Le vigoureux marché de bande dessinée japonaise continue de montrer des signes de faiblesse en France. A -7,2 % en valeur depuis le début d’année selon Ipsos, le segment du manga est, sur fond de crise, déstabilisé par de nombreux facteurs spécifiques. L’arrivée de deux des principaux éditeurs japonais sur le territoire français depuis deux ans et la décision de l’un d’eux, Shueisha, de donner la première option de tous ses titres à sa filiale française Kazé, brouillent la visibilité à long terme des acteurs du secteur. A cela s’ajoutent deux changements de TVA en moins d’un an, une explosion du prix du papier (+ 14 % la tonne pour Glénat) et une flambée du piratage. « Espérons que 2012 a été l’année conclusive d’une période perturbée et perturbante, d’autant plus pour l’industrie du divertissement qui fait davantage les frais de l’arbitrage des familles », conjure Stéphane Ferrand, le directeur de la branche manga de Glénat. Celui-ci assure son année 2012 grâce à One piece, qui représente près de la moitié du chiffre d’affaires du département et dont le tome 67 paraîtra en juillet, Chi et Les gouttes de dieu.
Avec le resserrement du nombre de références dans les hypermarchés depuis que le manga n’affiche plus de croissances insolentes, la faillite de Virgin début 2013 a été un coup dur pour le secteur. La chaîne représentait pour certains éditeurs plus de 10 % de leur chiffre d’affaires. Malgré la montée en puissance de Cultura et des ventes en ligne, « les ventes perdues chez Virgin ne vont pas se reporter ailleurs, en tout cas pas complètement, déplore Christel Hoolans chez Kana. Si on récupère la moitié de ce chiffre d’affaires, ce sera beaucoup ». Pour éviter l’hémorragie, les éditeurs ciblent de plus en plus les librairies en ligne, en créant des corners sur les sites. « La faillite de Virgin a un impact très fort sur nos ventes, confirme Perrine Baschieri, responsable marketing de Delcourt manga. Nous essayons donc de nous renforcer sur les sites d’e-commerce en créant des boutiques spécialisées sur les licences du groupe. » Ainsi, en septembre dernier, Delcourt, Soleil et Tonkam ont ouvert une « boutique éditeur » sur les sites Fnac.com et Amazon, où l’on trouve aussi des pages dédiées aux productions d’éditeurs comme Ki-oon, Glénat ou Kurokawa. L’initiative paie, car Ki-oon a vu ses ventes via Amazon progresser de plus de 50 % l’an passé et connaît de très bons résultats sur Fnac.com, notamment en raison des échanges nourris avec le responsable du manga, Nicholas Baque, qui connaît parfaitement le rayon puisqu’il a travaillé des années chez Tonkam. Kazé, qui a acquis via sa maison mère de grosses licences shonen (manga pour garçons) comme Sket dance, vend surtout dans les grandes surfaces spécialisées, mais ambitionne de développer les ventes en ligne. « Pour cela nous négocions avec nos maisons mères pour pouvoir faire du feuilletage sur Amazon, chose que les Japonais jusqu’alors n’autorisaient pas », explique Josselin Moneyron, nouveau directeur éditorial.
Sus aux pirates !
