Dossier Documents de l’hiver

Documents de l’hiver : la politique au centre

Alain DENANTES/GAMMA-RAPHO

Documents de l’hiver : la politique au centre

Dans la perspective des élections municipales et européenne, les thèmes politiques et économiques dominent les programmes éditoriaux d’essais et de documents pour l’hiver 2014. Aux enquêtes sur les collectivités locales ou sur l’Europe s’ajoutent les premiers bilans du pouvoir en place et les analyses économiques.

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Par Hervé Hugueny
Créé le 12.12.2013 à 23h25 ,
Mis à jour le 09.04.2014 à 17h41

2014 sera à nouveau une année d’élections, des plus locales aux plus larges en termes de territoires concernés. Les municipales (23 et 30 mars) et le scrutin européen à suivre (25 mai pour la France) suscitent déjà agitation, espoir ou angoisse dans la presse et la classe politique, suivant le sort promis aux candidats au fil des sondages. Les méthodiques pourront recourir à des antisèches, comme le Guide du bureau de vote (La Documentation française, 10 euros) ou L’indispensable du bureau de vote (Fabrice de Fanti, Berger-Levrault, 9 euros). Pour ceux qui se voient déjà sortis vainqueurs de l’isoloir, le même éditeur publie Les régies des collectivités territoriales (Gilles Margall, Berger-Levrault). Et Pierre Conesa rappelle aux angoissés un principe défini au début du siècle dernier par Henri Queuille, inébranlable pilier du parti radical : Surtout ne rien décider : manuel de survie en milieu politique (Robert Laffont). Les plus sérieux des novices pourront se reporter à l’Introduction à la science politique (Pierre Baudewyns et al.) chez De Boeck. Autre éditeur juridique avisé, LexisNexis annonce Communication & marketing de l’homme politique (Philippe J. Maarek), sur l’histoire, la technique et les instruments du marketing politique. Encore plus direct sur le rôle du pouvoir qui consiste à « proposer des façons de penser et de gagner le consentement des habitants », J. de Leggedétaille Les propagandes nécessaires au Cherche Midi.

 

Le métier de maire

 

Il semble toutefois que certains abusent de ces trucs et astuces, accuse Jean-Baptiste Forray dans Ces élus qui osent tout : la comédie du pouvoir en version locale (Flammarion). Laurence Chavane fustige La gabegie des régions : un millefeuille à 250 milliards d’euros (Plon). Sous un titre plus sobre, René Dosière, maire de Laon, le tenace député PS qui traque les gaspillages d’argent public dans de nombreux rapports et enquêtes, dénonce aussi les aberrations du fonctionnement des collectivités dans Le métier d’élu local (Seuil). Bénédicte Boyer fait la part des choses dans La vie rêvée des maires : sacerdoce enchanté ou enfer programmé ?.Frédéric Besset, qui porte l’écharpe tricolore à Saint-Leu-d’Esserent (Oise), se montre résolument enthousiaste dans Etre maire, le plus beau des mandats : convaincre, agir et… transmettre pour faire respirer la vie locale (Victoires).

Vedette des sondages, que de nombreux candidats de gauche appelleront en renfort de leur campagne, Manuel Valls suscite un des rares portraits politiques publiés cet hiver : Valls, à l’intérieur par Laurent Borredon et David Revault d’Allonnes chez Laffont. Candidat dans sa bonne ville d’Evry, en troisième place sur la liste PS, le ministre de l’Intérieur prend aussi la parole dans un livre d’entretiens sur La laïcité en face, avec Virginie Malabard, réédité chez l’éditeur religieux Desclée de Brouwer. De son côté, Jacob-Duvernet a commandé à Franck Guillory une biographie du littéraire de l’UMP, remarqué pour divers récits sur l’exercice du pouvoir : Bruno Le Maire : itinéraire d’un contestataire.

L’Archipel, bien rodé à la publication de documents politiques, se penche sur Les roitelets ou La France des fiefs en s’intéressant à dix métropoles, sous la direction d’Olivier de Lagarde. Philippe Alexandre et Béatrix de l’Aulnoit s’intéressent plus particulièrement aux baronnies du PS dans Heureux comme un socialiste en France (Plon). Max Milo profite de ces élections locales pour dresser en quelque 400 notices une sorte de dictionnaire pas du tout amoureux de délits commis par des élus dans Politiques, reprise de justice, « coécrit par un élu et une journaliste », non nommés. En raison de ces scandales multiples, Donato Pelayo se montre radicalement désespéré par La République exténuée ou La faillite des élus aux éditions de Paris-Max Chaleil. Julien Martin raconte l’histoire consternante du couple qui dirige Levallois-Perret depuis trente et un ans, Les Balkany (Plon).

