La police n’est plus ce qu’elle était. Nourris que nous sommes de littérature noire et de films d’action, nous avons tendance à nous représenter deux images opposées du policier : celle du cascadeur intrépide, allant de poursuites interminables en cascades invraisemblables pour in fine interpeller le malfaiteur non sans avoir abandonné quelques plumes et quelques illusions ; et celle de l’enquêteur plus cérébral et plus humain à la Maigret ou à la Columbo, qui parvient à identifier le meurtrier par la force de sa déduction, voire de son ressenti plutôt que par le volume de ses muscles ou sa vitesse de course.
Ces deux images sont devenues aussi fausses l’une que l’autre. Le flic moderne n’a plus qu’un lointain rapport (en trois exemplaires, s’il vous plaît) avec le fonctionnaire d’avant.
Un exemple. Vous êtes libraire, vous rentrez de vacances. Le soleil était généreux, l’humeur vagabonde et la circulation d’une fluidité post-olympique. Las, une mauvaise surprise vous attend : votre commerce a été visité. Étonnamment, ce ne sont pas tant les livres qui intéressaient les voleurs que le reste, la caisse, les ordinateurs et imprimantes, les téléphones portables, du mobilier et du matériel cuisine et, aussi, la clef de la camionnette et le véhicule qui allait avec. Quand les policiers que vous avez contactés arrivent, la première question qu’ils posent vous désarçonne : votre boutique est-elle équipée de caméras ?
Le policier passe plus de temps souris en main plutôt que flingue
Vidéosurveillances, géo-localisations, interceptions de communications, recherche et analyses des réseaux sociaux. Les investigations à l’ancienne, toutes ces planques et filatures qui ont rythmé notre enfance et peuplé notre imaginaire, sont un lointain souvenir. Devenu un geek, le policier passe plus de temps devant l’écran de son ordinateur que derrière un volant, souris en main plutôt que flingue. La reine des preuves n’est plus l’aveu mais la photographie en gros plan, la borne téléphonique ou encore la reconnaissance vocale.
Cela ne se sait pas assez, mais la grande majorité des enquêtes judiciaires, qu’il s’agisse de trafics de drogue, de rixes ou de règlements de compte, d’escroqueries ou de vols avec violence, est résolue sans faire appel au flair des enquêteurs ; uniquement grâce aux progrès de la technique.
Big brother is watching you
Big brother is watching you, le slogan du monde futuriste tel que créé par George Orwell dans son roman 1984 est devenu réalité. Marcher dans la rue, se promener dans un parc, se garer dans un parking, monter dans un ascenseur, aller au restaurant ou assister à un match de football, rencontrer ou embrasser quelqu’un, commercer avec lui, toutes ces actions jadis secrètes sont à présent filmées, scrutées, décomposées ou déstructurées si le besoin s’en fait sentir.
On peut connaître votre emploi du temps, vos fréquentations, vos distractions, vos pensées, on peut, encore mieux que vous, savoir qui vous êtes. Le secret n’existe plus, l’intimité n’existe plus, la transparence est la règle.
Ce qui va vous aider, vous libraire, à retrouver ce qui vous appartient puisque vos cambrioleurs seront rapidement identifiés, interpellés voire punis, a en revanche de quoi inquiéter. Car ce qui, en démocratie, n’est qu’un outil qu’on espère le plus efficace possible, peut s’avérer, dans un régime plus totalitaire, une arme redoutable à disposition du pouvoir.
Sécurité contre liberté, en somme. Ne nous leurrons pas : un jour, peut-être bien plus tôt que l’on pense, il nous faudra choisir.