Autre mal dont souffre le secteur, le piratage. « Le phénomène du scan-trad est amplifié par la floraison d’applications pour smartphones, tandis que l’offre légale ne décolle pas », constate Alain Kahn, le P-DG de Pika. Les pages scannées et traduites de magazines japonais de prépublications circulaient déjà facilement sur Internet mais, depuis le début d’année, le phénomène a pris encore plus d’ampleur avec la mise en circulation par des équipes de pirates d’applications payantes et gratuites pour les smartphones et les tablettes. Les chapitres sont tellement bien référencés qu’en scannant le code-barres du manga en librairie, le lecteur bascule directement sur les chapitres piratés. Sur l’application Manga Fox, un chapitre de Fairy tail, que Pika commercialise notamment en numérique, cumule plus de 4 millions de vues. Pour les dessins animés, les producteurs ont réagi et, alors que les pirates avancent l’excuse du décalage entre la diffusion au Japon et la mise en vente de la version française, ils proposent désormais une vente au chapitre, quelques heures après la diffusion au Japon, sous-titré en français. Wakanim, qui diffuse l’animé de L’attaque des titans (la grosse série adulte que lance Pika lors de Japan Expo), donne gratuitement accès à l’épisode pendant les 30 premiers jours qui suivent sa diffusion. La plupart des éditeurs espèrent contrer le piratage par le développement d’une offre légale adaptée aux lecteurs. Kurokawa, qui progresse de 1 % depuis le début d’année, lancera en juillet son premier manga numérique, Blood lad, de Yuki Kodama, sur 12-21, la marque 100 % numérique d’Univers Poche, privilégiant la vente au chapitre à petit prix (moins d’un euro) et sans DRM. « Notre objectif avec cette offre numérique est à la fois de lutter contre le piratage et d’accélérer le recrutement de nouveaux lecteurs, y compris et surtout sur le papier », précise le directeur de la collection Grégoire Hellot.
Au sein des groupes, les maisons subissent des pressions de leur hiérarchie qui voudrait bien retrouver des chiffres proches des ventes de One piece, Naruto, Full metal alchemist ou Fairy tail. Même si certaines séries connaissent un bon démarrage, autour de 10 000 exemplaires au premier tome, ce ne sont pas les 100 000 exemplaires par tome de ces séries phares. Les temps ont changé, constate Perrine Baschieri chez Delcourt, qui a connu une année 2012 difficile, même si les ventes se sont maintenues en shojo (manga pour filles) grâce à Switch girl et à plusieurs lancements « qui ne rivalisent pas avec les lancements d’il y a cinq ans. Nos nouveautés ne sont pas du même calibre que Fruits basket aujourd’hui terminé ou Nana qui est interrompu. »
Perturbations, réflexion et stratégie
Dans ce contexte dégradé, les éditeurs leaders ralentissent leur production pour repenser leurs stratégies. Média-Participations semble plus s’enthousiasmer pour Urban Comics (voir article p. 70) que pour Kana, qui est en phase d’adaptation. L’éditeur a bien terminé l’année grâce à Naruto. « Naruto reste en tête à la vente au titre, constate Christel Hoolans. Les fonds, eux, souffrent, même sur les best-sellers. Nous devons nous adapter à ce marché en stabilisant, voire en réduisant quelque peu le nombre de titres que nous allons publier. Il faut retrouver un équilibre sain entre les séries rémunératrices et les séries qui perdent de l’argent. » Kana n’a cependant pas brûlé ses dernières cartouches puisque l’éditeur a obtenu de Shueisha Assassination classroom de Yusei Matsui (les deux premiers tomes seront disponibles en octobre), une des plus grosses licences de l’année que Glénat imaginait bien afficher à son catalogue, puisqu’il éditait déjà Neuro, du même auteur. D’ailleurs, chez Glénat, suite aux multiples perturbations du marché, l’heure est à la réflexion. « L’objectif en 2013 est la création d’une base de refondation en identifiant les licences qui marchent bien et en amenant à leur terme celle qui fonctionnent moins bien, explique Stéphane Ferrand. Nous préparons le terrain pour l’avenir, pour lancer en 2014 et 2015 de grands projets. » L’éditeur poursuit donc le développement du seinen (manga pour adultes) avec Btooom et, bien sûr, la publication de One piece à raison de 4 volumes par an, et retraduit intégralement les 67 tomes de la série pour qu’ils soient plus adaptés au dessin animé (uniformisation des noms de personnages et d’attaques). Un procès intenté par le traducteur historique de One piece pour des raisons de royalties, procès que Glénat préfère ne pas commenter, a dû influer sur cette saine initiative.
