Le 17 mars, Emmanuel Macron annonce l'inévitable. Pour faire face à la « guerre » contre le coronavirus, les Français devront rester confinés chez eux. Cette mesure à contraint nombre d'entre eux, sans qu'il ne soit possible d'en faire une estimation précise, à se recentrer sur l'essentiel, à ralentir le rythme effréné de leur quotidien. Ces 55 jours ont parfois aussi été synonymes d'introspection. « Même si de nombreuses personnes étaient débordées, je pense que le confinement est allé de pair avec une certaine intériorité qui nous a poussés à nous recentrer sur nous, notre vie, ce qui va ou non », estime Dorothée Rothschild, directrice littéraire du pôle non-fiction de J'ai lu. Un contexte qui pourrait donner un nouvel écho à la production éditoriale de psychologie populaire, qui a enregistré au cours des douze derniers mois une chute de ses ventes de 6,3 % en nombre d'exemplaires comme et en valeur malgré la croissance continue du format poche (+ 2,1 % en exemplaires, + 3,6 % en valeur).
Parmi les thématiques susceptibles d'éclairer le monde d'après : celui du lâcher-prise. « Ce n'est pas un sujet nouveau, mais les lecteurs le découvrent pleinement aujourd'hui », observe Marion Guillemet, directrice éditoriale chez Solar. Ses auteures phares, Anne-Sophie et Fanny Lesage, proposeront L'anti-agenda 2021 : cette année, je m'en fous ! (20 août), un carnet pour apprendre à lever le pied. « C'est l'agenda qu'on a envie d'avoir à côté de son lit et qui n'est pas là pour nous angoisser », explique l'éditrice. Anne-Sophie et Fanny Lesage sont déjà bien installées dans le paysage éditorial. Leur titre Celle qui a dit fuck : journal d'une imparfaite qui décide d'en finir avec les prises de tête (Solar, 2018, réédité en poche chez J'ai lu en septembre dernier) est l'un des titres à avoir « hyper bien fonctionné » dans le catalogue de Dorothée Rothschild.
Apprendre à ralentir
Dans la même veine, « les lecteurs réfléchissent à leur manière de consommer. La slow-life revient sur le devant de la scène, même si elle n'était pas bien loin », analyse Charlène Guinoiseau, directrice éditoriale de Jouvence. Elle édite le 25 août Carpe Diem du matin et Carpe Diem du soir dans la collection « Mes petites bulles ». « L'idée est d'apprendre au lecteur à instaurer une routine pour ne plus courir après le temps et de saisir que le présent est le seul qui compte véritablement », explique l'éditrice. Le mouvement slow revient aussi dans le catalogue de Solar avec Slow : mon carnet en conscience de Clélia Félix (18 juin) et dans celui de First qui prévoit Slow-life : ma révolution intérieure en novembre. Après le hygge ou l'ikigai, l'art de cultiver la paix et le bonheur continue de s'inspirer de cultures étrangères. Le livre du niksen de la journaliste néerlandaise Olga Mecking (27 août) - l'un des « hot books » de la foire de Francfort 2019 - proposera « une détox régulière, qui peut être de très courte durée, pendant laquelle il est important de ne rien faire sans culpabiliser », explique Aline Sibony, responsable éditoriale. Leduc.s décryptera notamment le Honjok : le secret des Coréens pour être heureux avec soi-même de Crystal Tal et Francie Healey (20 octobre) qui explique les bienfaits de la solitude.
Les relations amoureuses restent au cœur de l'activité du secteur. Avec Aimer c'est prendre le risque de la surprise : éloge inattendu de la rencontre amoureuse (Albin Michel, janvier 2020), Cécile Guéret livre « une réflexion sur ce qui peut nous empêcher d'avoir une belle relation amoureuse et explique qu'il faut se connaître soi pour pleinement accepter l'autre », déclare Aurélie Starckmann, arrivée en début d'année à la direction du département pratique d'Albin Michel. Un inédit apparaît au catalogue de J'ai lu. Avec All by myself : petit manuel pour rebondir après une rupture d'Audrey Merveille (17 juin), « rédigé sur un ton humoristique », Dorothée Rothschild souhaite aider les lectrices à transformer cette expérience douloureuse en découverte de soi. De son côté, Eyrolles prévoit 50 exercices pour surmonter son divorce, sa séparation de Sandrine Mercy (25 juin).
