Véritable phénomène éditorial de la dernière rentrée, Le capital au XXIe siècle de Thomas Piketty (Seuil) a redonné quelques couleurs au secteur de l’économie-gestion, sans pour autant entraîner pléthore d’ouvrages dans son sillage. Les éditeurs interrogés sont quasi unanimes pour reconnaître qu’il n’y a pas eu d’effet Piketty sur le reste des ventes, qui conservent globalement leur niveau de 2013. Seul Economica affiche un motif de satisfaction : "Nous avions publié la thèse de doctorat de Piketty en 1994, indique le fondateur de la maison, Jean Pavlevski. Elle était aux oubliettes, elle est maintenant un peu demandée." L’éditeur a même vendu les droits de la thèse à plusieurs éditeurs étrangers.
Ceci excepté, "aucun essai ne se démarque depuis Piketty, constate Nicolas Terrenoire, responsable du rayon économie à la Fnac Saint-Lazare (Paris). La tendance est plutôt au sensationnalisme. Les banksters de Marc Roche a par exemple bien démarré, mais s’essouffle déjà. Le cygne noir de Nassim Nicholas Taleb aux Belles Lettres est ancien mais marche bien, tout comme la version poche du Prix de l’inégalité de Joseph Stiglitz." Toujours dans le domaine des essais, les enjeux économiques mondiaux restent une source d’intérêt inépuisable. Nombre d’ouvrages n’hésitent pas à faire dans la prospective. Economica a publié L’économie mondiale en 2030 et annonce Le monde dans cent ans pour novembre, tandis qu’Eyrolles a lancé début juillet Un monde de violences : l’économie mondiale 2015-2030. Maxima table pour sa part sur Chine, colosse aux pieds d’argile. "Nous ne sommes pas considérés comme un éditeur d’essais, mais nous essayons de sortir des cadres, d’investir de nouveaux univers", explique son directeur, Laurent du Mesnil. De son côté, Dunod a conçu une nouvelle maquette pour l’édition 2015 du Ramses, avec l’Ifri. Armand Colin, autre filiale d’Hachette, intégré à Dunod en début d’année, propose quant à lui sorti la nouvelle mouture de L’année stratégique avec l’Iris.
En anglais
Avec Parlons banque en 30 questions, dans la collection "Doc’ en poche", La Documentation française veut éclairer le lecteur sur un sujet a priori complexe en un petit nombre de pages. De la même façon, Rue d’Ulm produit un petit livre au titre évocateur, Bien ou mal payés ?, qui passe au crible la perception que les salariés du public et du privé ont de leur rémunération. L’ouvrage fait partie des quatre titres annuels édités avec le Centre pour la recherche économique et ses applications (Cepremap). Même si les tirages initiaux sont modestes - 1 000 à 2 000 exemplaires -, la directrice des éditions, Lucie Marignac, tire un bilan satisfaisant pour l’année écoulée. "On n’observe pas d’effondrement sur ce segment, même si nous avons une petite production, dit-elle. Beaucoup de ventes ont basculé vers le numérique payant, ce qui signifie que les informations circulent malgré tout."
Chez Economica, Jean Pavlevski observe un certain regain de la production de livres écrits par des universitaires, après plusieurs années de vaches maigres. "Mais ce sont essentiellement des auteurs confirmés, proches de la retraite, tempère-t-il aussitôt. Les jeunes économistes se contentent d’écrire des articles." L’enjeu majeur de cette année pour la maison d’édition est un ouvrage écrit en anglais par le Français Pascal Blanqué, Essays in positive investment management, paru en juin. "Le publier en langue française n’aurait pas eu de sens puisque les lecteurs de Blanqué sont en grande majorité des étrangers qui lisent l’anglais", indique Jean Pavlevski. Le livre est vendu 79 euros l’unité, un tarif justifié parce qu’il prend en compte les frais de port.