Beaucoup d’éditeurs réajustent leur stratégie. « Nous avons assez vite pris la mesure de la dégradation du marché et ralenti la production au second semestre, passant de 16 à 12 sorties par mois, explique Josselin Moneyron chez Kazé. Nous limiterons aussi les lancements fin 2013 et en 2014. » Tandis que le shonen Beelzebub devient une des meilleures ventes de la maison, Kazé renforce la partie shonen, la plus susceptible de générer des hits. Chez Tonkam aussi, qui lance pour Japan Expo deux mangas écologiques post-Fukushima, la façon de travailler a changé. « Nous avons légèrement espacé les titres aux faibles ventes, explique Pascal Lafine, directeur éditorial. Certains seront imprimés en procédé numérique pour servir uniquement les mises en place et les lecteurs qui les suivent. » Les adaptations de stratégies vont de pair avec des renouvellements d’équipe. Le contrat liant Delcourt à Akata, qui assurait jusqu’alors le catalogue manga, ne sera pas renouvelé à la fin de l’année et Dominique Véret poursuivra ailleurs son travail d’éditeur. Pierre Valls, cofondateur de Pika qu’il a quitté l’an passé, prendra la direction éditoriale. Les trois marques de manga du groupe Delcourt, Delcourt manga, Soleil manga et Tonkam resteront avec trois directions éditoriales. Chez Casterman, après le départ de l’éditrice Nadia Gibert, qui a suivi Louis Delas chez Rue de Sèvres où elle publiera en septembre la série Giacomo Foscari de Mari Yamazaki, l’auteure de Thermæ Romæ, c’est Wladimir Labaere, qui travaille depuis sept ans pour la maison, qui reprend la collection. Créé l’an passé, Komikku éditions aussi se développe pour publier 25 titres par an. Son fondateur, Sam Souibgui, est parti vivre à Tokyo pour apprendre la langue et embauche un salarié à Paris. Il a par ailleurs confié sa librairie parisienne à Sonia Souibgui, sa sœur, et recruté Olivier Chamaillard, ancien directeur de Little Tokyo et libraire chez Album. Ki-oon qui, après une forte progression en 2012 (+ 21 %), était déjà fin avril à + 14 % en valeur, a déménagé et renforce son équipe qui compte désormais 11 personnes. Son catalogue est scruté à la loupe et ses partenaires historiques comme Square Enix sont courtisés par ses concurrents. Soleil manga parvient à muscler son catalogue puisque le rachat par Delcourt lui a permis de nouer des partenariats avec des majors japonaises. Iker Bilbao creuse aussi, avec Love is the devil, le sillon du shojo (manga pour filles) moins soumis au piratage que le shonen et plus stable. « Le shojo est en baisse car les blockbusters ont disparu, mais c’est un segment qui apporte des garanties, analyse-t-il. Quand on accroche une lectrice, elle tient beaucoup plus longtemps qu’un lecteur de shonen. »
Pour les petits et les grands
L’actuel retournement de conjoncture ne signe donc pas la fin du manga. Il marque plutôt un réajustement. « Le manga reste un vrai marché, solide, analyse Stéphane Ferrand. Après les augmentations colossales de 2000 à 2008, il est en phase de calage. » Chez Kurokawa, Grégoire Hellot renchérit : « Plus qu’en régression, le marché du manga est en mutation. Hormis les trois gros titres massivement diffusés à la télévision française, les meilleures ventes d’aujourd’hui ne se font plus forcément sur les shonen mais sur les mangas pour enfants, ainsi que sur les mangas pour adultes. »Inazuma eleven tout comme Pokemon font partie d’une nouvelle ligne éditoriale mise en œuvre en 2011 pour élargir le lectorat aux plus jeunes. Glénat avait innové en lançant une nouvelle forme avec la collection « Kids » et Chi dont l’auteur viendra au Salon de Montreuil l’automne prochain : un manga en couleurs, dans le sens de lecture français, pour les très jeunes. A sa suite, sous la même forme, Ki-oon a lancé dernièrement Roji, et Nobi Nobi ! débutera dans le manga sur le segment (voir encadré p. 68) avec Pan’pan panda, une vie en douceur en fin d’année. Chez Soleil, « nous sommes en train de construire une offre pour les petites sœurs, du type "Mon premier manga" », confie Iker Bilbao, qui commencera dans cette voie avec Chibi devi ! en septembre.
