Il est une vieille lune de la 17e chambre, que ceux qui y sont traînés assimilent parfois à la lumière au bout du tunnel de leur infortune et à la pâle lueur de laquelle ils tentent de se réchauffer. C’est la distinction entre la diffamation et l’injure.
Il faut savoir, en effet que, bien davantage que la plupart des autres formations correctionnelles, la 17e chambre, qui juge de ce que l’on appelle les délits de presse, est très à cheval sur le respect des règles de droit et qu’elle a une analyse stricte des motifs pour lesquels elle est saisie.
Ainsi, pour simplifier à l’extrême, si le plaignant fait citer son adversaire pour l’avoir diffamé, il faudra que les juges caractérisent l’imputation par ce dernier d’un fait précis. S’ils n’y parviennent pas, ils considéreront que le justiciable ne se plaint que d’une injure et le renverront à mieux se pourvoir.
Parfois, la distinction est subtile. Sale pédophile, par exemple, peut être analysé comme une atteinte à l’honneur et à la réputation et, dès lors être considéré comme diffamatoire. Cependant, au regard du caractère extrêmement général du propos et de la difficulté d’apporter la preuve contraire, on peut tout aussi bien le qualifier d’injurieux.
Pour la défense, c’est un sport aussi traditionnel que le cricket peut l’être pour les Anglais, que de soutenir mordicus l’inverse de ce qu’avance le plaignant. Elle s’attache ainsi, selon les cas, à démontrer, avec — évidemment — chaque fois autant de passion et d’ingéniosité, que des propos qualifiés de diffamatoire ne sont en réalité que des injures ou que les injures reprochées, s’articulant autour de faits précis, revêtent tous les caractères de la diffamation.
Du côté de la barre abritant les conseils de ceux qui ont porté l’affaire en justice, on s’emploie nécessairement à faire l’inverse. Le ministère public, qui représente la société, est amené, chaque fois, à donner son avis sur la qualification à retenir et à requérir en conséquence.
Passes d'armes amusantes
Cela donne parfois lieu, lorsque — ce qui est toujours le cas — l’un des conseils est en désaccord avec les réquisitions, à des passes d’armes amusantes. Ainsi fut-ce le cas récemment, dans un dossier où le prévenu avait accusé le plaignant d’être un violeur et où ce dernier l’avait fait citer pour diffamation devant le Tribunal correctionnel.
La procureure avait mollement requis que les propos, généraux, qu’elle jugeait comme n’étant pas appuyés par des exemples déterminants, lui paraissaient revêtir le caractère d’une injure et non d’une diffamation et en avait conclu qu’une relaxe lui paraissait de ce chef s’imposer.
Reprenant la parole après l’avocat de la défense, qui s’était réjoui de la formidable lucidité du parquet dans ce dossier, le conseil de la partie civile n’avait pas cherché à dissimuler son agacement. J’ai entendu, avait-il dit d’une voix à la colère contenue, les réquisitions de Madame la représentante du ministère public, aux termes duquel elle considère que le fait d’accuser quelqu’un de viol, en donnant le prénom de la personne prétendument violée ainsi que les moyens employés pour y parvenir, devrait s’analyser, non en une diffamation mais en une simple injure et je me permets de reprendre la parole pour fournir au tribunal quelques éléments d’analyse.
La diffamation diffère de l’injure en ce qu’elle se targue de révéler des faits qui, par nature, sont exacts et ne procèdent pas de la seule appréciation de la personne qui les révèlent. Ainsi, accuser quelqu’un d’avoir des relations sexuelles par violence, menace ou contrainte, ce n’est pas une injure, dès lors que, si ces faits s’avéraient exacts, ils seraient susceptibles d’être sanctionnés.
À l’inverse, dire de son semblable que c’est un idiot, un abruti, un crétin ou une tanche, c’est une injure car aucune punition n’est prévue par le code pour appartenir à l’une ou l’autre de ces catégories. Par ailleurs, et c’est sans doute encore plus essentiel, contre l’injure, à la différence de la diffamation, on ne peut apporter aucune preuve.
Pas la truite la plus oxygénée du ruisseau
Si je disais, par exemple, que Madame la Procureure de la République a été stipendiée par la partie adverse pour aboutir à des réquisitions aussi ridicules, je me rendrais coupable d’une diffamation, non seulement parce que les faits dénoncés revêtent le caractère d’une infraction pénale mais encore et surtout parce l’on peut discuter de la base factuelle d’une telle accusation.
À l’inverse, si j’affirmais que Madame la procureure de la république, démontre, par ses réquisitions, qu’elle n’est pas la truite la plus oxygénée du ruisseau, qu’elle a le quotient intellectuel d’une huître et le charisme d’une praire, c’est-à-dire qu’elle est, en résumé, une parfaite abrutie, je proférerais une injure dès lors que Madame la Procureure ne serait jamais capable de démontrer l’inverse.
Dès lors, et puisque l’on peut au moins tenter de démontrer que l’on n’est pas un violeur, ce qui n’est pas le cas si l’on vous accuse d’être un imbécile, il apparaît que la diffamation est ici caractérisée, contrairement à ce qui a pu être requis.
Sur cette implacable démonstration, il s’était rassis, incertain d’avoir emporté la conviction du Tribunal mais au moins soulagé d’avoir exprimé, le plus exactement possible, son sentiment.