"Un bon croquis vaut mieux qu’un long discours." La citation est de Napoléon, mais elle inspirent aujourd’hui les éditeurs de livres de développement professionnel. Design thinking, mind-mapping, sketchnote… plusieurs des sujets phares de 2017 font la part belle aux illustrations en couleurs et à une maquette soignée. La tendance vaut aussi pour les thématiques plus classiques comme le management, le bien-être en entreprise ou la transformation digitale. "Tout ce qui est visuel fonctionne très bien", résume Olivia Castagnet, responsable du rayon entreprise chez Mollat, à Bordeaux, qui constate par ailleurs l’intérêt croissant pour les ouvrages "positifs", censés accompagner les lecteurs dans leur évolution personnelle ou professionnelle. Pour tous ces sujets, il est devenu inconcevable de se contenter d’un habillage trop sobre. La maquette doit être originale et la bichromie, au minimum, s’impose. Les libraires se le tiennent pour dit : Mollat a récemment consacré l’une de ses vitrines au sketchnote en s’appuyant, entre autres, sur les ouvrages publiés chez Eyrolles par Mike Rohde, pape du sketchnote dont le dernier opus, Le guide avancé du sketchnote, vient de paraître. Le gribouillage, c’est tout un art (Diateino), paru en juin, figurait aussi en bonne place dans la vitrine déployée par la librairie.
Impact de la couleur
"Il est important de proposer des ouvrages qui ont chacun leur propre identité visuelle", explique Claudine Dartyge, directrice éditoriale chez Eyrolles. L’éditeur s’intéresse par exemple en ce mois d’octobre au design thinking avec L’innovation managériale, tandis que Pearson annonce pour la fin de l’année un nouveau format à l’italienne tout en quadrichromie, intitulé Design a better business. En juin, Dunod a publié Design thinking, illustré en bichromie par une série de dessins de Fix.
La tendance à renforcer l’impact de la couleur concerne un très large spectre de titres. Elle vaut aussi bien pour les ouvrages de vulgarisation économique comme la collection "Pop economics" chez De Boeck ou le très grand format publié par Eyrolles - L’économie comme vous ne l’avez jamais vue : une introduction en 100 infographies - que pour les livres humoristiques. Ainsi chez Diateino, Comme un lundi au bureau, paru en septembre, se présente sous la forme d’un condensé multicolore d’anecdotes sur la vie en entreprise.
Les livres d’entreprise stricto sensu, quels qu’en soient les sujets, sont également de plus en plus concernés. Il suffit de regarder la nouvelle série 2 H chrono lancée fin septembre par Dunod pour se faire une idée des tendances en matière de livre d’entreprise : concis, flashy et balisé. Déclinée en trois premiers titres expliquant comment mieux s’organiser, stimuler sa créativité ou faire bonne impression, 2 H chrono est "un nouveau concept pour les gens pressés", résume Odile Marion, directrice éditoriale entreprise, gestion et management chez Dunod. Le leitmotiv qui figure sur la quatrième de couverture des ouvrages est clair : "Lisez, visualisez, appliquez."
2 H chrono ne représente pourtant qu’une petite part de la politique éditoriale de Dunod. L’éditeur a amorcé l’an dernier une refonte complète de son offre de livres d’entreprise. Les deux collections historiques "Fonctions de l’entreprise" et "Stratégies et management" ont été redéployées en cinq nouvelles collections ("Stratégie d’entreprise", "Management leadership", "Marketing communication", "Commercial relation client" et "Ressources humaines") arborant chacune une identité visuelle spécifique. Les contenus ont aussi été revus, multipliant les entrées avec des cas d’entreprises, des mini-interviews ou des focus. "Les professionnels ont de moins en moins de temps pour lire, nos ouvrages doivent être moins volumineux et surtout ils doivent contenir une promesse, souligne Odile Marion. Le lecteur doit être sûr qu’il va apprendre quelque chose d’utile et mettre à jour ses compétences." Dunod complète son offre avec une sixième collection dédiée à l’univers de l’entreprise intitulée "Formation professionnelle" et s’ouvrant avec deux premiers titres traitant de l’évaluation de la formation et de l’ingénierie de la formation.
