyen consacré à la lecture est de 31 minutes par jour, en baisse de 10 minutes par rapport à 2023, soit 3h40 par semaine, avec une réduction de 1h07 par rapport à l’année précédente.
Chez les moins de 25 ans, le déséquilibre est encore plus marqué : ils passent plus de 5h par jour devant un écran (soit 35h16 par semaine) contre seulement 3h18 à la lecture par semaine (et 28 minutes par jour). Des chiffres qui augmentent pour les écrans (+53 minutes par jour et 6h13 par semaine) et baissent pour la lecture (+13 minutes par jour et 1h26 par semaine) par rapport à 2023.
Régine Hatchondo alerte sur cette montée spectaculaire : « Pour la première fois dans son histoire, l’espèce humaine est confrontée au fait d’avoir une sorte de "doudou" greffé au bout de son bras, dernière fenêtre caressée avant de s’endormir pour reprendre les mots d’Alain Damasio, et la première ouverte au réveil. Face à cette omniprésence des écrans dans nos vies, à l’enfermement algorithmique et à la fragmentation de l’attention créés par les réseaux sociaux, la lecture est menacée ».
Le roman en majesté
Sans grande surprise, le roman demeure le genre littéraire le plus lu (70%). Une statistique d’autant plus parlante cette année que les romans sentimentaux (dark et new romance) enregistrent un bond de 16 points (28%), séduisant en particulier les moins de 20 ans (47%). De leur côté, les 20-34 ans favorisent davantage la science-fiction, tandis que les plus de 35 ans se tournent majoritairement vers le policier.
Parmi les genres littéraires les plus plébiscités on retrouve également les livres pratiques (52%), d’histoire (46%) et les bandes dessinées (43%). Ces dernières connaissent cependant une baisse de 5 points par rapport en 2023, un recul observé dans toutes les catégories de lecteurs. Les mangas et comics, quant à eux, conservent une place importante dans les lectures des moins de 25 ans (44%), malgré une baisse sensible (-7 points), et continuent leur progression chez les 25-49 ans (+3 et +2 points).
Le format numérique progresse
En ce qui concerne les formats, le papier connaît un certain recul (-4 points vs 2023), enregistrant un score historiquement bas avec une moyenne de 13 livres lus par an. De la même manière, le numérique recule légèrement par rapport à 2023 (-1 point), même s'il a nettement progressé en 10 ans (+6 points).
Le format numérique séduit 28% des 15-34 ans, tranche d’âge la plus adepte du support. Même tendance pour le livre audio, qui gagne du terrain (+2 points vs 2023 et +14 points vs 2017). Un tiers des Français l’ont déjà testé, dont 58 % des 15-19 ans.
Les grandes surfaces culturelles contre les librairies généralistes
D’après le CNL, les Français délaissent les bibliothèques (seulement 23%, en recul de 5 points, y empruntent des livres, soit le niveau le plus bas depuis 10 ans) et les librairies généralistes (66% les fréquentent, en recul de 7 points vs 2023) pour se tourner vers les grandes surfaces culturelles (75%, en hausse de 6 points vs 2023).
L’éloignement reste la première raison invoquée pour ne pas acheter de livres en librairie (50%), même si ce motif est un peu moins cité qu’en 2023, avec une baisse de 6 points. En revanche, l’absence d’offres de livres d’occasion, de formats numériques ou d’autres produits dans les librairies est mentionnée plus fréquemment qu’auparavant (respectivement +4 points par rapport à 2023). Car après une importante progression en 2023, l’achat de livres d’occasion tend désormais à se stabiliser (39%) mais continue de progresser de manière importante chez les lecteurs de 25-34 ans (+12 points vs 2023).
Les modes de prescription évoluent
Si les lecteurs sont davantage influencés par les conseils de leurs proches (87%), le résumé au dos du livre (85%) ou la connaissance de l’auteur (84%), Internet endosse désormais un rôle de prescripteur (55%). En effet, les amateurs de livres estiment majoritairement qu’une présence en ligne, qu’il s’agisse d’un livre ou de son auteur, suscite chez eux l’envie d’acheter l’ouvrage. Pour les plus jeunes d’entre eux, l’impact est encore plus fort (91%).
Des facteurs déterminants ?
La lecture durant l’enfance apparaît comme un facteur déterminant dans les habitudes de lecture à l’âge adulte : 66% des grands et moyens lecteurs (plus de 5 livres par an) estiment que la lecture tenait une place importante dans leur famille lorsqu’ils étaient enfants contre 37% des non-lecteurs. Dans le même sens, les moyens et grands lecteurs sont plus nombreux à affirmer que leurs parents lisaient eux-mêmes : on observe un écart de 15 points entre les moyens (70%) et les petits/non lecteurs (55%).