Des poids lourds à venir
Plusieurs poids lourds sont attendus pour cette année, à l'image de Penser comme un moine de Jay Shetty (voir encadré p. 88). Cinq ans après son best-seller planétaire, Marie Kondo décline sa Magie du rangement au travail (First, 17 septembre). Co-écrit avec le psychologue américain Scott Sonenshein, l'ouvrage applique la méthode KonMarie à la sphère professionnelle. La thématique du rangement est d'ailleurs toujours en vogue dans les catalogues. Caroline Gleizes-Chevallier propose 21 étapes pour remettre de l'ordre dans sa vie grâce au Feng Shui avec J'arrête de vivre dans le chaos ! (Eyrolles, 18 juin) et InterEditions mise sur la Clean thérapie : parce qu'il y a une vie après le ménage de Gemma Bray (2 septembre) qui donne des astuces pour « s'organiser en trente minutes par jour pour avoir une maison propre et rangée », détaille Ronite Tubiana, responsable d'édition.
Qualifiée de « papesse québécoise du développement personnel » par Dorothée Rothschild, Lise Bourbeau rejoint cette année le catalogue de J'ai lu. Son premier ouvrage, Ecoute ton corps, sera disponible en poche le 10 juin et inaugurera en septembre la collection du même nom. L'éditrice annonce d'ores et déjà sept ouvrages pour les années à venir dont deux prévus le 2 septembre : La responsabilité, l'engagement et la culpabilité et Les relations intimes.
Après une « belle surprise » provoquée par Votre temps est infini qui a propulsé Fabien Olicard directement à la 14e place du Top 50 des meilleures ventes de psycho pop (voir p.93), First lancera le 10 septembre Vous êtes la solution, du même auteur. « Ces deux titres confirment Fabien Olicard en tant qu'auteur et leader d'opinion », estime Marie-Anne Jost-Kotik, directrice éditoriale, qui prévoit un lancement important pour ce « livre à nouveau très incarné dans lequel il explique comment intégrer l'échec comme étant simplement une étape sur notre chemin ».
La spiritualité s'installe
Déjà présente dans le secteur, « la spiritualité va revenir en force afin de trouver un salut dans la crise actuelle », prédit Guy Trédaniel, fondateur de la maison qui porte son nom. « La question spirituelle est centrale, les lecteurs ont besoin de revenir à des sujets plus universels avec cette crise », confirme Fabrice Midal, directeur des collections « Esprit d'ouverture », qui passe de Belfond à Plon, et « Evolution », chez Pocket. « Pendant le confinement, avec les équipes de Pocket, nous avons proposé de nombreuses vidéos et extraits de livres pour aider les lecteurs à traverser cette épreuve. Nous avons mesuré à quel point la demande de réponses réelles et concrètes est forte », poursuit-il. Dans cette optique, il compte notamment relancer les titres de Pema Chödrön comme Conseils d'une amie pour des temps difficiles (Pocket, 2003) et prépare lui-même Comment rester serein quand tout s'écoule pour Flammarion. Sentant son métier évoluer, il estime porter une « responsabilité éthique et sociale et [devoir] être de plus en plus engagé dans la société avec des titres de développement personnel et de spiritualité ».
Le constat est partagé par Charlène Guinoiseau, pour qui « le développement personnel et la spiritualité participent aux questions de société ». En écho à la situation actuelle, elle publiera notamment Notre cœur sait qu'un monde est possible de Charles Eisenstein (23 juin) et Surmonter les incertitudes de Nicolas Chauvat (15 septembre), un titre « à mi-chemin entre le conte spirituel et le guide de développement personnel ». A noter également que Jouvence lance la version poche du Cinquième accord toltèque de don Miguel Ruiz (18 août) qui, pour ce dernier enseignement, « fait appel au pouvoir du doute pour discerner la vérité », rappelle Charlène Guinoiseau. Inaugurée en août dernier avec #Menfoumentape : l'éloge de l'imparfaititude d'Alice Kara, la collection « Dev Perso » de Courrier du livre, destinée aux 17-30 ans et là encore située entre développement personnel et spiritualité, continue de se développer avec Le Manuel d'incarnation : évoluer dans ce monde et vivre sa vérité de Pauline Vernet, paru le 27 mai.
L'essor de la spiritualité ésotérique « n'est pas une révolution mais une évolution. Cette thématique est sortie des catalogues d'éditeurs spécialisés pour enrichir et étoffer ceux des éditeurs grand public », assure Aline Sibony qui a notamment édité en septembre dernier chez First La vie simple d'Ismaël Khelifa. Joanne Mirailles, responsable éditoriale chez Eyrolles, a fait le choix de « concentrer les titres de spiritualité sur la fin d'année » afin de proposer un programme centré sur la psychologie plus classique au sortir du confinement. Le 17 septembre paraîtra alors Découvrir les pouvoirs guérisseurs de la lune de Theresa Cheung ainsi que L'oracle de la métamorphose d'Anne Ghesquière, un coffret composé d'un conte initiatique et d'un jeu de 52 cartes réalisées par l'artiste Izumi Idoia Zubia. Les oracles font aussi une percée dans le programme de Trédaniel avec L'oracle du peuple végétal d'Arnaud Riou (25 août) qui avait déjà rédigé L'oracle du peuple animal en 2016.