En un an, une grande partie du catalogue Dunod a bénéficié de cette cure de rajeunissement, avec, à la clé, une redynamisation des ventes, en partie due à la hausse des achats d’impulsion. "C’est l’avantage des couvertures attrayantes pour les grandes collections professionnelles dont les titres n’ont pas la notoriété ou la puissance des classiques qui paraissent hors collection", confirme Olivia Castagnet, chez Mollat.
Ce sont justement les classiques qui constituent l’essentiel des ventes sur le marché universitaire. Si De Boeck déploie quelques titres d’éco-gestion dans la nouvelle collection pluridisciplinaire "Sup’ en poche", dont les pages intérieures, en quadrichromie, jouent pleinement la carte du scolaire, l’éditeur va surtout refondre sous peu les couvertures et les maquettes intérieures des titres de sa collection phare "Ouvertures économiques". Une nouvelle édition très attendue de Politique économique qui paraît ce mois-ci à la rentrée. Chez Dunod, la valeur sûre de l’automne reste la 12e édition du Mercator. Le titre affiche une certaine sobriété chromatique, mais sa couverture se caractérise par un gaufrage inédit et la mise en page a été améliorée.
Enfin, Pearson signale la montée en puissance des ouvrages abordant les questions numériques. "Certains titres ont eu des ventes plus élevées en années 2 et 3 que l’année de leur parution, par exemple Marketing digital dont la première édition française remonte à 2014", signale Hélène Jean-Baptiste, responsable éditoriale enseignement supérieur.
Double cible
Côté innovation, Dunod va faire évoluer à partir de janvier la maquette intérieure de sa collection à succès "La boîte à outils". "Nous gardons le concept des outils, mais il y aura moins de texte, détaille Odile Marion. Les visuels seront plus nombreux et vont tendre vers l’infographie." Une manière pour l’éditeur de s’adapter, à la marge, au public étudiant de plus en plus nombreux à consommer cette collection initialement conçue pour les seuls professionnels. Sur un créneau voisin, Vuibert annonce pour début 2018 le lancement d’une nouvelle collection intitulée "Pro en", destinée aux "cadres, managers et étudiants en situation professionnelle", selon son directeur, François Cohen. Avec 6 premiers titres consacrés aux ressources humaines, à la communication ou à la conduite du changement, "Pro en" entend proposer des outils, mais aussi des plans d’actions pour les mettre en œuvre. "Nous serons dans une approche très simple et très visuelle avec des exemples d’application systématiquement proposés", précise François Cohen.
Si beaucoup d’ouvrages conçus pour les professionnels séduisent un public étudiant, la réciproque est aussi vraie. Chez Pearson, Hélène Jean-Baptiste souhaite travailler cette double cible : "Les étudiants veulent développer des compétences pratiques et transversales, ils sont moins attirés par les savoirs théoriques", rappelle-t-elle. Cela conduit l’éditeur à proposer des "concepts plus originaux" dont le dernier en date, Jouez l’innovation !, qui détourne le Rubik’s cube pour en faire un instrument de création d’idées, a été écrit par Hélène Michel, professeure vedette de l’école de management de Grenoble.
Chez Diateino, 2017 aura été une année de transition. Porté par le best-seller Reinventing organizations de Frédéric Laloux dont il a aussi publié avec succès une version résumée et illustrée en janvier dernier, l’éditeur revendique une "très forte croissance" selon sa directrice Dominique Gibert. De quoi nourrir ses ambitions pour 2018 : Diateino, qui a recruté en juin Julie Berquez (ex-Pearson), va doubler sa production de nouveautés, qui devrait s’élever à une vingtaine de titres par an.
De la même manière, Alisio, marque business de Leduc.s, entend élargir sa palette éditoriale en publiant davantage de livres d’inspiration, en particulier des biographies. Après s’être penché sur le parcours de Benjamin Franklin, l’éditeur poursuit cet automne avec un livre consacré au chausseur Robert Clergerie, et annonce pour début 2018 un récit de l’entrepreneur Luc Boisnard parti dépolluer l’Everest. Mais pour Alisio, l’enjeu majeur de la rentrée est la traduction du best-seller américain Deep work, consacré au pouvoir de la concentration.