Sur le segment de l’universitaire, les nouvelles éditions pèsent lourd dans l’économie des éditeurs, et leur permettent de globalement maintenir l’activité. "La tendance au recul des ventes en librairie s’accentue, surtout pour les nouveautés. Les quantités mises à l’office sont en baisse sensible", relève Dominique de Raedt, éditrice en économie-gestion chez De Boeck. Dès lors, l’éditeur belge s’appuie sur la profondeur de son catalogue, qui connaît un "relatif maintien" après avoir fortement progressé en 2013, porté par des manuels traduits de l’américain comme Principes de l’économie de Gregory Mankiw et Mark Taylor, ou la nouvelle édition très attendue cet automne de Principes d’économie moderne de Joseph Stiglitz, Jean-Dominique Lafay et Carl Walsh. De Boeck a également publié début octobre la traduction de la première édition du Nouvel ordre financier de Robert J. Shiller, prix Nobel d’économie 2013.
Vuibert compte sur les bonnes performances de sa collection "Gestion" avec notamment une nouvelle édition de Marketing de Jean-Pierre Helfer et Jacques Orsoni et quelques ouvrages récents dans la collection "Référence management" comme Management de l’immobilier et Les industries culturelles et créatives. De la même façon, chez Pearson, les nouvelles éditions de Management ou de Finance d’entreprise constituent des temps forts de la rentrée. "La 5e édition de Marketing digital de Dave Chaffey, parue fin août, était particulièrement attendue", précise Florence Young, directrice marketing de Pearson Education France. Toujours dans la grosse référence, Dunod peut compter sur la 11e édition du Mercator, parue fin août en version bundle enrichie, et capitalise plus généralement sur l’ensemble de ses "Livres en or". Chez Economica, les collections "Gestion" et "Finance" sont toujours bien prescrites et constituent le socle de l’activité. L’éditeur a notamment enrichi "Finance" d’une nouveauté, Le risque de crédit.
Valeur ajoutée
Leader sur le marché de l’expertise-comptable, Dunod propose des titres à jour des dernières évolutions législatives et réglementaires. Foucher également : "En expertise-comptable, la valeur ajoutée de nos ouvrages, ce sont les millésimes", souligne Marilyse Vérité, responsable enseignement supérieur et développement numérique de la maison. Dans la 8e édition de DSCG 4, comptabilité et audit, l’éditeur tient, par exemple, compte de la réécriture du plan comptable dans le règlement du 5 juin 2014. Depuis la rentrée, Foucher propose également tous les ouvrages de cours de la collection "LMD Expertise comptable" en ePub V2. Les versions papier et numérique sont distinctes. "Ce sont deux modes de lecture différents, il appartient à l’étudiant de choisir, précise Marilyse Vérité. Les ePub sont lourds à préparer, il n’est pas question de les brader."
A l’inverse, Nathan propose l’intégralité de ses titres en version couplée "Livre nomade". "Le bilan de l’année écoulée est très bon, indique Charles Bimbenet, directeur du département technique supérieur formation adulte. Nous prenons des parts de marché sur l’expertise-comptable, tant en manuels qu’en ouvrages parascolaires", assure-t-il. Nathan revendique aussi de bons résultats sur le marché des BTS avec la collection "Réflexe". "Notre catalogue comprend autour de 300 titres en BTS, lesquels constituent le socle de notre développement en éco-gestion dans le supérieur, rappelle Charles Bimbenet. C’est un marché important pour nous" Chez Gualino, le directeur marketing éditorial, Philippe Gualino, concède une année plus difficile. "La gestion est longtemps restée préservée, mais depuis l’an dernier la situation se dégrade", indique-t-il. L’éditeur n’en est pas moins actif sur ce segment de l’expertise-comptable avec la collection "Les grands sujets du DCG", dont les premiers titres sont parus à la rentrée et qui sera enrichie de trois nouveautés dans les prochains mois. Gualino couvre également le DCG et le DSCG avec sa collection d’apprentissage "Les carrés" et sa collection de révision "DCG & DSCG en questions".
De son côté, Vuibert développe "Les indispensables Vuibert", collection lancée il y a deux ans, et peu entretenue en 2013. Il s’agit de livres d’entraînement à petit prix proposant des fiches de cours, des QCM et des corrigés. Quatre nouveautés et trois nouvelles éditions sont arrivées sur le marché à la rentrée, dont un ouvrage consacré à la comptabilité. Dans une logique déjà plus professionnelle, l’éditeur a publié fin août La compta pour tous, destiné aux managers.