Pika poursuit aussi les titres avec Disney mettant en scène Clochette, Monstres et Cie et d’autres princesses. « Il n’y a pas de crise structurelle du marché du manga, les lecteurs sont encore là, affirme Ahmed Agne chez Ki-oon. Cependant, cela reste un marché de niche. »« Il faut justement sortir de cette niche, essayer d’atteindre des médias généralistes, un autre public », ajoute son associée, Cécile Pournin. C’est ce que la maison essaie de faire en éditant le manga Cesare, sur les Borgia, qui séduit des lecteurs qui traditionnellement n’achètent pas de mangas, tout comme les Gouttes de Dieu (Glénat), Jésus & Bouddha (Kurokawa) ou Thermæ Romae (Sakka-Casterman, 25 000 exemplaires du tome 1 écoulés et les 5 tomes qui atteignent les 100 000 exemplaires). Casterman prévoit d’ailleurs de proposer Thermæ Romæ dans un grand format, dans le sens de lecture français et en 3 tomes, pour la fin de l’année afin de « lui permettre de toucher le public plus large du franco-belge qui ne lit pas forcément de manga », précise Benoît Mouchart, le directeur éditorial. Pour ce même public, l’éditeur prévoit la parution en « Ecritures » du Gourmet solitaire de Taniguchi (40 000 exemplaires chez Sakka). C’est dans l’optique d’attirer un public plus large avec un pouvoir d’achat un peu supérieur que Glénat a repensé sa collection « Vintage » qui s’intéresse aux titres du patrimoine japonais encore méconnus en France. Suite au succès de 2001 nights stories, pourtant vendu 99 euros, l’éditeur prévoit pour la fin d’année un coffret Moto Hagio, une pionnière du manga (25,50 euros). Isan Manga s’est aussi lancé en novembre 2012 sur ce créneau. Créée par Karim Talbi et Etienne Barral, la maison a notamment édité en mars, sous une présentation assez luxueuse, les adaptations par Yumiko Igarashi de Romeo et Juliette et de Madame Bovary. Dernière cible adulte qui intéresse les éditeurs, le public du porno. Soleil, avec sa collection « Eros » tirée par les succès de Secret’R, RTT ou Les charmes de l’infirmière, lance, dans la mouvance dessinée par Fifty shades, Velvet kiss à destination du lectorat féminin. Taïfu ouvre un site de vente en ligne, Pointmanga.com, et développe des titres « hentai » non censurés.
Enfin, le marché du manga est un marché de locataire de droits et, pour accéder à la propriété, les éditeurs décident de travailler en direct avec les auteurs, soit comme Ki-oon avec un auteur japonais qui signe Prophecy, soit avec des Français. L’offre commence à s’affirmer et à diverger de la pâle copie d’une bande dessinée japonaise. Ainsi Casterman a lancé Lastman, projet initié par Bastien Vivès, qui est travaillé avec des codes et un rythme assez similaires à ceux des studios japonais. Le stand Casterman à Japan Expo sera aux couleurs de la série. « Si le global manga n’a pas toujours obtenu les faveurs du lectorat français, nous avons tous senti qu’un vent de changement venait planer sur le monde du manga », explique-t-on chez Ankama, qui lance pour Japan Expo Radiant de Tony Valente. Chez Kazé, le dessin animé Les mystérieuses cités d’or a été adapté en manga par des auteurs français dont Thomas Bouveret, qui a pu faire la tournée des librairies. A défaut d’auteurs français, Delcourt a confié l’adaptation de No longer heroin à Noemie Alazard, animatrice vedette de la chaîne Nolife qui donne le ton au manga. Le volume est orné d’un bandeau « le coup de cœur de Noémie ». Enfin Doki Doki, le label Bamboo qui est sur une pente positive depuis trois ans, humanise la vente à Japan Expo et le lancement de Tales of Xillia en demandant aux traducteurs de jouer les vendeurs. Ils se retrouveront même à signer des dédicaces. <
Le manga en chiffres
Zombies et super-héros à gogo
Jusqu’alors confidentiel, le marché des comics américains grossit grâce au best-seller Walking dead et à la mise en place d’Urban Comics, qui aborde avec pédagogie cette bande dessinée de spécialistes.