Accalmie
Côté essais, la rentrée s’annonce moins électrique que l’an dernier, période post-électorale oblige. "Il n’y a pas de livre événement, a priori le nouveau Thomas Piketty n’est pas pour cette année", note Loren Boulanger, responsable du rayon actualité et sciences humaines chez Mollat. L’accalmie politique toute relative qui suit les élections du printemps laissera-t-elle un peu de temps au public pour aborder l’économie sous un angle historique ? Deux livres s’y emploient : Raisonner sur les blés de l’Américain Steven L. Kaplan (Fayard) se demande comment concilier marché et régulation à partir de l’histoire du XVIIIe siècle français. Chez Economica, Histoire de la pensée économique en France depuis 1789 rappelle que la France est l’une des nations "qui a le plus contribué à l’élaboration de la pensée économique avec l’Angleterre et les Etats-Unis". La maison fondée et dirigée par Jean Pavlevski publie également Théorie des jeux, à la fois destiné aux étudiants de premier cycle et au grand public curieux, et Economie de l’entreprise et des marchés, "ouvrage de très haut niveau touchant à la fois à l’économie, à la gestion et au droit", selon Jean Pavlevski.
Le débat économique n’est pas absent pour autant, même si certains éditeurs préfèrent attendre un peu avant de revenir sur un marché jugé encore peu propice. Les sujets sont variés, tels que l’ubérisation, la digitalisation ou les utopies réalistes. Fyp vient de publier le best-seller de l’Américain Martin Ford, L’avènement des machines, qui revient sur la menace d’un avenir sans emploi. L’éditeur limougeaud, qui publie surtout des auteurs français, s’efforce de "rechercher des regards particuliers sur des thématiques données", selon sa cofondatrice Florence Devesa. Elle ajoute : "En tant qu’éditeur indépendant, nous faisons émerger de jeunes auteurs, comme Philippe Vion-Dury l’an dernier, avec La nouvelle servitude volontaire : enquête sur le projet politique de la Silicon Valley qui a séduit près de 3 000 lecteurs." Dans la même veine, Jean-Hervé Lorenzi a publié en juin L’avenir de notre liberté, faut-il démanteler Google… et quelques autres ? (Eyrolles). D’autres essais abordent cependant les problèmes économiques sous un angle résolument optimiste. Dans Le monde qui émerge (Les Liens qui libèrent), ce sont les utopies réalistes qui sont passées au crible. De son côté, De Boeck s’appuie sur Osons la paix économique pour défendre l’idée d’une économie s’affranchissant, au moins partiellement, d’une logique de consommation-possession.
L’économie et la gestion en chiffres
Expertise comptable : en attendant 2019
A deux ans de la probable réforme du programme des études d’expertise comptable, les éditeurs s’efforcent de maintenir une offre attractive en multipliant les refontes de collections.
Il faut remonter à 2007 pour trouver trace de la dernière réforme du programme des études d’expertise comptable. Dans un marché dominé par Dunod, Nathan, Foucher et Gualino, la flamme éditoriale est entretenue par les refontes régulières des collections existantes, voire le lancement de nouvelles offres, mais les ventes souffrent d’un inévitable essoufflement. L’arrivée de Vuibert sur le segment en 2016 a créé un peu d’émulation, mais sans bouleverser les équilibres en place. "C’est à l’occasion de la prochaine réforme que les lignes vont réellement bouger", estime Odile Marion, directrice éditoriale entreprise, gestion et management chez Dunod, le leader du marché. Cela tombe bien, de nouveaux programmes concoctés par les professionnels - et non par l’Education nationale comme c’est le plus souvent l’usage - sont attendus pour 2019. Les éditeurs espèrent beaucoup de la réforme à venir, en particulier une simplification du cursus que d’aucuns jugent trop touffu et pas toujours en phase avec les réalités de la profession. "De l’avis général des observateurs, les programmes actuels ne préparent pas très bien au métier", pointe François Cohen, directeur de Vuibert, tandis que Sylvie Ogée, directrice éditoriale du secteur tertiaire chez Nathan, préfère souligner que "les professionnels sont très exigeants sur le niveau des épreuves".