« Nous avons mis la lumière sur l'ésotérisme, ce n'est plus ni secret ni réservé aux initiés », revendique Sandrine Navarro, responsable éditoriale chez Leduc.s. La maison ouvre d'ailleurs sa collection poche « C'est malin » à l'ésotérisme afin de « proposer au grand public des thématiques comme les sorcières, les chakras, l'astrologie ». Elle s'intéresse aussi à des thématiques spirituelles comme la Puissance lunaire avec Karine Winsz (15 septembre) et développe sa gamme d'ouvrages dédiés aux sagesses du monde avec Les quatre sagesses du yoga de Stéphane Ayrault (10 juin), La sagesse toltèque au travail de Xavier Cornette (1er septembre) et Les quatre sagesses tibétaines de Noëllie Gourmelon Duffau (20 octobre). « Les lecteurs sont très friands des sagesses. Ils ont besoin de repères, de personnes pour leur proposer des outils concrets et bienveillants, mais aussi de parcours inspirants », estime Sandrine Navarro. Ils en ont peut-être d'autant plus besoin en cette période trouble.
La production
Les principaux éditeurs
Déjà phénomène avant même sa sortie
Pour son premier livre, Think Like a Monk, Jay Shetty s'offre une sortie mondiale le 8 septembre. Traduit en français sous le titre Penser comme un moine, l'ouvrage paraîtra chez Trédaniel à 15 000 exemplaires. « C'est notre livre phare de la rentrée », indique Guy Trédaniel, fondateur de la maison. En 2009, fraîchement diplômé d'une école de commerce londonienne, Jay Shetty quitte tout pour devenir moine en Inde. Après trois années de formation et de méditation dans un ashram, il partage son expérience pour rendre la sagesse ancienne accessible à tous et efficace face aux problèmes actuels. Il lance sa chaîne YouTube en 2016. Le phénomène est lancé. Désormais suivi par plus de 24 millions de followers, Jay Shetty a intégré en 2017 la liste des 30 personnalités de moins de 30 ans les plus influentes au monde du magazine Forbes, et est soutenu par des célébrités comme Novak Djokovic, Emma Roberts ou encore Deepak Chopra. Dans son livre, l'auteur propose douze leçons pour aider les lecteurs à prendre conscience de leur potentiel, de leur passion, de leur but, à prendre des décisions ou à créer des relations plus profondes. Disponible en précommande depuis octobre 2019, la version anglaise du titre a été propulsée en dix jours au premier rang des ventes de livres en Inde et au Royaume-Uni.
Les sportifs sur le terrain psy
Les bienfaits du sport sur le corps et l'esprit ne sont plus à démontrer. Aussi certains sportifs mettent-ils leur parcours au service du développement personnel. L'ancien gardien de but et entraîneur de football Denis Troch publie Devenez champion de votre monde le 11 juin chez Solar. Devenu coach et préparateur mental, il s'inspire des techniques expérimentées dans le sport de haut niveau pour aider les lecteurs à améliorer leur prise de décision, leur confiance en soi et leur force mentale. La maison donne aussi la parole à Charles Rozoy, champion olympique de natation handisport, avec Les stratégies du succès (10 septembre), dans lequel il explique les mécanismes qu'il a mis en place après chaque épreuve de la vie et chaque échec dans son sport. « Nous sommes attentifs à ces voix qui ne sont pas habituelles et qui peuvent apporter un autre regard mais nous n'avons pas la volonté d'aller spécifiquement chercher ce profil d'auteur », assure Aline Sibony, responsable éditoriale chez First, qui publiera le 4 juin Surfer sa vie, du surfeur hawaïen Laird Hamilton, dans lequel ce dernier montre comment la résilience, la prise de risque ou le respect de la nature permettent de gérer les turbulences de la vie.
Tout le monde fait de la BD !
La vitalité de la bande dessinée, dont le marché a encore crû de 5,5 % en euros courants en 2019, contre 1,3 % pour la moyenne du marché du livre, d'après nos données Livres Hebdo/I+C, donne des envies de diversification aux éditeurs de psychologie populaire. Après avoir durablement installé le roman au rayon du développement personnel, ils font désormais les yeux doux aux arts graphiques pour renouveler leur approche.
Dunod, qui a déjà ouvert son catalogue à la bande dessinée l'année dernière pour expliquer la physique quantique (Quantix, de Laurent Schafer) ou Spinoza (Spinoza à la recherche de la vérité et du bonheur, de Philippe Amador), continue d'explorer le 9e art, mais cette fois sur le terrain du développement personnel. La maison propose Chère Scarlet, de Teresa Wong (3 juin), un récit graphique « touchant, drôle et émouvant » sur la dépression post-partum, explique Ronite Tubiana, responsable éditoriale. L'approche graphique permet de « parler de sujets sérieux avec des auteurs experts et légitimes mais sous un format plus léger et un rendu plus visible », assure l'éditrice, qui est en train de développer plusieurs projets d'ouvrages mêlant BD et développement personnel, santé ou parenting pour 2021.