 

Utopies et réalités

 

Depuis la Belgique, Pascal Delwit décrit, avec la sérénité et le recul de l’universitaire, Les partis politiques en France (éditions de l’Université de Bruxelles). Pendant les rudes années 1930, la philosophe Simone Weil était plus tranchante, ainsi qu’on peut le lire dans ses Notes sur la suppression générale des partis politiques, redécouvertes par L’Herne. L’Eclat exhume aussi les textes de 1923 d’une figure du siècle dernier, Vladimir Ilitch Lénine, pour éclairer les tourments actuels, dont Mieux vaut mieux que plus, écrit quelques mois avant sa mort. Gérard Mermet, qui décortique annuellement la France dans ses Francoscopie, lance un appel : Réinventons la France ! Manifeste pour une nouvelle démocratie (L’Archipel). Mohammed Chirani évoque une Utopie française : notre défi du vivre ensemble (Editions nouvelles François Bourin), ce que souhaite aussi Martine Le Poulennec dans Vivre ensemble : une utopie nécessaire (Riveneuve). Dans Roms & riverains : le retour municipal de la race (La Fabrique), Eric Fassin, Carine Fouteau, Serge Guichard et Aurélie Windels se penchent sur un cas de mal vivre ensemble. Laurent Bouvet voit dans ces tensions et le vote néopopuliste annoncé les conséquences de L’insécurité culturelle (Fayard). Pierre Rosanvallon estime qu’il s’agit plutôt d’un déficit d’écoute et de parole auquel il veut remédier avec Raconter la vie, la maison qu’il lance tout juste en janvier, et dont il explique les objectifs dans Le parlement des invisibles (1).

 

La montée de l’extrême droite

 

La progression de l’extrême droite est étudiée sur le terrain dans une commune devenue emblématique, par Haydée Sabéran, correspondante de Libération dans le nord de la France (Bienvenus à Hénin-Beaumont : un laboratoire du Front national, La Découverte). Pascal Perrineau examine La France au Front : essai sur l’avenir du FN (Fayard). Yves Jégo imagine l’application du programme du FN dans La course à l’abîme, chez First. Dans un pense-bête à 3 euros chez Librio, afin d’en favoriser la diffusion, La Gauche forte publie Le guide anti-FN. Lucide, Aurélien Bernier explique La gauche radicale et ses tabous : pourquoi le Front de gauche échoue face au Front national (Seuil). Et Danielle Tartakowsky met au jour une caractéristique des manifestations déniant la légitimité du pouvoir lorsque la gauche l’occupe dans Les droites et la rue : histoire d’une ambivalence (La Découverte). Ex-leader d’un mouvement qui l’a précisément doublée par la droite, Frigide Barjot témoigne de son opposition inentamée à la loi sur le mariage pour tous (Ils ne savent pas ce qu’ils font, Salvator).

 

Le bilan du pouvoir

 

Ces scrutins successifs fournissent aussi un contexte favorable à la publication des premiers bilans de l’action de la gauche, au pouvoir depuis mai 2012. C’est assez critique : Ça va normal finir, anticipe Cécile Amar (Grasset) à propos de François Hollande. Cyrille Lachèvre et Marie Visot s’emportent contre Les sales gosses de la République (Michel Lafon), en pointant «les ego de certains ministres ». Jacques Cotta dresse un état des lieux désabusé (Deux après, les socialistes…, J.-C. Gawsewitch). Dominique Sopo regrette La grande peur des belles âmes : la gauche et l’antiracisme (Grasset). Guillaume Evin et Philippe Martinat partent d’un propos de campagne pour vérifier s’il résiste à la réalité du pouvoir dans Hollande et l’argent : enquête sur l’homme qui n’aimait pas les riches (éditions du Moment). Dans leur enquête sur la réforme bancaire, lamentablement ratée à leurs yeux, Adrien de Tricornot, Franck Dedieu et Mathias Thépot reformulent une autre déclaration du candidat socialiste : Mon amie, c’est la finance : la soumission du pouvoir politique aux banques (Bayard).

 

La résistance de la finance

 

Prolongement naturel des enquêtes politiques, les analyses des dysfonctionnements économiques convergent vers le même constat : la finance et le capitalisme sont toujours vaillants, en dépit des innombrables dénonciations de leurs excès. Pour Jean-Louis Servan-Schreiber, la messe est dite : Pourquoi les riches ont gagné, explique-t-il chez Albin Michel. Dans la même maison, Sophie Coignard et Romain Gubert étudient La caste cannibale : quand le capitalisme devient fou. Thierry Lamorlette, Patrick Rassat et Kristina Clément semblent pourtant très rationnels dans leur Guide critique et sélectif des paradis fiscaux : stratégies de défiscalisation, en toute légalité, des personnes physiques en France et à l’étranger (Maxima Laurent du Mesnil).