On n’est plus regardé comme un alien quand on lit des comics », se réjouit Thierry Mornet. L’éditeur s’occupe depuis huit ans de « Contrebande », la collection de bande dessinée américaine de Delcourt. Le succès de Walking dead et l’arrivée en librairie depuis janvier 2012 des albums cartonnés d’Urban Comics, la nouvelle marque de Média-Participations traitant le comics avec le même soin que le franco-belge, ont popularisé cette niche. Avec le succès des films de super-héros, de Spiderman à Iron man en passant par Batman, qui séduit même les cinéphiles, être geek est devenu branché depuis quelques années. De plus, comme le marché du manga est en repli, certaines librairies et grandes surfaces ont réduit leur rayon, offrant un peu de place à la BD américaine jusqu’alors peu représentée en magasin.
C’est à partir du début des années 2000 que le comics a fait sa discrète entrée dans les librairies. « Avant il était cantonné au kiosque pour des fous fanatiques dont je faisais partie », se souvient Thierry Mornet, biberonné à Strange, le magazine qui a introduit les comics en France dans les années 1970. Ce secteur récent se partage aujourd’hui entre trois gros acteurs : Delcourt, qui domine le marché grâce notamment à Star wars et à Walking dead (1,5 million d’exemplaires vendus, 170 000 sur le tome 1 qui fait toujours des adeptes) ; Panini qui a perdu la licence DC mais conserve celle de Marvel (Spiderman, Hulk…) et Urban Comics, dernier arrivé mais lancé avec grands moyens. La marque a fait le choix de monter en gamme en rompant avec la tradition héritée de l’édition américaine où le comics est plus un produit de presse. « Notre ligne a tout de suite été de créer un lien entre le public franco-belge et la niche des lecteurs de comics, en proposant un format cartonné, car le lecteur a grandi et son pouvoir d’achat est différent de l’époque où il lisait Strange », précise Pôl Scorteccia, qui dirige le label où travaillent sept personnes.
Travail pédagogique.
A côté de ces trois leaders se développent des maisons de plus petite taille comme Atlantic, Aaltaïr, Makma, French Eyes ou Elements, ainsi qu’une collection, « Glénat Comics », créée l’an dernier chez Glénat sous l’impulsion de Thomas Rivière. Enfin, s’ajoutent des éditeurs de beaux livres qui font les encyclopédies et ouvrages illustrés comme Huginn & Muninn, qui appartient à Média-Participations, ou Semic.
L’élargissement du public du comics a été impulsé par le travail pédagogique d’Urban Comics qui, face à la réelle méconnaissance de l’univers de DC en France, a publié DC comics : anthologie pour présenter tous les récits qui ont fondé les mythes des super-héros. « Si vous êtes lecteurs de comics en France, vous êtes lecteurs de titres Marvel publiés sans discontinuité, tandis que les traductions de DC sont parues à des rythmes plus erratiques, explique François Hercouët, l’éditeur d’Urban Comics, qui travaillait précédemment avec Thierry Mornet chez Delcourt. L’histoire des super-héros est assez touffue, nous l’avons déblayée en fournissant des outils pédagogiques comme une chronologie dans chaque album, en construisant des collections pour permettre une lecture autonome. » Trois collections structurent donc le catalogue pour la première année : « DC archives » sur les comics des années 1940 à 1980, « DC classiques » jusqu’en 2011 et « DC renaissance », une traduction de l’initiative de DC de relancer, à partir du premier numéro, 52 de ses séries populaires. « Tous les dix-quinze ans, les Américains redémarrent leurs séries. Cela fait une collection que les libraires peuvent mettre entre toutes les mains ! » précise François Hercouët.
Une niche qui grandit.
