Christine Le Bœuf est morte le 3 février au Paradou, à l'âge de 86 ans, annonce Actes Sud, maison qu'elle avait co-fondée avec son époux, Hubert Nyssen (1925-2011). Petite-fille du banquier et mécène Henry Le Bœuf, Christine Le Bœuf est née à Bruxelles en 1935. Naturalisée française en 1976, neuf ans après son mariage, elle travaille en tant qu'illustratrice pour Epigones, L'Ecole des Loisirs, Hachette et d'autres éditeurs de 1968 à 1986. Dès la création d'Actes Sud, en 1978, et jusqu'en 1991, Christine Le Bœuf réalise également les couvertures de tous les livres de la maison, en plus de la création d'illustrations originales.
A partir de 1986, elle se lance dans la traduction de textes anglais et américains pour l'éditeur. On lui doit les versions françaises des livres de Paul Auster, Martha Graham, Siri Hustvedt, Robin Chapman, Arthur Conan Doyle, André Dubus, Jeanne Goosen, Ron Hansen, Sherif Hetata, David Homel, Frank Huyler, Dan Kavannagh, Roy Lewis, Jack London, David Plante, Luc Sante, Bapsi Sidwah, George Steiner, Marly Youmans, Bahiyyih Nakhjavani et Alberto Manguel, entre autres.
Pour Bahiyyih Nakhjavani (La femme qui lisait trop), "Christine semblait posséder ce mystérieux pouvoir de lire, entre les mots, ce qui n’était pas écrit". Et d'ajouter : "J’ai parfois eu l’impression qu’elle avait compris les tenants et aboutissants de mes origines et de mon environnement culturel bien mieux que moi-même. Elle avait, littéralement, pris résidence sous ma peau, dans mon crâne, mon gosier. Possédée comme elle était, je le sais, par les textes qu’elle traduisait, elle nous possédait néanmoins, nous autres écrivains, et elle nous re-créait."
Dans son hommage, Alberto Manguel (Une histoire de la lecture) se souvient : "J’ai le souvenir de tellement de moments partagés, de confidences, de ce bonheur que j’ai eu à connaître Christine – seule, mais aussi avec Hubert. Quand ils parlaient des débuts d’Actes Sud, quand ils réagissaient face à la bêtise de notre époque, quand ils commentaient les livres qu’ils lisaient, je faisais mon apprentissage tout en me sentant adopté par eux comme un enfant égaré dans une immense bibliothèque." "Au fil des années, Christine est devenue ma conscience littéraire. La mort d’un ami entraîne toujours une absence irréparable. Dans le cas de Christine, c’est une amputation. Je sens qu’un bras me manque, ou une partie de mon cerveau, celle qui exigeait de moi toujours plus de précision et de clarté. J’ai du mal à imaginer le monde sans elle" conclut-il.