Essais et documents

Dossier Essais et documents : aux racines de la violence

Olivier Dion

Dossier Essais et documents : aux racines de la violence

Les programmes d’essais et documents pour l’hiver 2016 font la part belle aux analyses et aux enquêtes sur le terrorisme. Mais l’éclectisme caractérise toujours ce secteur dans lequel la non-fiction littéraire fait une percée.

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Par Hervé Hugueny
Créé le 11.12.2015 à 01h03 ,
Mis à jour le 11.12.2015 à 10h07

L’événement de janvier 2016 en essais et documents, ce sera la sortie mondiale du livre d’entretiens du pape François qui portera un message d’espoir et d’apaisement, au milieu d’une production toujours plutôt sombre. Robert Laffont annonce un premier tirage de 100 000 exemplaires. Dans ce segment, peu d’ouvrages font d’emblée l’objet d’un tel engagement de leur éditeur, même quand le sujet est porteur, ou la personnalité de l’auteur reconnue. "On repart toujours de zéro, il n’y a pas de fonds, et la mauvaise idée, ce serait de refaire un livre qui a marché", résume Sophie Charnavel, directrice éditoriale de Fayard, acteur très actif de ce rayon documents aux frontières fluctuantes et à l’économie particulière. "Contrairement à la littérature, on ne peut pas installer un auteur", ajoute Thierry Billard, directeur éditorial chez Flammarion.

"Plus qu’en littérature, les succès en documents contribuent à la notoriété et à la visibilité d’un éditeur."Sophie Charnavel, Fayard- Photo OLIVIER DION

D’apès les données rassemblées par Electre Biblio (1), quelque 1 400 nouveautés sont programmées en janvier et février 2016 dans les catégories essais, documents, enquêtes et investigation, témoignages, contre 475 romans (2). Cinq thèmes dépassent les 100 nouveautés : religions et spiritualité (199 titres), politique et administration publique (144), société (112), histoire (110), économie et entreprises (101).

Quelques collections hybrides relevant d’autres segments font grimper ces chiffres, mais la production reste quand même supérieure à celle de la fiction, alors que l’activité est moindre. L’an dernier, les 100 meilleures ventes de romans ont généré selon GFK 176,5 millions d’euros de chiffre d’affaires (pour 9,16 millions d’exemplaires) alors que les 100 meilleurs essais et documents ont rapporté 80,3 millions d’euros (pour 4,49 millions de volumes). C’était pourtant une année très favorable pour les documents, avec le record de Merci pour ce moment de Valérie Trierweiler (Les Arènes), que personne n’imaginait à ce niveau quand les rumeurs sur son projet de livre ont filtré, début 2014. "Plus qu’en littérature, les succès en documents contribuent à la notoriété et à la visibilité d’un éditeur", analyse Sophie Charnavel.

"Nous allons publier un témoignage absolument unique sur l’Etat islamique."Dorothée Cunéo, Robert Laffont- Photo MARGAUX ROL

Ils peuvent aussi être extraordinairement rentables. Les surprises ont encore marqué l’année 2015, avec la consécration improbable de Giulia Enders, jeune médecin allemande qui explique Le charme discret de l’intestin (Actes Sud), dont les ventes ont monté régulièrement d’avril à septembre. Elles dépassent encore les 10 000 exemplaires par semaine et le cumul atteignait 380 000 volumes au début décembre. Habituellement, le rythme des documents se caractérise par une envolée quasi immédiate, suivi d’un repli plus ou moins rapide. Celui-ci avait été proposé à plusieurs maisons : "Je l’ai refusé parce que j’avais déjà programmé un autre titre proche", regrette un éditeur, encore trop mortifié pour accepter d’être cité.

