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Dossier Cinéma : on refait le film

OLIVIER DION

Dossier Cinéma : on refait le film

Si le cinéma français vit de beaux moments, les temps sont durs pour les éditeurs du secteur. A quelques jours du 65e Festival de Cannes, du 16 au 27 mai, ils renouvellent leur approche en arrimant leur production à l'actualité, en traitant des sujets qui permettent d'élargir le public, en repensant des lignes d'ouvrages de référence et en diversifiant les canaux de diffusion.

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Par Mylène Moulin
Créé le 08.12.2014 à 20h02 ,
Mis à jour le 09.02.2015 à 16h46

Que l'on ne s'y trompe pas. Si la production cinématographique française vit de belles heures, ce scénario heureux s'écrit sans les éditeurs de livres de cinéma. Tandis qu'Intouchables et The artist attirent des millions de spectateurs et raflent des récompenses dans le monde entier, les éditeurs courent derrière le succès. "Ces locomotives ne tirent qu'elles-mêmes", tranche le directeur de Capricci, Thierry Lounas. "Le rayon cinéma se réduit sensiblement en librairie, il est de plus en plus difficile de placer ses livres", affirme même Guy Astic, directeur de Rouge profond. L'année a été difficile. Et ce n'est pas à la librairie spécialisée Contact, à Paris, qu'on dira le contraire. "Nous faisons pas mal d'import de textes en anglais, ce qui nous permet de rester à flot. Parce que, côté français, >c'est un peu difficile en ce moment, on a un creux", reconnaît sa gérante, Catherine Rambaud. Parmi ses meilleures ventes, les ouvrages sur Tim Burton, "grâce à la rétrospective qui a lieu à la Cinémathèque française", et un beau livre d'entretiens avec James Gray (Synecdoche), le premier livre publié sur le cinéaste. "Les gens sont friands de ce genre d'ouvrages : il faut que le livre ait une valeur ajoutée pour trouver acquéreur", commente Catherine Rambaud.

"Les gens de la nouvelle vague avaient une culture cinéma de l'écrit. La nouvelle génération ne lit plus." CATHERINE RAMBAUD, LIBRAIRIE CONTACT- Photo OLIVIER DION

Selon la libraire de Contact, la dégradation du marché du livre de cinéma est due à l'évolution des pratiques. "Quand la librairie a été créée dans les années 1950, les gens de la nouvelle vague avaient une culture cinéma de l'écrit. La nouvelle génération est une mangeuse de pellicules qui va au cinéma, achète des DVD, cherche sur Internet mais ne lit plus", se désole-t-elle. Comment rattraper ce lectorat fuyant ? "En dynamisant la promotion pour amener le lecteur vers les livres ; par exemple en liant les sorties avec des événements", répond Guy Astic.

"Clermont-Ferrand, Angers... On liste les manifestations et on essaie d'être là, sans faire de concurrence aux librairies locales auxquelles nous confions nos stands." BAPTISTE LEVOIR, SCOPE- Photo OLIVIER DION

Généralement pas du style à user de ce procédé, le directeur de Rouge profond a pourtant conclu pour son ouvrage Joe Dante un partenariat avec la société de production Carlotta Films à l'occasion de la parution d'un DVD du réalisateur des Gremlins. Il espère aussi terminer bientôt son essai sur James Cameron, qui revient sur la révolution de la 3D immersive initiée avec Titanic, à nouveau en salle, et annonce la parution en septembre d'une monographie, Guillermo del Toro, avec une préface signée par le réalisateur mexicain. D'ici à la fin de l'année, Rouge profond publiera également un essai sur les femmes dans le cinéma américain, ainsi que Changements de tête, un ouvrage illustré sur le travestissement dans les films. Puis, en fin d'année paraîtra Le temps des mutants, le dernier tome de la trilogie Hollywood.

"Nous produirons deux ou trois titres par an dans une approche à la fois populaire et savante." YANNICK DEHÉE, NOUVEAU MONDE- Photo OLIVIER DION

COMME UN SALTIMBANQUE

Si l'âge d'or du livre de cinéma semble derrière nous, les éditeurs ne renoncent pas et mettent en place de nouvelles stratégies pour survivre. Certains, comme Scope, recentrent leur production. Après avoir cédé la revue Positif à Actes Sud en septembre dernier, l'éditeur a décidé de mettre en attente les collections rattachées au périodique. Pour le moment, Scope se concentre sur "Tournage", qui héberge des ouvrages liés aux métiers et aux techniques du cinéma à destination des étudiants et des jeunes professionnels. La collection accueille quatre nouveaux titres par an, dont deux rééditions en 2012 : le best-seller de la maison, Savoir rédiger et présenter son scénario, écoulé à 20 000 exemplaires depuis sa première publication il y a sept ans ; et Réaliser un premier court-métrage, dans une édition mise à jour. Mais pour son directeur, Baptiste Levoir, ce n'est pas suffisant pour atteindre le public. Aussi l'éditeur a-t-il recours à une solution radicale pour diffuser ses livres : il se déplace sur les festivals de cinéma "comme un saltimbanque"."Clermont-Ferrand, Angers... On liste les quelques manifestations et on essaie d'être là, sans faire de concurrence aux librairies locales auxquelles nous confions notre stand."

