Polémique

Les réactions de la filière face à l’idée d’étendre le droit d’auteur au livre d’occasion

Des bacs à livres d'occasion. - Photo OLIVIER DION

Les réactions de la filière face à l’idée d’étendre le droit d’auteur au livre d’occasion

Le Conseil d’État va être saisi pour examiner la pertinence de la rémunération des auteurs et éditeurs lorsqu’un livre est revendu sur le marché de l’occasion. Cette idée, formulée par Emmanuel Macron et Rachida Dati pendant le Festival du livre de Paris, divise la filière.

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Par Fanny Guyomard
Créé le 14.04.2025 à 22h41

C’est le vœu émis par Emmanuel Macron et Rachida Dati lors du Festival du livre de Paris : que les auteurs soient rémunérés sur les ventes de livres d’occasion lors de la revente de leurs ouvrages.

La proposition, qui intervient après l’étude du ministère de la Culture et de la Sofia dévoilée en avril 2024 et montrant un marché de l’occasion en croissance, a réjoui le Conseil permanent des écrivains (CPE) et le Syndicat national de l’édition (SNE). Dans un communiqué commun, les deux entités ont déclaré : « Auteurs et éditeurs ont travaillé depuis plusieurs mois à élaborer une solution permettant un partage équitable de la valeur générée par la vente de livres d’occasion dont le ministère de la Culture engage l’instruction. La montée en puissance des achats de livres d’occasion, pour partie au détriment du marché premier, s’accélère au point d’en faire un enjeu majeur de politique culturelle. L’étude publiée début 2024 par la Sofia et le ministère de la Culture faisait état d’un marché en pleine croissance sur les dix dernières années, avec un livre sur cinq acheté d’occasion en 2022, représentant un chiffre d’affaires estimé à 351 millions d’euros. »

Une solution en droits d’auteur

Le SNE pousse ainsi une solution passant par le droit d’auteur et qui compenserait l’épuisement du droit de distribution : lorsqu'un auteur a autorisé la reproduction et la commercialisation de son œuvre, il ne peut actuellement s'opposer à sa libre circulation, y compris sous forme de revente. « Notre objectif n’est pas de modifier le droit de suite, comme cela a pu être énoncé. De même, il ne s’agirait pas d’une taxe – la seule taxe sur le livre étant la TVA. Notre approche se concentre sur le droit d’auteur », précise Séverine Weiss, présidente du Conseil permanent des écrivains (CPE). Elle poursuit : « Nous avons des arguments juridiques permettant d’appuyer l’idée que l’épuisement du droit de distribution (à savoir qu’il est parfaitement autorisé de revendre des livres, ce que personne ne conteste) n’empêche pas une rémunération en droit d’auteur. Il s’agirait d’une gestion collective – de récupérer une sorte de redevance auprès des grandes plateformes en ligne, appuyée sur leur chiffre d’affaires, et excluant du dispositif l’économie sociale et solidaire. Les acteurs majeurs du marché, industrialisés et agissant au niveau européen, ont en effet une attitude que l’on peut qualifier de prédatrice et qui nuit à toute la chaîne du livre. Nous demandons tout simplement une forme de compensation pour le préjudice subi, comme cela a pu être fait par le passé, avec le droit de prêt en bibliothèque par exemple – qui n’a pas empêché le développement des bibliothèques –, ou encore avec la copie privée. L’opposition des grands acteurs internationaux risque d’être rude, mais notre proposition n’entrave en rien les échanges sur le marché européen, et ne nuit pas au droit de la concurrence. Les acteurs du monde de la culture ont déjà réussi par le passé à faire valoir leurs droits au niveau européen, et à permettre par exemple une régulation des géants du numérique. »

Contraignant pour les revendeurs

Parmi les géants, l’Allemand Momox, entreprise en forte croissance de collecte et de revente de produits de seconde main, est particulièrement concerné. Mais les libraires indépendants peuvent aussi l’être. Auprès de Livres Hebdo, le Syndicat de la librairie française (SLF) ne cache ainsi pas son mécontentement même s’il refuse pour l’heure d’en dire davantage : « Le dialogue avec le Syndicat national de l’édition sur le sujet du livre d’occasion ayant pris, depuis quelques semaines et particulièrement à l’occasion du dernier festival du livre de Paris, un tour polémique et non constructif, loin des objectifs interprofessionnels affichés, le Syndicat de la librairie française a décidé de réserver aux autorités publiques ses réactions par rapport aux annonces de la ministre de la Culture », nous a-t-il indiqué.