Préparer la transition
Dans l’attente de cette réforme tant attendue, et à défaut d’en connaître encore les grandes lignes, les éditeurs prennent leur mal en patience. "Il est bien évident que notre offre de livres sera reformatée selon le contenu de la réforme", indique Philippe Gualino, directeur marketing éditorial chez Lextenso éditions. En attendant, il s’agit de préparer en douceur la transition en maintenant une offre attractive. Si Nathan a refondu l’an dernier sa collection phare "Manuel, applications & corrigés", et Gualino l’ensemble de ses "Carrés", Foucher a achevé au printemps le redéploiement en deux temps de son offre : l’éditeur a procédé à la refonte intégrale de sa collection "Tout le DSCG", anciennement intitulée "Le meilleur du", et en a profité pour publier deux nouveaux titres de cas pratiques corrigés. Déjà l’an dernier, il avait procédé à l’identique avec ses titres dédiés au DCG. "Le déploiement des titres refondus de "Tout le DCG" a eu un impact très positif sur les ventes, se réjouit Marilyse Vérité, responsable enseignement supérieur et développement numérique chez Foucher. Nous nous attendons à d’aussi bons résultats pour les titres consacrés au DSCG." De son côté, Vuibert profite du lancement de sa collection "DSCG", deuxième volet de son implantation sur le marché de l’expertise comptable après le DCG à la rentrée 2016, pour proposer une approche "très visuelle" du cours, selon François Cohen. Les titres proposent notamment des schémas de synthèse à la fin de chaque chapitre, sorte de "carte mentale" pour aider à la mémorisation du cours.
Chez Dunod, l’innovation en cette rentrée passe par l’évolution de la maquette intérieure de toutes les sous-séries de sa grande collection "Expert sup", à l’exception des titres para-universitaires "Express", déjà refondus l’an dernier. L’éditeur a également revu les couvertures et ajouté des rabats. Il est à noter que 2017 est la dernière année d’existence des deux titres d’annales traditionnellement publiés par Dunod. "C’est anecdotique, précise Odile Marion. Nous en arrêtons la publication parce qu’ils ne répondent plus aux usages, mais cela ne remet pas en question la cohérence globale de notre offre sur le marché."
Meilleures ventes : la prime aux valeurs sûres
Refondue l’an dernier, la collection des "Petits" de Dunod a réussi une impressionnante percée avec 5 titres consacrés à la paie, au social, à la comptabilité et au fiscal dans notre palmarès des meilleures ventes d’éco-gestion GFK/Livres Hebdo. Avec les habituels plans comptables généraux de Foucher, Nathan et Dunod, cela porte à 13 le nombre de titres vendus moins de 5 euros parmi les 50 premiers titres, dont 5 dans le top 10. Hormis cette immixtion des petits formats, le classement se caractérise par la faible présence de nouveautés marquantes. Vivement après-demain ! de Jacques Attali (Fayard, 3e), Tout le monde n’a pas eu la chance de rater ses études (Alisio, 5e), l’essai événement de l’an dernier Le négationnisme économique (Flammarion, 11e) et dans une moindre mesure l’autobiographie du fondateur de Nike (Hugo Doc, 26e) sont les seuls à émerger dans un classement surtout dominé par les long-sellers. Le prix Nobel Jean Tirole n’a perdu que 2 places avec Economie du bien commun (Puf, 4e), tandis que la biographie d’Elon Musk parue chez Eyrolles fait se maintenant en 6e position. Chez Flammarion, Liberté & Cie d’Isaac Getz, 15e, ne perd que 3 places. De son côté, Le capital au XXIe siècle de Thomas Piketty (Seuil, 14e) confirme son étonnante vigueur, quatre ans après sa publication. Mais la palme revient à l’éditeur québécois Un Monde différent, qui hisse de la 30e à la 8e position la 3e édition augmentée du best-seller de l’Américain Robert Kiyosaki, Père riche, père pauvre.