Les hommes politiques ne sont pas des auteurs comme les autres. En période préélectorale, lorsque leurs livres sont surtout des présentations de programme, les séances de dédicaces présentent un risque de marquage politique pour les librairies qui les reçoivent. Au Furet du nord, Muriel Bonnet Laborderie, directrice de la communication, explique qu’alors "l’enseigne ne reçoit aucun candidat". "Notre espace rencontres n’est pas une tribune. Mais, précise-t-elle, en dehors de ces moments, nous recevons les politiques de tous bords." A L’Amandier, à Puteaux (92), où Nicolas Sarkozy est venu dédicacer en mai La France pour la vie, "c’est au titre d’ancien président de la République, et non de candidat, que nous l’avons reçu", souligne Julie Bacques, qui n’avait jamais accueilli de politique.
Mais nombre de libraires n’hésitent pas à jouer la carte de telles rencontres. Eric Kribs (Kléber, à Strasbourg) invoque "le rôle de la librairie dans le débat public". Pour autant, "on fait attention à ne pas choquer notre clientèle", avertit Anne-Sophie Thuard (Thuard, au Mans), qui n’invitera "jamais les extrêmes".
De très bonnes ventes
Pour un libraire, recevoir un homme politique présente surtout un intérêt économique. "Les ventes sont souvent très bonnes, car c’est l’occasion pour les militants d’acheter l’ouvrage", observe Laurent Bertail (relations libraires chez Albin Michel). Au Mans, Anne-Sophie Thuard évoque la vente de 300 à 400 exemplaires de Changer de destin lors de la venue de François Hollande en février 2012, et de 230 exemplaires de Faire lors de celle de François Fillon le 26 septembre 2015. Julie Bacques annonce, lors de la dédicace de Nicolas Sarkozy, "135 exemplaires vendus en une heure, contre 50 en moyenne pour les très bonnes signatures d’auteurs littéraires".
Si ces rencontres sont rentables, leur organisation est contraignante. "Il faut se caler sur l’agenda de l’homme politique et, s’il accepte d’intégrer des signatures à son programme, trouver un libraire partenaire", observe Philippe Dorey, directeur commercial de Lattès. "On n’a guère de choix sur le calendrier, confirme Stanislas Rigot (Lamartine, Paris 16e). Pour Sarkozy, on ne nous a proposé qu’une date. Evidemment, on a pris !"
Dès lors, la machine est lancée. En quelques jours, il faut rencontrer le staff de la personnalité et l’équipe de l’éditeur, faire venir les ouvrages, annoncer l’événement… "En fait, toute l’organisation passe par l’appareil, constate Stanislas Rigot. Par rapport aux autres rencontres, c’est un autre monde.""Tout est hyperminuté, préparé à l’avance avec beaucoup de rigueur", confirme Muriel Bonnet Laborderie. "Alors qu’habituellement nous avons la main sur tout, là c’est le staff du politique qui gère", poursuit Julie Lannot, chargée de l’événementiel chez Cultura.
Eric Kribs pointe aussi l’importance du dispositif sécuritaire : "Il faut prévenir la police, renforcer le nombre de vigiles, s’entretenir avec les gardes du corps…" Un dispositif lourd auquel il convient souvent d’ajouter la présence des médias… qui permet toutefois de prolonger les ventes au-delà de la rencontre. C. N.