Dans le 3^e baromètre sur les Français et la lecture, réalisé par Ipsos pour le Centre national du livre et publié le 13 mars, le livre apparaît, plus que jamais, comme un outil indispensable pour être heureux. Les 35-49 ans et CSP +, « en quête d'épanouissement » selon l'étude, sont de plus en plus nombreux à pousser les portes des librairies pour s'emparer d'un livre de développement personnel (+ 4 % par rapport à 2017). « Les lecteurs recherchent des clés pour vivre mieux », confirme Dorothée Rothschild, responsable éditoriale pratique, bien-être, humour et BD de J'ai lu.

Arrivée des éditeurs généralistes

Face à la demande, l'offre éditoriale augmente de manière constante depuis 2012. D'après GFK, le secteur a connu, au cours des douze derniers mois, une nouvelle progression de sess ventes en exemplaires de 1 % tandis que le chiffre d'affaires a reculé de 1,1 %. Ce repli s'explique par une baisse du prix moyen, en raison de la forte croissance du format poche (+ 1,8 % en volume, + 3,9 % en valeur). Chez Pocket, la collection « Evolution », dirigée par Fabrice Midal et Elise Boulay, poursuit sa croissance depuis plusieurs années, assure l'éditeur. « Le développement personnel est un segment qui est de plus en plus nourri par des livres édités en interne [groupe Editis, NDLR] grâce à First mais aussi Robert Laffont avec des auteures comme Nicole Bordeleau [chez Nil, NDLR] et bientôt Isabelle Filliozat ou Plon avec Raphaëlle Giordano et Fabrice Midal », analyse Elise Boulay. Le poche bénéficie aussi d'un approvisionnement extérieur plus riche, les maisons d'édition généralistes étant plus nombreuses à ouvrir leur ligne éditoriale à la psycho pop, terme qui définit les ouvrages à la croisée du développement personnel, de la santé et du bien-être. Pocket a récemment acheté les droits de titres chez Albin Michel, Allary ou Florent Massot. J'ai lu, la filiale poche de Flammarion et leader poche du segment, met en avant sa dernière acquisition à succès, Trois amis en quête de sagesse signé par Christophe André, Alexandre Jollien et Matthieu Ricard, publié en grand format à L'Iconoclaste.

Chez Albin Michel et son diffuseur Dilisco, l'approvisionnement s'est aussi enrichi récemment avec l'acquisition de Leduc.s et de la prise de participation à hauteur de 80 % de Jouvence. Egalement diffusé par Dilisco, le groupe fondé par Guy Trédaniel, un historique du secteur, sent aussi le vent porteur de la psycho pop. « Alors que la croissance de notre chiffre d'affaires était constante et de l'ordre de 3 à 4 % en valeur par an, nous sommes passés à près de 10 % sur certaines thématiques comme le chamanisme au cours de ces deux dernières années », assure Guy Trédaniel.

De l'avis général toutefois, ce segment éditorial arrive à saturation. « Les livres se ressemblent de plus en plus. Même si nous restons sur le qualitatif, nous sommes tenus de faire du quantitatif », réagit Jacques Maire, fondateur de Jouvence. « Dans ce contexte, c'est primordial de rester fidèle à notre ADN, c'est un gage de légitimité », estime Charlène Guinoiseau, responsable éditoriale de Jouvence. Un constat similaire est tiré chez Eyrolles. « Nous avons augmenté de 10 % notre production et recherchons toujours de nouveaux auteurs. Mais notre collection "Comprendre et agir - Les classiques" [créée en 2007, NDLR] apparaît sur les rayons comme un référent », indique Joanne Mirailles, responsable de secteur, chargée des rayons santé/bien-être, développement personnel, parenting.

« Sous-segmentation »

Chez Solar, la directrice éditoriale, Marion Guillemet, est aussi très attentive à sa production. « Nous n'allons pas l'augmenter mais continuer à faire ce que l'on sait faire, tout en menant une réflexion sur les formes à adopter », déclare-t-elle. Elle évoque notamment la bonne tenue de la collection pratique « Mon cahier » mais aussi le succès de Celle qui a dit fuck d'Anne-Sophie et Fanny Lesage, écoulé à près de 20 000 exemplaires selon GFK dont un nouveau volet paraîtra en septembre. « Il ne faut pas céder à la pression », note Aline Sibony, responsable éditoriale chez First. La maison d'Edi8 a connu, ces trois dernières années, une forte progression impulsée par Marie Kondo et son best-seller La magie du rangement (2015). Elle n'a toutefois pas effectué « d'achat spectaculaire » aux dernières foires internationales du livre de Londres et Francfort. « Notre progression reste constante puisqu'on a réussi à installer nos auteurs dans la durée », estime l'éditrice. La série Netflix avec Marie Kondo a remis en avant l'auteure japonaise, et l'éditeur attend beaucoup de la parution du troisième ouvrage de Meik Wiking, le maître du hygge, la fameuse méthode danoise sur le vivre-mieux à la scandinave. « Il va plus loin dans sa réflexion afin d'explorer, cette fois, l'art de se créer de beaux souvenirs », précise Aline Sibony.