Au cœur de l’émotion

Plus gravement, les enquêtes, témoignages, hommages que les éditeurs ont commandés après les attentats de janvier vont se trouver au cœur de l’émotion et des questions soulevées après ceux du 13 novembre. Plus que jamais, le temps de l’édition offre celui d’une réflexion qui devrait répondre à la demande des lecteurs. Une partie de cette production a déjà été évoquée dans Livres Hebdo (3). On peut ajouter quelques titres, à commencer par les deux discours du Premier ministre Manuel Valls prononcés à l’Assemblée nationale, au lendemain des attentats de janvier et lors de la demande de prolongation de l’état d’urgence (L’exigence, Grasset). Les droits seront reversés aux associations de soutien aux victimes, précise l’éditeur. Chez Stock, Claude Guibal inventorie les variantes de l’extrémisme dans Islamistan : visages du radicalisme. Pierre Servent annonce une Extension du domaine de la guerre (Robert Laffont), dont les civils seront les premières victimes. Jean Birnbaum dénonce Un silence religieux : la gauche face au djihadisme (Seuil). Benjamin Stora revient sur un passé mal surmonté, à l’origine d’une partie des maux actuels (Les mémoires dangereuses : de l’Algérie coloniale à la France d’aujourd’hui, Albin Michel). Tareq Oubrou s’efforce de désamorcer les amalgames et idées reçues en détaillant Ce que vous ne savez pas sur l’islam : répondre aux préjugés des musulmans et des non-musulmans.

Le sociologue Michel Fize revient sur Les larmes de Charlie (Herne), dans une réflexion s’opposant à celle d’Emmanuel Todd dans Qui est Charlie ? Sociologie d’une crise religieuse (vendu à 41 000 exemplaires selon GFK), laquelle avait soulevé de vives discussions lors de sa publication au Seuil en mai dernier, et qui est rééditée en poche chez Points. Le moment est situé dans un contexte élargi par Vincent Duclert (L’après-Charlie : l’invention de la République, Demopolis) ou par Pierre Lefébure et Claire Sécail (Le défi Charlie : les médias à l’épreuve des attentats, Lemieux). Maryse Wolinski raconte sa vie après la disparition de son mari ("Chérie, je vais à Charlie", Seuil). Deux éditeurs ont recueilli les témoignages d’otages de l’Hyper Cacher : celui de Lassana Bathily, jeune Malien qui a sauvé la vie de plusieurs personnes (Je ne suis pas un héros, Flammarion), et celui de Yohan Dorai, qui a renseigné la police depuis la chambre froide du magasin (Hyper caché, avec Michel Taubmann, éditions du Moment). Les Arènes présentent une enquête constituée de multiples témoignages recueillis par quatre journalistes (Et soudain, ils ne riaient plus : cinq jours dans une France touchée au cœur, 5-12 janvier 2015).

Plusieurs auteurs fouillent les racines de cette violence : Gérald Bronner (La pensée extrême : comment des hommes ordinaires deviennent des fanatiques, Puf), Gilles Kepel (Terreur dans l’Hexagone : genèse du djihad français, Gallimard). Matthieu Suc rapporte les témoignages d’une dizaine de Femmes de djihadistes. "Ce sont des témoins négligés, qui racontent bien plus de cette histoire que les protagonistes eux-mêmes", juge Sophie Charnavel, son éditrice chez Fayard. Mais le récit qui devrait focaliser l’attention est celui que publie Robert Laffont, "un témoignage absolument unique", ainsi qu’il était présenté à la foire de Francfort. Sophie Kasiki est une assistante sociale convertie à l’islam et partie de son plein gré à Raqqa rejoindre l’Etat islamique, avec son fils de 4 ans. Elle s’en est échappée, une fois désillusionnée. "C’est une femme de 30 ans, pas écervelée, on comprend les choses en suivant son parcours", insiste Dorothée Cunéo, directrice éditoriale chez Robert Laffont chargée des essais et documents, qui imprimera Dans la nuit de Daech, confession d’une repentie à 12 000 exemplaires.

Sensiblité de droite

Albin Michel n’a pas publié directement sur ce sujet, ce qui ne l’empêche pas d’être l’éditeur à qui tout réussit en essais et documents. Si le Seuil fut l’éditeur étroitement en phase avec les années 1970 et 1980, c’est aujourd’hui la sensibilité de droite accompagnée chez Albin Michel qui correspond exactement au discrédit frappant la majorité actuelle. Publié en 2014, Le suicide français, cri de désespoir provocateur d’Eric Zemmour, s’est encore vendu à une centaine de milliers d’exemplaires cette année selon GFK (sur 450 000 au total à début décembre). Les mémoires du rancunier Philippe de Villiers (Le moment est venu de dire ce que j’ai vu) en sont à 120 000 ventes en deux mois. Et François Fillon a créé la surprise avec son Faire, "un mélange de récit autobiographique, de réflexion sur le pouvoir et d’éléments de programme", explique Alexandre Wickham, directeur éditorial chez Albin Michel, qui annonce 80 000 exemplaires vendus. Le plan média, toujours crucial, ressemblait à un blitzkrieg, avec le 20 heures de TF1, une interview d’Olivier Mazerolle le lendemain matin sur RTL, la couverture du Figaro Magazine, "Le grand journal" de Canal+ et le JDD. "Je ne me suis pas trop mal débrouillé", se félicite son éditeur, qui s’occupe tout particulièrement des essais et documents politiques depuis son bureau niché sous les toits de la maison.