Les deux premiers titres d’une collection d’essais d’intervention politique lancée par La Découverte, et résolument baptisée « Les possibles », veulent donc tout changer. En s’appuyant sur l’exemple du mouvement zapatiste au Mexique, Jérôme Baschet fait ses Adieux au capitalisme : autogouvernement, bien vivre et pluralité des mondes. Les économistes Gérard Duménil et Dominique Lévy tracent le chemin de La grande bifurcation : en finir avec le néolibéralisme, qui passerait par la fin de l’alliance des cadres avec les classes capitalistes. Sur la même piste, Olivier Besancenot, candidat de la Ligue communiste révolutionnaire aux présidentielles de 2002 et 2007, reviendra sur les plateaux de télévision pour expliquer La conjuration des inégaux : la lutte de classe au XXIe siècle (Le Cherche Midi).

 

De la bien-pensance à l’incivilité

 

Le débat sera vif si un animateur en chasse d’Audimat invite en même temps Michel Godet, prolixe économiste iconoclaste fidèle à Odile Jacob, qui part à l’assaut des « fondements de l’exception française » afin d’atteindre L’emploi libéré. Autre auteur haussant le ton, Alexandre Del-Valle s’assume face à la bien-pensance de gauche dans Pour en finir avec le complexe occidental : petit traité de déculpabilisation (éditions du Toucan). Et contre tous les adeptes de modèles alternatifs, que publie notamment Le Pas de côté (Par où la sortie ? Pour un programme local de décroissance et Décroissance ou décadence), Jean de Kervasdoué exprime son ras-le-bol chez Robert Laffont dans La gauche et le progrès, un divorce : nucléaire, gaz de schiste, pesticides, OGM, santé, diesel : l’opinion contre la raison. Pour Michel Maffesoli et Hélène Strohl, Les nouveaux bien-pensants que sont « Attali, Minc, Badiou, Plenel, etc. » ne provoqueraient rien de moins que de «multiples incivilités sociales ».

Imperturbable, Ignacio Ramonet, ancien directeur du Monde diplomatique, persévérant dénonciateur de tout ce qui ne va pas, auteur en 1997 d’une sombre Géopolitique du chaos, la prolonge dix-sept ans plus tard d’une inquiétante Géopolitique du désastre (Galilée). Tout paraît d’ailleurs décidément désastreux ici-bas, y compris les relations les plus intimes polluées par La tyrannie de l’orgasme qui régnerait dans un monde paradoxal où l’obligation de plaisir empêcherait de jouir de la vie (Valérie Grumelin-Halimi, J.-C. Gawsewitch). Heureusement, il est des hommes dont les engins fonctionnent : ceux d’une entreprise française qui fabrique du matériel de chantier, avec un succès à brandir contre le déclinisme, ce que fait Bénédicte Jourgeaud dans Mecalac, des machines et des hommes, au Cherche Midi.

 

(1) Voir LH 976, du 29.11.2013, p. 23.

Efforts louables en faveur de l’Europe

Accusée de bien des maux, difficile à traiter sinon sur le ton de la dénonciation, l’organisation européenne suscite quand même de louables efforts éditoriaux en vue de la prochaine élection au parlement de l’Union (25 mai en France). Michel Dévoluy résume l’essentiel dans Comprendre le débat européen : petit guide à l’usage des citoyens qui ne croient plus dans l’Europe (Points). Les Européens aiment-ils (toujours) l’Europe ? titre un dossier de La Documentation française. Bernard Guetta défend une intégration plus poussée dans Une intime conviction (Seuil). Edgar Morin et Mauro Ceruti la partagent dans Notre Europe : crises et renaissance (Fayard). Gérard-David Desrameaux plaide Pour une Europe souveraine : écrits et plaidoyers (Lanore). Isolé, Jean-Dominique Giuliani envisage l’avenir avec optimisme : Et si l’Europe restait le centre du monde ? suggère-t-il chez Lignes de repères, qui propose aussi graphiques et statistiques dans L’état de l’Union : rapport Schuman 2014 sur l’Europe.

Le député européen José Bové et le journaliste Gilles Luneau crient au Hold-up à Bruxelles : les lobbies au cœur de l’Europe (La Découverte), tandis que Jean-François Bouchard attaque la Banque centrale européenne, « une institution affranchie de toute règle » qu’il décrit dans Le nouvel empereur de l’Europe, chez Max Milo. Frédéric Lordon veut détricoter l’euro dans La fin de l’Europe (Les Liens qui libèrent). Très militant sur le sujet, le même éditeur a mobilisé Franck Dedieu, Benjamin Masse-Stamberger, Béatrice Mathieu et Laura Raim pour écrire à la barre à mine Casser l’euro. Plus mesurés, Yanis Varoufakis, Stuart Holland et James K. Galbraith font une Modeste proposition pour résoudre la crise de la zone euro (Les Petits Matins).


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