Dans ce secteur où les tendances éditoriales s'enchaînent et se « sous-segmentent », les auteurs contemporains de best-sellers se font rares. « Le succès d'un auteur en psycho pop se mesure par son talent de narrateur mais surtout par sa générosité. Après un premier succès, est-ce qu'il a encore beaucoup à donner à ses lecteurs ? Est-ce qu'il avance dans ses recherches et ses approches ? » juge Hélène Gédouin, directrice éditoriale chez Marabout, qui prend l'exemple de Florence Servan-Schreiber dont le succès ne se dément pas depuis 2011 grâce à ses 3 kifs par jour. « Elle a introduit la psychologie positive dans les foyers et l'a développée au fil des années », poursuit l'éditrice.

Pour Dunod, nouvellement arrivé dans le secteur de la psycho pop, la légitimité est apportée par sa marque Inter-éditions. « Nous avons diversifié la ligne éditoriale en nous ouvrant au grand public, les libraires ont très bien accueilli ce changement, et Interéditions est perçue comme une marque sérieuse », explique Ronite Tubiana, responsable d'édition chez Dunod. L'éditeur tente désormais d'installer « les bonnes voix ». « Le combo gagnant, c'est l'auteur capable de décliner une approche singulière autour d'une thématique actuelle », poursuit Ronite Tubiana. L'une des meilleures ventes de l'éditeur est Yoga coaching d'Ariane Albecker, « la youtubeuse qui rend le yoga accessible ». Enseignante de yoga depuis 2012, elle est suivie par plus de 75 000 personnes sur la chaîne. « Dans ce secteur, l'auteur est souvent familier des médias, notamment des réseaux sociaux », souligne de son côté Stéphane Rosa, responsable d'édition chez Hachette Pratique. Parmi les différents titres qu'il défend se trouve Goodbye comfort zone, paru le 6 mars et signé par Hanine Mhannd, conférencier spécialisé dans la gamification, technique de marketing consistant à appliquer les mécaniques propres aux jeux vidéo à des domaines non ludiques. Il travaille sur l'épanouissement de soi et l'optimisation du potentiel de chacun.

Nouveaux experts

Les nouvelles techniques, en rapport avec la gestion du stress et la relaxation, se multiplient. Incarnées par des auteurs influenceurs, ces approches rassemblent des communautés plus petites, composées de publics aux profils divers. Pour Leduc.s, ces nouveaux « experts » enrichissent une collection lancée en 2017 et qui répertorie des spécialistes dans différents domaines, allant de la médecine classique à l'homéopathie en passant par la nutrition ou la beauté. En psycho pop, « nous publions uniquement des pointures, celles qui par leurs études et recherches sont légitimes sur les sujets », assure Sandrine Navarro, éditrice responsable du développement personnel, de la santé et du bien-être chez Leduc.s. Elle édite Thierry Thomas, auteur de Je me sens bien avec la cohérence cardiaque, une technique de respiration à pratiquer quinze minutes par jour, ou Florian Boullot, auteur de Je me relaxe grâce à l'ASMR pour Autonomous Sensory Meridian Response, une émanation de la sophrologie, fondée sur des déclencheurs notamment sonores, et qui permet de se détendre et de lâcher prise.

La production de Leduc.s augmente aussi de manière constante. Afin de se démarquer en librairie, les différents labels se sont regroupés derrière la marque Leduc.s Pratique. « Nous avons aussi structuré les parutions avec des chartes graphiques spécifiques par thématiques, comme la puissance au féminin », explique Sophie Rouanet, directrice éditoriale. Les autres éditeurs font également des efforts graphiques pour apporter des grilles de visibilité aux lecteurs mais aussi aux libraires. Encouragé par son diffuseur, J'ai lu a récemment proposé aux libraires un meuble en bois dédié à ses parutions en psycho pop. « Les professionnels, notamment ceux du premier niveau, sont en demande de pédagogie, ils souhaitent mieux se repérer », réagit Elise Boulay. Avec Fabrice Midal, elle organise tous les ans une matinée « Evolution ». Ils réunissent des libraires dans leurs locaux pour présenter les tendances éditoriales mais aussi les chiffres. L'écrivain et l'éditrice ont aussi créé le premier prix littéraire dédié au développement personnel. Une nouvelle tentative pour faire émerger des auteurs peu identifiés.