Avec 36 titres au total dans les meilleures ventes d’essais, le succès d’Albin Michel va bien au-delà de ces trois auteurs, et explore des genres très différents, entre l’ode à la mémoire de Palmyre de Paul Veyne (près de 38 000 exemplaires), la vaste synthèse de Yuval Noah Harari (Sapiens : une brève histoire de l’humanité, 30 000 exemplaires également), ou encore les conseils pratiques du Dr Saldmann (Prenez votre santé en main !, 270 000 ventes). Dans la production à venir, Albin Michel continuera avec quelques valeurs sûres, dont Sophie Coignard et Romain Gubert (Ça tiendra bien jusqu’en 2017… : enquête sur la façon dont nous ne sommes pas gouvernés) qui traquent l’impéritie déjà dénoncée il y a quatre ans dans L’oligarchie des incapables. Après la France, Nicolas Baverez passe à un échelon supérieur du déclinisme et s’inquiète de l’instabilité générale qui va caractériser le XXIe siècle (Danser sur un volcan).

Sortir du silence

Isabelle Saporta, auteure d’un précédent Vino business qui avait troublé le Bordelais, pointe maintenant dans Foutez-nous la paix ! le ras-le-bol des petits agriculteurs, coincés entre les multinationales et les réglementations. Fayard se préoccupe aussi de la crise du monde agricole dans Nous ne mangerons plus français de Périco Légasse, dont la sortie est pareillement calée sur le Salon de l’agriculture (27 février). Elsa Casalegno, Nicolas Cori et Karl Laske dénoncent Les cartels du lait : comment ils remodèlent l’agriculture et précipitent la crise chez Don Quichotte, thème traité chez Nouveau Monde éditions par Véronique Richez-Lerouge avec La vache qui pleure ! Enquête sur les dérives de l’industrie laitière. Au Seuil, dans la collection "Reporterre", coéditée avec le magazine du même nom, Les néo-paysans de Gaspard d’Allens et Lucile Leclair rassemble des portraits d’ex-citadins partis aux champs et encore pleins d’espoir.

Après les élections régionales, mais avant les primaires à droite chez Les Républicains, la politique connaîtra un temps creux. Jean-François Copé profite de cette accalmie pour sortir de son silence après l’affaire Bygmalion et les comptes truqués de la campagne présidentielle, dans laquelle il apparaît en tant qu’ancien président de l’UMP, et publie Le sursaut français, chez Stock. François Baroin, sénateur de l’Aube et ancien ministre des gouvernements Fillon, trace Un chemin français à propos de la laïcité, chez Lattès. Alain Juppé poursuit la publication de ses livres programmatiques, toujours chez Lattès, avec L’Etat fort. Daniel Cohn-Bendit, ex-leader écologiste libéré de toute obligation politique, annonce un programme ambitieux : On arrête les conneries (Fayard).

Le début 2016 pourrait aussi marquer le retour sur la scène publique de Jérôme Cahuzac, pas vraiment de son plein gré. Le procès de l’ancien ministre socialiste du Budget pris en flagrant délit de fraude fiscale devrait s’ouvrir en février et deux éditeurs rappellent les faits accablants : Fayard avec Dissimulations de Jean-Luc Barré, et Flammarion avec Code Birdie : nouvelles révélations sur l’enquête Cahuzac de Mathieu Delahousse. Enfin, ces deux maisons prépareraint chacune une biographie de Jacques Chirac, ancien président de la République qui vit une retraite paradoxale, follement populaire chez les Français qui lui ont tout pardonné depuis qu’il ne les dirige plus, mais sous surveillance étroite d’un entourage qui montre moins de mansuétude. Fayard annonce la publication en février d’une enquête sur "les dernières années de la vie d’un homme politique majeur de la Ve République", selon une notice succincte d’Electre, sans titre ni nom d’auteur, Flammarion fait circuler l’information via ses représentants.