Côté numérique, De Boeck continue d’installer sa plateforme d’ouvrages interactifs Noto et se distingue aussi avec la parution en septembre de Politiques macroéconomiques. L’ouvrage donne accès (via un code personnel inséré dans l’ouvrage) au logiciel MacSim, conçu par les auteurs, qui permet d’effectuer ses propres simulations économiques et s’avère être un excellent outil pédagogique. Enfin, pour les étudiants désireux de parfaire leur connaissance de l’entreprise, Nathan publie une originale Histoire du management dans la collection "Nathan sup", ouvrage "très éclairant sur l’évolution des principales fonctions dans l’entreprise au cours des deux derniers siècles", selon Charles Bimbenet.
Jouons un peu
Le marché de l’édition professionnelle se distingue quant à lui par une production abondante et variée, avec des éditeurs toujours en quête de nouvelles thématiques. Après Diateino et son Gamestorming, en janvier dernier, Eyrolles a publié à son tour en juin La gamification, ouvrage consacré à la ludification en France, qui décortique "l’art d’utiliser les mécaniques du jeu dans votre business". "Aux Etats-Unis, plusieurs auteurs ont déjà publié sur cette question et expliquent comment les techniques de gamification peuvent se décliner dans tous les domaines de la vie professionnelle", indique Claudine Dartyge, directrice éditoriale. L’ouvrage bénéficie d’un démarrage "correct" et devrait bientôt être suivi de parutions équivalentes chez certains concurrents. Dunod et Pearson, notamment, réfléchissent à des titres sur le sujet.
Dunod s’intéresse aux bases de données avec La révolution big data et aborde le sport business dans Marketing du sport. Dans la collection "Formation permanente", ESF publie deux nouveautés : L’autorité responsabilisante : refonder l’autorité sur l’engagement et le respect et Dialogue social : prenez la parole ! Du combat au débat, de la méfiance à la confiance. Chez Pearson, la série d’ouvrages professionnels au format à l’italienne inaugurée en 2011 avec Business model : nouvelle génération rencontre un succès qui ne se dément pas. "Nous atteignons les 25 000 exemplaires vendus pour ce premier titre", se félicite Julie Berquez, éditrice senior business et management. Le dernier-né de la série, What’s next ?, est sorti en juin. Egalement dans un format à l’italienne, Dunod propose (Ré)inventez votre business model. "Ce livre s’adresse aux entreprises qui cherchent à s’adapter à la nouvelle conjoncture économique et technologique", indique Odile Marion, directrice éditoriale entreprise, gestion et management de la maison. Celle-ci s’intéresse également au luxe avec une 3e édition de son best-seller Management et marketing du luxe et en profite pour sortir Le luxe en héritage, un beau livre qui décrypte la longévité des grandes maisons de mode. "Ce livre s’adresse à un public élargi, mais il est issu de nos thématiques habituelles, ici le luxe", explique Odile Marion.
Autre thématique incontournable, le lean management, dont Pearson a fait l’un de ses axes forts avec plusieurs ouvrages à succès, parmi lesquels la "bible" du sujet, Système lean. "Nous publions quasiment une nouveauté par an sur cette thématique, souligne Julie Berquez. La prochaine sera Le virage Lean, en novembre." Vuibert a publié fin septembre une version abrégée et plus opérationnelle de Manager : ce que font vraiment les managers. "La première version, aujourd’hui épuisée, avait très bien fonctionné", explique François Cohen, le directeur de Vuibert.
Eloge du travail
Le segment de l’entrepreneuriat inspire toujours autant les éditeurs. Dunod fête en novembre le 40e titre de sa collection "La boîte à outils" et enrichit la collection "J’ouvre ma boîte" de deux nouveautés : Recruter ses premiers salariés ; et Consultant, se lancer, réussir et durer. "Nous publions nos nouveautés à l’occasion des salons professionnels, précise Odile Marion. Le salon des micro-entreprises s’est tenu début octobre et celui des entrepreneurs aura lieu début février." Leduc.s n’est pas en reste et développe sa collection "Les malins" avec Créer sa boîte. De son côté, Diateino vient de publier Master class entrepreneurs, un titre qui présente la particularité de n’exister pour le moment qu’en version numérique. "Nous réfléchissons à un système de coffret ou de bundle pour le proposer en librairie", indique Dominique Gibert, la fondatrice de la maison.