Renan Ayrault, président-fondateur d’Ammareal, entreprise de collecte et de revente de livres d’occasion, se montre plus transparent. Il estime que « le sujet du SNE est d'abord et avant tout celui de la rémunération des auteurs. » Avant de poursuivre : « Or, depuis des années, les éditeurs mettent en échec les négociations pour l'augmentation des droits d'auteur, négociations pourtant encouragées par le ministère de la Culture ».

Même si les entreprises de l’économie sociale et solidaire étaient exclues du dispositif, elles subiraient ainsi des dommages collatéraux, poursuit-il : « Les entreprises comme la nôtre seront forcément impactées puisqu'une grande partie des livres que nous vendons le sont à travers les plateformes visées. Pour mémoire, nous reversons déjà des montants significatifs à la collectivité (dons financiers, insertion, dons en nature…). Cette "taxe" Macron sur le livre d'occasion met nos entreprises en péril. Cela est d'autant plus injuste que nous recyclons les déchets des éditeurs et que, au contraire, les éditeurs devraient nous soutenir financièrement via la REP (Responsabilité élargie du producteur, ndlr) comme dans toutes les autres filières professionnelles. Où est l'équité dans cette proposition ? »

Son confrère, Sylvain Joly-Hauffray, co-fondateur de Recyclivre, abonde : « En pratique, cette contribution ne touchera jamais les grandes plateformes comme Amazon, Vinted ou Le Bon Coin : elles ne vendent pas directement les livres, mais mettent en relation des vendeurs tiers. La taxe, si elle voit le jour, sera donc reportée par ces plateformes sur les acteurs français professionnels et engagés, ceux qui paient leurs impôts en France et ont mis au cœur de leur modèle la réinsertion professionnelle et l’emploi solidaire. »

Problème plus global

Selon lui, la proposition rate ainsi les enjeux. « La proposition du SNE ressemble davantage à un contre-feu qu’à une réponse sérieuse aux véritables enjeux de la filière. C’est une manière simpliste d’éviter de s’attaquer au cœur du problème : la rémunération des auteurs qui ne touchent aujourd’hui en moyenne que 8% du prix d’un livre neuf. Peut-on croire sérieusement qu’on réglera la question du partage de la valeur sur le long terme en s’attaquant à un marché de l'occasion à présent en recul (-3,8% en 2024) et qui ne représente que 10% de la valeur, quand on refuse de traiter le sujet du partage de la valeur sur les 90 % ? C’est d’ailleurs la question posée aussi par la Ligue des auteurs professionnels. »

Et rejoignant le SLF : « Ce qui est peut-être le plus regrettable, c’est l’absence totale de concertation depuis plus d’un an. Malgré nos demandes, le SNE ne nous a jamais reçus, ni même sollicités pour comprendre concrètement le fonctionnement de notre filière, pourtant directement visée. Une telle décision, prise sans dialogue avec les acteurs de terrain témoigne d’une approche fermée et déconnectée des réalités. On ne peut pas construire une politique durable du livre en excluant ceux qui y participent chaque jour ».

D’autres pistes soulevées

D’autres pistes seraient ainsi possibles : imposer une chronologie des médias (empêchant de vendre sur Internet un livre d’occasion un certain nombre de mois avant sa publication), faire contribuer les lecteurs (volontairement ou à travers une TVA)…

Avant cela, le Conseil d’État sera saisi d’une demande d’avis sur le livre d’occasion, et plus précisément « sur les questions juridiques posées par la mise en place d’une contribution de certaines ventes en ligne de livres d’occasion au bénéfice des auteurs et des éditeurs », rappelle sur LinkedIn le médiateur du livre Jean-Philippe Mochon. Selon lui, après cette étape viendra seulement « le temps de la concertation professionnelle, de la délibération démocratique, de la discussion avec les autorités européennes », alors même que la cannibalisation du marché du livre neuf par celui de l’occasion en ligne « reste encore à bien documenter », souligne-t-il.

Sur ce dernier point, Séverine Weiss se montre plus nuancée : « Il est difficile de dire aujourd’hui dans quelle mesure exacte ces nouvelles pratiques amputent notre rémunération, mais puisqu’un livre sur cinq aujourd’hui est vendu d’occasion et que le panier moyen d’achat de livres n’a pas augmenté, il est évident que l’occasion vient rogner sur le marché du neuf, affaiblir la loi sur le prix unique en proposant des livres parfois le jour même de leur sortie en neuf, et aggraver la précarité des auteurs – criante et croissante ».

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