(1) Electre Biblio appartient à Electre comme Livres Hebdo.

(2) Voir LH 1065, du 4.12.2015.

(3) "Les livres pour le dire", LH 1063, du 20.11.2015, p. 20-25.

Consécration de la non-fiction narrative

 

Utilisant à la fois les principes de l’enquête journalistique et ceux de l’écriture romanesque, des récits sortent de la sécheresse du document pour devenir des œuvres littéraires, portées comme telles par leurs éditeurs, présentées de la même manière par les libraires et appréciées à l’unisson par leurs lecteurs.

 

Martha Gellhorn et Ernest Hemingway avec des officiers chinois lors de la guerre sino-japonaise en 1941.- Photo COLLECTION JOHN F. KENNEDY PRESIDENTIAL LIBRARY AND MUSEUM, BOSTON

L’attribution du dernier prix Nobel de littérature à l’auteure biélorusse Svetlana Alexievitch marque la consécration de la non-fiction littéraire, un genre à la définition et aux frontières incertaines. Depuis son premier livre, La guerre n’a pas un visage de femme (Presses de la Renaissance en 2004, J’ai lu et Actes Sud), l’écrivaine raconte le monde russe à partir de centaines de témoignages enregistrés, parfois renouvelés une dizaine de fois avec ses principaux interlocuteurs. "J’essaie d’abord de me débarrasser au plus vite de tout ce qui est banal. Ce qui m’intéresse, ce sont les détails nouveaux, les petites choses sur lesquelles on ne pose jamais de questions. Moi, je cherche avec les gens le sens profond de ce qu’ils ont vécu", expliquait-elle dans un entretien au Monde, un mois après l’annonce de son prix.

Nouveau journalisme

Il semble paradoxal qu’une auteure russophone devienne l’emblème de cette forme de récit qui abonde surtout dans la production américaine. Joan Didion, John McPhee, Gay Talese, Tom Wolfe, entre autres, viennent de cette école du nouveau journalisme qui remonte aux années 1960-1970. Celle-ci nourrit le projet des éditions du Sous-sol et celui des toutes jeunes éditions Marchialy (1), lesquelles se revendiquent aussi de la "creative nonfiction" et se sont inspirées de la maison d’Adrien Bosc, ainsi que ses fondateurs le reconnaissent. En Belgique, Zone sensible, fondée en 2010 par Alexandre Laumonier, explore le même terrain, à partir des sciences humaines. Cette spécialisation donne une visibilité à un segment qui n’était pas ignoré, mais plutôt dispersé entre de multiples maisons au gré des traductions, des goûts et des paris de leurs éditeurs. Quelques libraires y consacrent une attention particulière.

"Ce prix Nobel est un signe fort pour montrer que la littérature, ce n’est pas que du roman", rappelle Pierre Coutelle à la librairie Mollat, à Bordeaux, qui a exposé une partie de ces titres en vitrine, et en a réalisé une bibliographie disponible sur le site Web de la librairie. "Svetlana Alexievitch a une technique éblouissante dans le collage des voix", s’enthousiasme Nicolas Trigeassou, directeur de la librairie du Square, à Grenoble, qui évoque aussi Martha Gellhorn, une journaliste américaine dont Les Belles Lettres viennent de rééditer les reportages (La guerre de face). "Quand elle écrit : "A Barcelone il faisait un temps idéal pour les bombardements", au début d’un de ses reportages sur la guerre d’Espagne, elle fait preuve d’un sens de l’évocation extraordinaire", poursuit-il en citant pêle-mêle d’autres grands ancêtres (Blaise Cendrars, Joseph Kessel, Albert Londres), ou encore l’enquête de Javier Cercas sur la stupéfiante mystification d’un autoproclamé héros de l’antifranquisme, reconnu et estimé en Espagne (L’imposteur, Actes Sud, près de 12 000 ventes depuis septembre).

