Ça commence et finit toujours de la même manière. Le Martray, mon amour et puis, je t'aime, Shamouth, je t'embrasse. Naissance et mort. Chaque lettre en est une petite. Chaque jour où Philippe Sollers est « retiré » (car c'est bien de cela au fond qu'il s'agit) dans sa maison de l'île de Ré, il écrit à Dominique Rolin en son (leur) appartement de la rue de Verneuil à Paris. Que lui dit-il ? Les plaisirs et les jours. C'est souvent le petit matin, les mouettes, les canards qu'on attend, les arbres dans le jardin, les parties de tennis et eux, éternellement eux.
Sollers se sent seul. Il en tire une satisfaction morose et sensuelle. Bien sûr, ici ou là, il a la dent dure. Sur ceux qui nous gouvernent, son époque (« les gens sont complètement pris dans le spectacle. Ils ne font que ruminer sur place leur image, par rapport aux autres (...) C'est la maladie sociale habituelle mais multipliée par un million. »), l'acculturation générale. Mais l'essentiel n'est pas là, l'essentiel c'est ce « dialogue », engagé avec une femme aimée, sur les auteurs d'un passé dont il réprouve qu'il soit bel et bien passé, sur les peintres, les arts, la civilisation (dont Venise, surnommée « la 32 », du numéro de la chambre d'hôtel qu'ils y partagent deux fois par an) dont Venise demeure l'exemple subitement agonisant. On voit monter peu à peu chez lui un mépris du contemporain et de son pays en ces temps qui lui inspirera bien vite sous sa plume l'expression « la France moisie ». Lui est un homme des Lumières et de la joie. Pour le demeurer, une seule solution, le travail. Un travail acharné. « L'espace ? Vide. Le Temps ? Silencieux. Il ne reste plus qu'à écrire. » Et un travail qui se donne l'infinie élégance de ne pas s'afficher comme tel.
Bien sûr, il ne faut pas oublier qu'il s'agit bel et bien ici d'une correspondance amoureuse faisant suite à Lettres à Dominique Rolin 1958-1980, (Gallimard, 2017). A la lecture de ces pages, on a l'impression que le « couple », sans doute conviendrait-il mieux de parler de complices, trouve son équilibre dans cet échange qui est aussi fondamentalement littéraire. Dominique Rolin est une muse autant qu'une partenaire de « jeu ». Sollers s'en veut un peu parfois de ne pas assez lui « renvoyer la balle. » « J'ai eu tellement de guerres à faire, que je me reproche souvent de n'avoir pas fait assez pour toi...» . Qu'importe, ils sont indéfectiblement au diapason de leur « passion fixe » , titre d'un des plus beaux livres de l'auteur de Paradis, de leurs passions. Autant dans ses propres lettres Lettres à Philippe Sollers 1958-1980, (Gallimard, 2018), Dominique Rolin révélait un tempérament sublime d'amoureuse, autant Sollers est plus sur un quant-à-soi qui tient une bonne fois pour toutes l'amour en principe et même en principe constitutif. Se faisant, il révèle aussi toute sa solitude de dernier fils des grands maîtres. On attend maintenant les réponses de la toute et bien-aimée.
Lettres à Dominique Rolin, 1981-2008
Gallimard
Tirage: 4 000 ex.
Prix: 19 euros ; 336 p.
ISBN: 9782072854521