"On publie des titres qui sont déjà obsolètes à leur parution : le numérique pourrait être un moyen de pallier ce genre de choses." THIERRY STEFF, BAZAAR & CO- Photo OLIVIER DION

D'autres, comme Dixit, tentent d'attirer les clients en proposant du contenu numérique en complément des parutions imprimées (voir encadré ci-dessous). Le numérique, Thierry Steff, de Bazaar & Co. y songe de plus en plus. Sa petite maison d'édition qui propose des titres pointus ne publiera cette année qu'un seul titre imprimé, le deuxième volume d'Il était une fois le western (qui sera proposé en coffret). A côté de cela, rien de prévu pour le moment, mais une réflexion est entamée depuis quelque temps déjà sur le livre numérique. "Faire un livre de cinéma de qualité coûte très cher, et c'est un type d'ouvrage qui demande à être régulièrement mis à jour, observe l'éditeur. On publie des titres qui sont déjà obsolètes à leur parution : le numérique pourrait être un moyen de pallier ce genre de choses." C'est d'ailleurs sous ce format que Bazaar & Co publiera Funny People, sur les acteurs et les réalisateurs de la nouvelle comédie américaine.

Chez Capricci, Thierry Lounas n'envisage pas, quant à lui, d'éditer des livres sans construire des ponts. Des ponts entre cinéma et danse, transdisciplinaires, avec un beau livre à paraître à la fin de l'année à l'occasion d'une double saison au Centre national de la danse en 2012. Mais aussi des passerelles entre cinéma et cinéma. "Ce qu'on essaie de faire sans trahir notre ligne, c'est de relier les livres à un événement cinématographique, >explique l'éditeur. Sinon on envoie notre livre dans le désert." C'est ce qu'il fera en août en publiant avec le Festival de Locarno un ouvrage collectif, Otto Preminger, puis avec le Centre Pompidou un livre d'entretiens, Jonas Mekas. Pour ce mois de mai, l'éditeur annonce aussi un livre d'entretiens avec Benoît Delépine et Gustave Kervern, De Groland au "Grand soir". Avec une vingtaine de titres par an, Capricci est l'une des maisons les plus prolifiques du secteur. Mais pas question pour Thierry Lounas d'aller plus loin pour l'instant. "Je ne sais pas si le public pourra absorber plus de livres de notre maison." L'éditeur a d'autres projets : poursuivre la revue Capricci et renforcer son lien avec les livres. Il est question aussi d'élargir sa diffusion en lançant un magazine mensuel sur le cinéma.

CAPTER UN PUBLIC PLUS LARGE

D'autres éditeurs misent sur la diversification comme les Presses universitaires de Rennes. Ces dernières enregistrent un afflux de manuscrits depuis le rachat en 2009 par Phaidon des Cahiers du cinéma qui ont gelé quelque temps leur production éditoriale (voir article p. 71). "Nous avons dû mettre en place une politique de sélection encore plus sévère et en même temps nous ouvrir à d'autres genres", décrit Gilles Mouellic, codirecteur de la collection "Le spectaculaire", qui héberge des essais adaptés de thèses et de colloques. Petit à petit, la maison d'édition universitaire commence à ouvrir son catalogue aux traductions et développe une politique d'équilibre entre ouvrages de recherche et essais originaux destinés à un public plus large comme Le cinéma et les sens de Thomas Elsaesser et Malte Hagener, paru en 2011.

De son côté, Nouveau Monde s'est adressé l'an dernier au grand public avec un titre "à la marge du rayon cinéma", Le petit Audiard illustré par l'exemple. Lancé à 4 000 exemplaires, il s'en est déjà écoulé 15 000. >En juin, un petit livre dans le même esprit paraîtra sur le Splendid. Le début d'une collection ? "Nous ne savons pas encore vraiment, mais nous pouvons dire déjà que nous publierons deux ou trois titres par an avec une approche similaire, à la fois populaire et savante", indique Yannick Dehée, le P-DG de Nouveau Monde. Au deuxième semestre, la maison éditera deux ouvrages plus pointus : la première étude sur le "cinéma novo" brésilien, vendue avec un DVD, et Kinojudaica : l'image des Juifs dans le cinéma russe et soviétique, coédité avec la Cinémathèque de Toulouse. Mais l'événement de l'année sera la publication en octobre, en partenariat avec la Cinémathèque française, des Annales du cinéma muet(1885-1929), un monument de 1 200 pages, résultat de dix ans de recherches réalisées par Pierre Lherminier.