En 2012, la maison avait traduit Congo, une histoire du Néerlandais David Van Reybrouck, la biographie d’un pays mêlant les voix de ses habitants et des documents historiques, couverte de prix et vendue à près de 50 000 exemplaires en France, en grand format et poche. Car ces textes sont aussi assez forts pour mériter des rééditions. Extra pure : voyage dans l’économie de la cocaïne de Roberto Saviano, auteur du saisissant Gomorra, passera ainsi en Folio début février.

Des écrivains de toutes origines ont décliné ce genre dans les domaines les plus divers, pour produire des textes devenus des classiques, dont l’intérêt résiste au temps et aux circonstances qui les ont fait naître. Indisponible en ce moment, Le combat du siècle de Norman Mailer, qui raconte l’ambiance survoltée du match de boxe entre Mohammed Ali et George Foreman organisé en 1975 à Kinshasa se négocie à près de 20 euros en Folio d’occasion sur la marketplace d’Amazon. La quête de vérité et d’authenticité du propos caractérise ces enquêtes journalistiques très documentées, s’appuyant sur les principes de construction littéraire. A paraître en janvier prochain chez Noir sur blanc, La chambre à récits : la passion, la vengeance et la vie dans un village d’Espagne du journaliste américain Michael Paterniti captive ainsi son lecteur avec l’histoire d’une minuscule bourgade, déchirée par les rivalités autour de la recette ancestrale d’un fromage de légende, le páramo. En 2013, ce titre était dans les meilleures ventes du New York Times.

Non-fiction narrative

"J’utilise toutes sortes de dispositifs propres au roman, à l’aide desquels je m’efforce de maintenir l’intérêt du lecteur pour entretenir la peur, la pitié, l’identification, le suspense et l’envie irrépressible de continuer à tourner les pages", détaillait Emmanuel Carrère dans un long entretien à la revue américaine Paris Review publié à l’automne 2013, quelques mois avant la traduction de Limonov (P.O.L, Renaudot 2011) en anglais. Critique de cinéma au début de sa carrière, romancier lancé avec La moustache, il a adopté cette non-fiction narrative si appréciée aux Etats-Unis avec L’adversaire. Dans ce récit publié en 2000, il s’emparait de l’histoire de Jean-Claude Romand, qui avait construit toute sa vie sur un mensonge et assassiné sa famille au moment où il allait être découvert. Emmanuel Carrère s’inscrivait ainsi dans la filiation de Truman Capote, considéré comme une référence avec De sang-froid, autre fait divers sanglant transformé en œuvre littéraire.

"Ce genre s’est développé aux Etats-Unis grâce à des magazines comme le New Yorker, New York Magazine, Esquire, Rolling Stone, qui avaient les moyens de publier de très longs reportages, exigeant plusieurs mois d’enquête", rappelle Olivier Cohen, P-DG de l’Olivier. Celui-ci publie les reportages au long cours de Florence Aubenas, unanimement saluée pour Le quai de Ouistreham (2010, 370 000 exemplaires grand format et poche), qui a pratiqué le journalisme d’immersion pour décrire la vie des plus précaires. En 1994, il avait publié le tout premier livre de Jean Hatzfeld, rentré grièvement blessé de Yougoslavie (L’air de la guerre : sur les routes de Croatie et de Bosnie-Herzégovine). Ses remarquables récits du génocide rwandais ont ensuite grandement contribué à faire comprendre toute la dimension de cette tragédie.

Tristram, qui a fait connaître en France Lester Bangs, auteur de chroniques musicales aussi ciselées qu’extravagantes (Psychotic reactions & autres carburateurs flingués), a publié également les reportages d’Hunter S. Thompson (Dernier tango à Las Vegas, Parano dans le bunker), référence du journalisme gonzo, ou plus récemment ceux de William Vollmann (Tout le monde aime les Américains et autres enquête en Afrique et dans le monde musulman). En janvier, la maison rééditera Paysage avec palmiers de Bernard Wallet, "fondateur des éditions Verticales, ancien représentant de Gallimard au Moyen-Orient, fasciné par Beyrouth où il assisté au début de la première guerre du Liban en 1975, préfiguration du conflit général qui a suivi. C’est un des livres majeurs sur le sujet", assure Jean-Hubert Gailliot, cofondateur de Tristram, avec Sylvie Martigny.

(1) Voir LH 1063, du 20.11.2015, p. 32.

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