« L'illustré permet de sensibiliser le grand public à des thèmes vers lesquels il n'irait pas forcément. C'est une nouvelle façon de faire lire des ouvrages de développement personnel et de spiritualité », s'enthousiasme Sandrine Navarro, responsable éditoriale chez Leduc.s, qui « souhaite investir ce créneau » prochainement. Le dessin s'invite dans le catalogue de Trédaniel,, qui propose en septembre une édition illustrée de La mort expliquée aux enfants de Jean-Jacques Charbonnier, un texte initialement paru en 2015 et vendu à plus de 25 000 exemplaires. Sous le crayon de Benoît Flamec, « l'auteur prend vie sous la forme d'un personnage de bande dessinée pour animer son propre texte », explique Guy Trédaniel, fondateur de la maison du même nom. Séduit par ce projet « assez étonnant », il envisage désormais la bande dessinée comme un « nouvel axe à développer ».
Sous sa casquette d'auteur, Fabrice Midal s'est essayé à l'exercice avec son roman graphique Méditer : le bonheur d'être présent (Philippe Rey, octobre 2019) pour lequel il a collaboré avec Corbeyran (scénario) et Emmanuel Desjupol (dessin). En tant que directeur de collection chez Plon et Pocket, il n'exclut pas d'introduire ce « médium extraordinaire » dans ses programmes, sous réserve de dénicher des « projets réellement créatifs ». Marabout publiera Harcelée mais pas victime de Calouan et Chadia (17 juin) qui tourne en dérision les situations de harcèlement subies par les femmes et propose des stratégies de défense ou d'esquive, et Chemins de vie sacrés : la numérologie au féminin d'Orélie Pitaval et Julie Créé (9 septembre).
Deux collections dédiées
Avec sa collection « La vie en bulles », First souhaite explorer « toutes les thématiques du catalogue sous une forme d'expression qui est nouvelle pour nous et qui est de plus en plus investie », explique Aline Sibony, responsable éditoriale et porteuse du projet avec sa consœur Sandra Monroy. « La vie en bulles », qui aurait officiellement dû être lancée le 19 mars mais a été stoppée dans son élan par le coronavirus, est inaugurée avec Wabi sabi d'Amaia Arrazola, « une philosophie de vie inspirée de la culture japonaise », et Le petit manuel de sexe féministe de Flo Perry. « Quatre autres titres sont en préparation pour la rentrée, dont un sur le body-positive », souligne Aline Sibony. A terme, l'éditrice souhaite enrichir le label de six à huit ouvrages par an.
Charlène Guinoiseau, directrice éditoriale de Jouvence, mise aussi sur le témoignage graphique avec la création du label « #sansfiltre ». Quatre ouvrages auraient dû être publiés cette année mais, en raison de la crise sanitaire, Charlène Guinoiseau a pris la décision de reporter leur parution à l'année prochaine. Un premier titre, publié en janvier, permet toutefois de se familiariser avec le ton décalé de la collection. En effet, Ça va merveilleusement bien : la vie est compliquée du coup je l'ai dessinée de Ruby Elliot livre un « témoignage ironique et empreint d'humour anglais sur la dépression et l'anxiété. Aborder ces thèmes avec dérision offre de l'évasion et une prise de recul », explique l'éditrice. Cet ouvrage serait par ailleurs représentatif d'un autre courant émergent : le développement personnel sous le prisme de l'humour. De quoi laisser au secteur de nombreuses opportunités pour se réinventer.
Les 50 meilleures ventes en psycho pop
Treize nouveautés parviennent à se hisser dans le classement annuel Livres Hebdo/GFK des meilleures ventes d'ouvrages de psychologie populaire toujours dominé par Miguel Ruiz, Lise Bourbeau et Eckhart Tolle. Avec La clé de votre énergie de Natacha Calestreme, Albin Michel réalise l'exploit d'inscrire dans le Top 50 un titre - le seul - paru au cours du premier trimestre 2020. A l'inverse, Le cinquième accord toltèque de Miguel Ruiz (Jouvence) et L'art subtil de s'en foutre de Mark Manson (Eyrolles) sont les seuls entrants à ne pas avoir été édités l'année dernière : ils ont respectivement été publiés en 2010 et 2017. Avec 34 titres sur 50, le format poche continue de peser fortement parmi les meilleures ventes. J'ai lu et Pocket placent chacun trois titres supplémentaires par rapport à l'année passée.