Ce genre d'ouvrages, à mi-chemin entre le dictionnaire et l'encyclopédie, fait un retour en force. Larousse vient de publier un Petit Larousse des films sous la direction de Jean-Claude Lamy. Gründ annonce Le cinéma, une bible de 500 pages dont la couverture est illustrée par l'affiche de The artist. Jacob-Duvernet dévoilera en juin son Dictionnaire des fesses de stars au cinéma. Très attendu également, le Dictionnaire de la pensée du cinéma, compilé par Antoine de Baecque et Philippe Chevallier, paraîtra aux Presses universitaires de France le 9 mai. Quelques mois plus tard, en novembre, Robert Laffont se lancera sur le segment avec le volume 1 de son Dictionnaire du cinéma, Les réalisateurs de Jean Tular. Et bien sûr, avant le clap de fin, n'oublions pas Le livre d'or du 65e Festival de Cannes : 2012-1939. En mai chez Carpentier.

En chiffres : la production*

A 480 nouveautés et nouvelles éditions, le nombre de titres concernant le cinéma a fait en 2011 un bond de 20 %, dix fois supérieur à l'évolution moyenne de la production éditoriale.

*Nouveautés et nouvelles éditions

Photo SOURCES : LIVRES HEBDO/ELECTRE

Technique : Dixit tisse sa toile

Ces ouvrages disposent de compléments en ligne, dont le sommaire est accessible sur le site Dixit.fr

Depuis deux ans, la maison d'édition Dixit, spécialisée dans les guides pratiques sur le cinéma et l'audiovisuel, propose pour chaque livre des compléments rédactionnels sur son site Web. "Cela permet d'augmenter la durée de vie d'un ouvrage dans un secteur où l'évolution législative et réglementaire est fréquente, explique son directeur, Jean-Pierre Fougea. Par exemple, Les outils de la production, paru en 2011, comprend un complément Internet de plus de 700 pages, remis à jour périodiquement sans augmentation de prix." Selon l'éditeur, Dixit a réalisé pour la première fois en 2011, avec son site Internet, un chiffre d'affaires supérieur à son chiffre d'affaires brut diffusion. "C'est l'aboutissement d'une politique menée depuis plusieurs années sur le Web, pour compenser l'absence sidérale de mise en place sur les villes de moins de 100 000 habitants", estime Jean-Pierre Fougea. En 2012, Dixit publie une dizaine d'ouvrages dont Les contrats de la production, La production documentaire, Comment financer une oeuvre pour le cinéma et Ciné passion : le guide chiffré du cinéma, paru en mars, donnant les entrées de tous les films sortis en salles depuis 1945. Tous ces livres sont accompagnés de contenus numériques.

Original Books ose le "marketing me-too"

 

La jeune maison d'édition cale son calendrier éditorial sur celui des sorties dans les salles.

 

"Nous faisons notre marketing sur celui des autres : Twilight, Millenium, James Bond, Harry Potter, etc. Ce sont la Fox, Colombia, Warner qui payent indirectement la promotion de nos livres", explique Eddy Agnassia. Pour faire parler de sa production, le directeur éditorial d'Original Books fait ce qu'on appelle du "marketing me-too", liant son calendrier éditorial à celui des salles obscures. A part quelques monographies d'acteurs, comme Le monde secret de Johnny Depp de Nigel Goodall, paru en mars, la majorité des ouvrages de cinéma publiés par cette jeune maison créée en 2008 suit l'actualité cinématographique. Une stratégie qui lui permet d'utiliser la publicité autour des films pour faire du buzz sur ses parutions.

L'éditeur a ainsi publié J. Edgar, directeur du FBI : scandales et dossiers secrets en novembre 2011, quelques mois avant la sortie en janvier 2012 du film J. Edgar de Clint Eastwood ; et Les secrets du Titanic : un siècle de mystères deux mois avant le retour en salle en 3D, au mois de mars, du film de James Cameron. En mai, à l'occasion de la sortie de Men in black 3, Original Books va lancer un document sur les hommes en noir, ces envoyés mystères généralement missionnés par des agences non officielles pour étouffer des affaires d'extraterrestres. Plus tard dans l'année, le film The gangster squad, prévu pour novembre, donnera lieu dès juin à un ouvrage intitulé Gangsters et mafieux : les cinq familles de New York.

"Tout est une question de timing, résume Eddy Agnassia. Il faut guetter les sorties pour publier entre deux et trois mois en amont." L'éditeur s'appuie sur plusieurs années d'expérience dans le milieu du cinéma pour anticiper. Une stratégie qui a ses inconvénients : "La durée de vie d'un livre en librairie dépend du succès du film : s'il reste trois semaines en salle, vous aurez peu de visibilité", admet-il. Cependant, malgré le risque encouru, les livres sont publiés à 5 000 exemplaires en moyenne.