Le discours est rodé car les éditeurs ont rencontré tout au long de l’année libraires, bibliothécaires et autres prescripteurs pour leur expliquer le comics. Cette stratégie a payé car les résultats, à l’issue de la première année, sont bien au-delà des prévisions. Urban Comics a notamment bénéficié du succès de Batman (20 000 exemplaires vendus), qui constitue une porte d’entrée au catalogue bien plus large qui comprend le label Vertigo, réunissant tous les autres genres de comics, hors super-héros, comme la SF, l’horreur, le fantastique ou le polar.
Ce sont ces genres que travaille Thierry Mornet avec les 60 à 70 nouveautés annuelles de « Contrebande ». Contrairement à Urban Comics ou Panini, il n’a pas signé de « master agreement », contrat le liant à une marque et l’obligeant à publier un certain nombre de titres. La bande dessinée américaine fait partie de l’ADN de Delcourt, qui en a publié dès les débuts de la maison puisqu’elle a eu à son catalogue Watchmen ou Elektra. L’arrivée de Thierry Mornet en 2005 a permis de structurer l’offre. L’éditeur a commencé par développer l’univers de Star wars avec un album par mois et deux magazines. Et puis il y a eu Walking dead. « J’avais publié un volume chez Semic en 2004 qui a attiré 2 000 afficionados, pas plus, raconte-t-il. Quand j’ai quitté Semic pour Delcourt, je croyais à cette BD américaine sans super-héros. J’ai harcelé Guy Delcourt, qui a quand même refusé deux fois le projet avant d’accepter ! » Les ventes décollent à partir du tome 3, dépassant la niche du comics, mais c’est avec la diffusion de la série télé, à la fin de 2010, que le phénomène s’enclenche. «On a senti dans les deux mois l’explosion des ventes, mais la série était déjà un succès de librairie avant d’en devenir un phénomène. » Cette histoire de zombies touche même les lecteurs de BD traditionnelles et de SF, voire un public féminin, peu présent dans ce rayon. Thierry Mornet ne s’enflamme pas pour autant. « Je me méfie quand même de l’idée du marché qui s’ouvre, dit-il. Le comics n’a pas un public potentiel aussi vaste que le manga, c’est une niche qui grandit sous l’impulsion de quelques titres. » En effet, en volume, on continue à vendre huit fois plus de mangas que de comics. <
Le comics en chiffres
L’empire du blockbuster
Le phénomène de « blockbusterisation » se poursuit dans le manga, où les ventes du rayon se révèlent encore plus concentrées cette année. Pour la période de janvier à mai 2013, elles se répartissent sur 14 séries publiées par cinq éditeurs, contre 16 relevant de 8 éditeurs pendant la même période de l’an passé, et 19 un an plus tôt. Les deux séries phares, dont le premier et le dernier tomes figurent dans les dix meilleures ventes de l’année, restent One piece (Glénat), avec ses 22 volumes dans le palmarès, et Fairy tail, avec 12 volumes classés. Ces deux mangas, qui occupent près de 80 % des places du palmarès, ont toujours le vent en poupe puisqu’ils continuent à recruter des lecteurs sur leur premier tome.
Seule une série lancée en 2013 apparaît dans le top 50, King’s game, dont le volume 1 entre en 24e position. Cette prouesse est réalisée par la maison indépendante Ki-oon, qui continue à gagner du terrain avec 3 titres dans le Top 50, dont Judge, vol. 6, à la 11e place, et Prophecy, vol. 2, un manga qu’ils éditent directement avec l’auteur au Japon.
Kana, qui a retrouvé son rythme de publication pour Naruto, parvient à placer 5 titres dans le palmarès contre 3 un an plus tôt sur la même période, et 15 l’année précédente. Seuls les trois derniers tomes de Naruto figurent au classement, ce qui signifie que la série n’attire plus massivement de nouveaux lecteurs qui débuteraient dans l’intrigue.
Kurokawa maintient ses résultats avec les deux mêmes séries que l’an dernier dans le palmarès, à savoir Soul eater, vol. 22, en 30e position et Inazuma eleven, vol. 10, à la 38e place. <