Yves Courrière a été vertement condamné, le 30 juin dernier, par la Cour d’appel de Paris pour ne pas avoir livré en temps et en heure le manuscrit sur la famille Maeght, commandé par Fayard en 2001 et qui devait être livré trois ans et demi plus tard. L’auteur, qui a invoqué des problèmes médicaux, doit rembourser l’à-valoir perçu, soit 82 000 euros… (voir actualité du 9 juillet 2010 ) Il ne s’agit pas ici de savoir qui, de la pieuvre Lagardère ou de l’écrivain très tardif a moralement raison, mais de rappeler quelques règles aux professionnels de l’édition, qu’ils soient d’un côté ou de l’autre de la barre. L’à-valoir est un animal de plus en plus mythique, auquel rêvent tous les auteurs. Lorsqu’il apparaît enfin, au sein d’un contrat d’édition, l’écrivain doit s’enthousiasmer avec prudence, car l’à-valoir possède quelques défenses naturelles qu’il vaut mieux connaître avant de signer. Le terme « à-valoir » n’est pas synonyme de « minimum garanti ». L’à-valoir stricto sensu n’est qu’une avance sur des droits que vont éventuellement générer les futures ventes du livre. En clair, l’éditeur ayant accordé un généreux à-valoir à un auteur « qui promet » peut lui demander, en bout de course, la restitution des sommes versées en trop. C’est pourquoi certains auteurs s’assurent que le contrat comporte bien une précision selon laquelle « l’à-valoir s’analyse également comme un minimum garanti à l'auteur. De ce fait, il lui reste définitivement acquis sauf défaillance de l'auteur à remettre son manuscrit définitif dans les formes et délais stipulés ». Une règle — peu juridique mais facilement vérifiable — veut que lorsqu’un auteur se voit commander un livre mais n’a pas perçu d’à-valoir, il n’est pas toujours très motivé. Et si, par miracle, il a bénéficié d’un coquet à-valoir, il le dépense rapidement et n’est donc pas plus motivé pour se mettre à la tache… Il arrive aussi que l’éditeur soit, à son tour, démotivé et que — pour des raisons parfois obscures — il revienne soudainement sur sa promesse d’éditer l’ouvrage. De nombreux contrats d’édition prévoient donc que l’à-valoir « déjà versé sera considéré comme une indemnité forfaitaire en cas d’arrêt, du fait de l’éditeur, du projet de publication ». En droit, ce type d’anticipation s’appelle une « clause pénale ». Or, les juges ont la faculté de réviser le montant prévu dans une clause pénale (que ce soit à la hausse ou à la baisse !). Bref, pour l’auteur, cette clause peut aisément être remise en cause devant les tribunaux. Quant aux délais, tant de remise des manuscrits que de leur publication, ils sont sources de querelles incessantes entre auteurs et éditeurs. La jurisprudence n'examine cependant pas les retards avec la même rigueur selon qu'ils sont le fait du créateur ou de sa maison d'édition. La délivrance, dans les délais, du manuscrit commandé constitue une des obligations principales du contrat d'édition. À ce titre, l’article L.132-9 du Code de la propriété intellectuelle précise que l'auteur doit «  remettre à l'éditeur, dans le délai prévu au contrat, l'objet de l'édition en une forme qui permette la fabrication normale  ». Mais la jurisprudence a toujours considéré que les délais imposés à l'auteur relevaient d'une utopie non conforme avec les vicissitudes de la création. En clair, le délai de remise du manuscrit est rarement de rigueur, puisque la tolérance des juridictions couvre fréquemment le retard de plusieurs semaines voire autorise celui de plusieurs mois. Les magistrats en appellent à la notion de «  délais raisonnables  » comme aux usages de la profession... La Cour d'appel de Paris a pu ainsi juger, en 1996, que l'ancienneté des relations avec l'éditeur, les changements successifs de planning de sa part et l'absence d'envoi à l'auteur d'une mise en demeure étaient autant d'excuses au profit d'un écrivain en retard d'une année. De même, la grave maladie du romancier, la survenance de faits inattendus qui modifient le traitement du sujet du livre sont encore des raisons qui plaident en faveur d'une sorte d'impunité des retards. En l’occurrence, Yves Courrière n’a sans doute pas fait valoir dans les formes d’arguments médicaux suffisamment solides. En l'absence de précisions contractuelles, les juridictions ne sanctionnent véritablement que les dépassements des seuls auteurs de livres dits « d'actualité » : biographie succincte d'une personnalité récemment décédée, document sur un événement qui a fait la une des journaux... L'éditeur aura donc tout intérêt à préciser au contrat que le délai de remise de la copie est une condition essentielle et déterminante de sa conclusion. Si possible, il visera expressément la raison qui rend crucial le respect du calendrier : commémoration importante, saisonnalité des ventes d’un guide de voyage ou d'annales du baccalauréat, nouveau millésime d'un classique attendu pour les fêtes, etc. À défaut, il a peu de chances de récupérer sa mise. Ou se retrouvera contraint de publier à contretemps, après tous ses concurrents.
15.10 2013

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