Quant aux ouvrages pratiques, ils font l’objet d’importants développements chez Vuibert avec la collection "Just in time", dont les titres découpent une fonction en plan d’action de quatre pages. Deux nouveautés dédiées au commerce en ligne et à la création d’entreprise ont été mises sur le marché en octobre. Vuibert a également procédé à la refonte de la collection "Lire agir" et propose deux nouveautés dans la collection "Pas à pas" consacrées à la finance et à la vente-négociation.
Le développement personnel n’est plus très loin. Eyrolles s’intéresse au sens de la répartie dans l’univers professionnel avec Voilà ce que j’aurais dû dire !. L’ouvrage paraît en novembre et sera proposé dans le rayon développement personnel. "Quand les passerelles existent, il est toujours plus intéressant de placer des titres comme celui-ci en développement personnel, explique Claudine Dartyge. Cela permet de toucher plus de librairies et donc plus de lecteurs potentiels." Un avis que partage Karine Bailly de Robien, chez Leduc.s, dont un bon nombre de titres jouent sur les deux tableaux. "Les livres de Robert Greene, en particulier, assurent la jonction entre vies professionnelle et personnelle. Ils fonctionnent très bien." Chez Eyrolles, le développement personnel est le segment qui enregistre la meilleure progression, avec un taux de croissance du chiffre d’affaires de 12 %. Maxima parie sur Le travail, éloge d’une valeur trop méprisée. "Avec ce livre, nous prenons le contre-pied des tendances du moment", estime Laurent du Mesnil, le patron de Maxima. L’éditeur publie aussi Mon chemin vers la réussite d’Elise Franck, auteure du best-seller Comment je suis devenue rentière en quatre ans. "Son premier livre était centré sur le business, le second se concentre sur la notion de développement personnel", détaille Laurent du Mesnil. De son côté, Pearson vient d’acquérir les droits numériques de son best-seller La semaine de 4 heures. "Les règles du jeu ne sont pas encore complètement fixées concernant le numérique. Nous discutons donc beaucoup avec les éditeurs que nous traduisons, explique Florence Young. Cet ouvrage a très bien marché en version papier et il est susceptible de rencontrer un joli succès au format ebook."
L’économie et la gestion en chiffres
Meilleures ventes en Economie-gestion : Piketty creuse l’écart
Notre palmarès Ipsos/Livres Hebdo des meilleures ventes de livres d’économie et de gestion pour la période de septembre 2013 à août 2014 confirme le succès éclatant du Capital au XXIe siècle (Seuil). L’essai de Thomas Piketty s’est vendu presque deux fois plus que le très classique n° 2 du classement, le Plan comptable général 2013-2014 (Foucher), pourtant vendu 3 euros seulement. Derrière, le peloton des essais d’économie est loin d’avoir désarmé avec 31 autres références dans le top 50 des meilleures ventes. Le ton est néanmoins toujours aussi morose. Maintenant ou jamais (Fayard), Dette (Les Liens qui libèrent), Quand la France s’éveillera (Odile Jacob), Urgences françaises (Pluriel), Illusion financière (Editions de l’Atelier) ou encore Absurdité à la française (Robert Laffont) illustrent-ils l’état d’esprit des lecteurs ?
Déprimés, les Français n’en rêvent pas moins de La semaine de 4 heures (Pearson, 38e position), et se passionnent toujours pour la vie de Steve Jobs (Le Livre de poche, 8e). Dans le registre des problématiques environnementales, Isabelle Saporta a confirmé son statut d’auteure à succès en plaçant Vino business dans le top 10. Elle est devancée par Manifeste pour la Terre et l’humanisme de Pierre Rabhi (Actes Sud), dont la belle 5e place montre qu’il y a encore de l’espoir dans les cœurs. En 36e position, Patrick Bourdet rappelle d’ailleurs fort à propos que Rien n’est joué d’avance (Fayard).