Peu enclins aux concessions, Hervé « DOA » Albertazzi et le réalisateur Michaël Souhaité jettent l'éponge, aux alentours de 2006. Les exigences pusillanimes des grandes chaînes de télé ont la peau de leur minisérie noire avant même l'amorce de son éventuel tournage. Des mois de boulot partent à la benne. Qu'à cela ne tienne, la bible s'étoffe, mute et prend aujourd'hui les traits majuscules de l'authentique « Série Noire ». Nous saurons plus tard, ou jamais, ce qu'aurait pu valoir son passage à l'image, mais la puissance intrinsèque du livre ne laisse guère de place aux regrets. Tous les détails d'un synopsis contribuent à la cinégénie du texte et on est aux anges.En revenant aux basiques du polar, avec condés et voyous, larrons en foire à l'occasion, l'auteur de Citoyens clandestins ou Pukhtu nous régale en sépia sang séché et blanc alcaloïde. Pas besoin d'effets pelliculés pour voir Delon, Ventura et tous leurs héritiers du jour, suburbains et métissés, se débattre au-delà du périphérique, là où la taille de ta bagnole indique clairement ton rang dans la chaîne alimentaire. Gros moteur, gros pouvoir, et c'est marre. Les formules à l'ancienne, cash et détourées par Audiard et Céline accoudés au même zinc, disent que les flics sont flics, désabusés et borderline, que les vilains sont vilains, machistes et méchants, bas du front ou juste humains en de rares occurrences. Et comme à la roulette russe, on y perd la vie ou on y gagne la Santé, celle du boulevard Arago. Embastillés entre ses grilles, Théo et Momo, le poulet détruit et le caïd discuté, y continuent le job à distance, une gamine perdue pour l'un, une nièce à protéger pour l'autre. Camille et Lola. Ils gèrent et se débattent, à la fois maîtres du jeu et piégés par les mailles du filet qui les entrave. D'où sans doute ce titre énigmatique, Rétiaire(s), du nom de ces gladiateurs voués à la mort dès leur entrée dans l'arène, mais qui, armés d'un trident, d'un poignard et d'un filet de pêche donc, défendaient chèrement leur peau, des fois qu'un pouce impérial dressé côté ciel leur annonce l'improbable affranchissement.
Ponctué de quelques interludes informatifs consacrés aux tortueux chemins internationaux du trafic de cocaïne et autres poudres néfastes, le livre fuse sur un rythme aussi saccadé que les crachats d'une arme automatique. Entre manouches et barbus, en désaccords violents ou violons accordés, selon les nécessités affairistes, les trahisons s'enchaînent, souterraines un temps, avant d'émerger et déclencher les tempêtes. Entre le parcours jusqu'à Concarneau d'un flingue pas très net sous la gâchette, les virulences de la promiscuité carcérale et un magistral coup de filet (on y revient) méditerranéen en approche, tout s'emballe. Les infos s'imbriquent, la grosse estocade se dessine et la pression monte plus vite que les ascenseurs martyrisés des cités. Sans états d'âme, les mafias lâchent une part du gâteau pour faire bonne figure et se débarrasser des branches faillibles de leurs organisations. Quant à la police, elle peut gonfler positivement ses statistiques. Mais la majeure partie des butins transatlantiques continue de déterger proprement les parois nasales européennes. Et donc, conformément à une autre formule cinématographique et amère : jusqu'ici tout va bien...
Rétiaire(s)
Gallimard
Tirage: 20 000 ex.
Prix: 19 € ; 432 p.
ISBN: 9782072927010