Quête d'intelligence ou narcissisme ?

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Est-elle une quête d'intelligence de soi, ou un symptôme de narcissisme, cette prolifération d'ouvrages de psycho pop ? Sans doute un peu des deux. Mais tout de même, j'y vois un phénomène plus réconfortant que désolant. Car la psychologie est devenue un outil indispensable pour garder son cap dans un monde devenu très instable et peu prévisible (c'était moins le cas dans les sociétés d'autrefois, où chacun restait à sa place), et autant qu'elle soit rendue accessible au plus grand nombre. Et puis, je préfère observer la multiplication de tels livres que voir chacun collé sur des écrans, à consommer, bien souvent, de la servitude et du décervelage. Christophe André

Podcaster pour aller mieux

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Lors de la dernière édition de Livre Paris, l'éditeur Guy Trédaniel a imaginé un lancement un peu particulier pour la nouveauté de son auteur Stéphane Haskell, Ecoute. « Nous avons proposé une expérience auditive, un bain de son pendant lequel on pouvait visionner des images de la nature. Une expérience autour des sons thérapeutiques », explique le fondateur du groupe. Le public s'est alors familiarisé avec les vibrations sonores et leurs effets thérapeutiques. « Le son, de manière générale, intéresse le lecteur de développement personnel qui est toujours en recherche d'une certaine intimité », poursuit Sophie Gillot, responsable éditoriale chez Guy Trédaniel.

La parole aux auteurs

Les meilleures ventes de la filiale de livres audio d'Amazon, Audible, illustrent bien ce phénomène avec quatre livres de développement personnel dans le Top 10. A la première place du podium, Le pouvoir de la confiance en soi de Brian Tracy. Ayant compris l'enjeu, les éditeurs tentent, dans la mesure du possible, d'associer le son à leurs parutions, notamment dans le domaine de la méditation. A L'Iconoclaste, les livres de Christophe André boostent l'écoute des podcasts de l'auteur. Il publie le 26 juin Le temps de méditer, tiré des 9 émissions qu'il anime cet été sur France Inter. Chez Eyrolles, la directrice de collection et fondatrice de Féminin Bio, Anne Ghesquière, a lancé sa chaîne de podcasts sur le site du magazine. Dans « Métamorphose », elle donne la parole aux auteurs, dont nombreux signent chez Eyrolles comme Isabelle Pailleau, Romain Vicente, Sylvie Liger ou Marion Thelliez.

La journaliste Lucile Bellan signe en septembre chez Leduc.s C'est compliqué mais ça fait du bien d'en parler !. Elle revient sur 15 témoignages qui ont marqué l'histoire de « C'est compliqué », le podcast qu'elle anime depuis 2014 sur Slate.fr. « Retranscrire ces témoignages m'a permis de prendre du recul sur leurs histoires mais aussi de connaître leur suite », réagit-elle. Dans la même veine, Marabout publiera l'année prochaine le livre de Clotilde Dusoulier, coach de vie certifiée de 39 ans qui réunit des milliers de personnes autour de son podcast, « Change ma vie ».

Les applications de méditation apportent aussi leur vague d'ouvrages. Aux Arènes, la sortie en avril du livre de Martin Aylward, Ne te quitte pas, le corps au cœur de la méditation, s'est accompagnée de cinq médiations offertes et d'un abonnement de trois mois à l'application Mind, fondée par l'auteur. De son côté, Marabout a publié en mars Méditer avec Petit Bambou de Benjamin Basco et Loïc Dujardin, une présentation illustrée de l'application de méditation de pleine conscience numéro un en France. Chez First, Antoine Gerlier, fondateur de l'application Namatata, qui compte aujourd'hui plus de 600 000 utilisateurs, et le Dr François Bourgognon signent le 23 mai Méditer avec Namatata : explorez votre jungle intérieure ! où, là aussi, le lecteur se laisse porter par la méditation afin de s'ancrer dans le moment présent.

CD et QR codes

Parallèlement, le format CD continue d'accompagner les livres de développement personnel. Marabout a proposé l'année dernière La méditation anti burn-out de Marine Colombel. « Même si on a tendance à remplacer le CD par des QR codes, le support physique est encore privilégié », indique Hélène Gédouin. Les éditeurs spécialisés comme Guy Trédaniel ou Souffle d'or partagent cet avis.

La plupart des maisons d'édition annoncent des projets dans le domaine du son, qu'il s'agisse de collaborations éditoriales ou de créations de formats courts en partenariat avec des éditeurs de livres audio. Certains vont même plus loin, comme Guy Trédaniel qui a arrêté de céder ses droits audio.« Nous sommes prêts à assurer notre propre production », assure l'éditeur.