Une femme couleur sépia. Elle se tient là, à l'heure du crépuscule. À l'heure des départs, des ruptures. Elle, c'est Madeleine, jeune femme timide, effacée, qui ressemble à Michèle Morgan, venue en Afrique depuis Nantes pour y suivre Guy, son mari. Là, c'est Douala au Cameroun, à la fin des années 1950, alors que la France se résigne à renoncer à son statut de puissance administratrice coloniale. Dans la communauté blanche composée de militaires, médecins, fonctionnaires, grands commis d'un État qui ne l'est pour eux plus vraiment, la vie s'écoule doucement et amèrement entre bals et rumeurs inquiètes, liaisons adultères et missions auxquelles plus grand monde ne croit vraiment. Ce monde, justement, n'est pas celui de Madeleine qui ne le fréquente qu'avec une prudence qui confinerait presque au dégoût. C'est une femme qui se sait là comme ailleurs que de passage. Un peu encombrée de sa beauté, elle demeure en toutes circonstances secrète. Comme l'est cette affaire qui n'en est pas vraiment une, entamée avec Yves, un administrateur colonial à l'aura d'aventurier qui peut-être pourrait lui laisser à penser qu'un horizon autre est possible. Et puis, vanité des vanités, finalement, non. Madeleine reviendra en France, avec sa petite fille. Guy les rejoindra. Une vie est passée.
Bien des années plus tard, alors que tous les personnages de cette histoire ont disparu, sa nièce se souviendra de sa tante, de sa mélancolie, de son chagrin et entreprend de retracer ce destin minuscule. C'est elle la narratrice d'Une façon d'aimer, le nouveau roman d'une Dominique Barbéris plus que jamais en ces pages à son meilleur de grâce, d'élégance frémissante. Elle s'interroge : « Est-ce parce qu'il ne reste plus aucune trace, aujourd'hui, de ce monde que le souvenir inocule en moi un secret et permanent chagrin ? » Gens de peu, vies comme passées à l'estompe. « Ils n'intéressaient plus personne. Petits, à Noël, ils n'avaient eu des oranges. Peut-être que c'était la province d'un autre âge. Peut-être qu'il n'y a pas de mots pour expliquer. Je ne sais pas pourquoi cela me cause aujourd'hui tant de chagrin. » Que reste-t-il de tout cela à la tombée du soir ? Trois fois rien, un bal perdu, quelques chansons, des vers d'André Hardellet. Une femme est passée. Doucement.
Gallimard
Tirage: NC
Prix: 19 €
ISBN: 9782073032362