"Nous avons tendance à monter très haut et à prendre le risque d'encaisser un taux de retour important", reconnaît Eddy Agnassia. Ses livres bénéficient en effet régulièrement d'une seconde vie à l'occasion de rétrospectives, d'expositions ou d'adaptations.

Le retour des Cahiers du cinéma

 

Trois ans après leur rachat par Phaidon, Les Cahiers du cinéma reviennent en force sur le marché du livre sur le 7e art, avec la collection phare "Grands cinéastes", renommée "Maîtres du cinéma", et en 2013 de nouveaux projets d'envergure.

 

"Nous allons enrichir les collections, rendre les maquettes plus fraîches." VALÉRIE BUFFET, LES CAHIERS DU CINÉMA- Photo OLIVIER DION

La raréfaction des publications des Cahiers n'a échappé ni aux lecteurs, ni aux libraires qui s'interrogent : à quand le retour ? Depuis le rachat des éditions de l'Etoile, la société éditrice, par Phaidon fin janvier 2009, la maison s'était en effet concentrée sur le lancement des Cahiers du cinéma en versions anglaise, espagnole et italienne et sur la refonte de l'identité visuelle de la marque. Si elle menait une politique active de réimpressions, elle publiait peu de nouveautés. "Nous savons qu'on nous attend, mais nous étions dans une démarche prudente avec un souci de rationalisation, explique la directrice de Phaidon, Valérie Buffet. La première année de la reprise, nous avons gelé les publications afin de remettre à plat les comptes. A présent, nous revenons avec de beaux projets."

Valérie Buffet a repris les rênes des Cahiers après le décès de son amie Claudine Paquot, leur fondatrice. Elle assure vouloir "rester fidèle à l'esprit original, mais en y allant prudemment", et précise que l'activité éditoriale en français va reprendre cette année. Avec un objectif : publier des livres sur le patrimoine cinématographique qui s'adressent autant au grand public qu'aux cinéphiles et aux amateurs intéressés par le cinéma. "Nous allonsenrichir les collections, moderniser les maquettes, les rendre plus fraîches afin d'atteindre un lectorat plus jeune", explique-t-elle, annonçant >onze titres en langue française en 2012, contre cinq l'an dernier et deux en 2010.

TROIS PHASES

Le redémarrage s'effectuera en trois phases. La première, peut-être la plus significative, est la refonte de la collection de monographies "Grands cinéastes", lancée en partenariat avec le journal Le Monde et mise en sourdine depuis le rachat. Renommée "Maîtres du cinéma", elle est relancée ce printemps avec une nouvelle maquette. "Les livres sont plus actuels et offrent deux niveaux de lecture : un texte narratif sur la vie et l'oeuvre d'un cinéaste, et des encadrés sur ses collaborations, les thèmes traités et les techniques utilisées dans ses films, explique Valérie Buffet. Même si cette collection est destinée au grand public, nous espérons séduire les enseignants, qui peuvent l'utiliser comme outil pédagogique."

Publiés en mai, les premiers ouvrages seront des rééditions de titres épuisés comme le Tim Burton d'Aurélien Ferenczi, ou l'Alfred Hitchcock de Bill Krohn. En octobre, la collection s'enrichira de nouveaux titres sur des cinéastes contemporains : Ethan et Joel Coen, Roman Polanski, George Lucas, Quentin Tarantino, Michael Mann et Jacques Tati. Ils seront édités simultanément en français et en anglais. Parallèlement, la parution de France-Cinéma, une traversée du cinéma français, fresque illustrée de 300 pages signée du journaliste Olivier Barrot, producteur et animateur de l'émission "Un livre un jour", est annoncée comme l'autre événement de l'année.

Dans un deuxième temps, les Cahiers du cinéma vont poursuivre la collection "Cinéastes au travail" à raison d'un titre tous les deux ans. "Nous continuerons à publier ce type d'ouvrages même si c'est une entreprise très coûteuse, souligne Valérie Buffet. Il est important pour les Cahiers du cinéma de publier des titres qui deviendront des références et s'imposeront comme des sommes." Le dernier livre publié dans la collection, Fritz Lang au travail, a reçu le prix 2011 du Meilleur album sur le cinéma décerné par le Syndicat français de la critique de film, et a connu un joli succès en librairie. En rupture de stock, il sera réimprimé à la rentrée.

La troisième phase, à partir de 2013, verra de nouvelles collections enrichir le catalogue des Cahiers du cinéma. Elles porteront cette fois sur les cinéastes contemporains et sur les acteurs.

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