Enfin l’embellie ? Après une nouvelle année poussive en 2015, avec des ventes au détail à - 0,5 % d’après nos données Livres Hebdo/I+C (voir "Le parascolaire en chiffres"), les éditeurs d’ouvrages de parascolaire envisagent 2016 avec un large sourire. La réforme des programmes scolaires, qui entrera en vigueur à la rentrée, constitue en effet un accélérateur naturel de vente et ouvre "des perspectives très positives, absentes depuis bien longtemps du marché", savoure Rachel Duc, directrice parascolaire d’Hatier. D’autant que cette réforme, étalée sur deux ans et d’une ampleur inédite - elle couvre toutes les matières et tous les niveaux du CP à la 3e -, entraîne en outre de nombreux changements dans les méthodes pédagogiques. Désormais organisé en quatre cycles de trois ans (maternelle ; CP/CE1/CE2 ; CM1/CM2/6e ; 5e/4e/3e), l’enseignement repose sur des progressions construites sur ces cycles et non plus par classe. Il privilégie le savoir-faire et la méthode au détriment du "par cœur", encourage le travail collectif et interdisciplinaire, et prévoit le renforcement des langues vivantes. Des bouleversements qui, de l’avis de tous les éditeurs, provoqueront des inquiétudes légitimes chez les parents, vite déroutés et enclins dès lors à se tourner vers les outils parascolaires. "Sans oublier que l’"effet réforme" casse automatiquement le marché de l’occasion", ajoute Thomas Massin, directeur marketing de Bordas.
La réforme pousse à la refonte
Dans l’obligation de se mettre en conformité avec les nouveaux programmes, les éditeurs s’apprêtent donc à envoyer en librairie les nouvelles moutures de l’ensemble de leurs collections de soutien, premier segment contributeur du marché en chiffre d’affaires, créant ainsi une offre d’une ampleur sans précédant. Mais certains, comme Bordas, saisissent également cette opportunité pour renouveler et redynamiser leur catalogue. La maison profite de la réforme pour engager une révision de fond en comble de sa collection phare, "L’année de". Avec un souci d’innovation, tout en restant au plus proche de l’esprit des nouveaux programmes, Bordas prépare en outre une nouvelle collection de cahiers de soutien chargée de répondre à l’approche de l’apprentissage par cycles. Intitulée "A chacun son rythme", elle proposera quatre cahiers concernant les maths et le français pour les deuxième et troisième cycles.
Poussant la logique de refonte au maximum, Magnard repense l’ensemble de son offre, et en particulier sa gamme phare, "Cahier du jour, cahier du soir". "Nous sommes entrés dans une démarche jusqu’au-boutiste", affirme Laurent Breton, directeur du pôle grand public de Magnard. "Pour coller à la réforme, nous n’avons pas gardé une seule ligne des anciennes versions, tous les contenus ont été modifiés et le nombre de titres a été augmenté, avec un effort particulier sur le collège", précise l’éditeur, qui prévoit en 2016 un doublement de sa production.
Ailleurs, le traitement de la réforme se révèle plus modeste. Hachette Education, qui a achevé en 2015 la refonte de sa gamme "Pour comprendre", en modifiera les contenus mais pas la maquette et ajoutera quelques nouveaux titres, notamment pour les langues vivantes. Même cause et mêmes effets chez Hatier, qui enrichira en outre ses cahiers "Chouette", dont la dernière version date de 2014, de pages expliquant, niveau par niveau, les changements liés à la réforme. Jouant résolument la carte de l’accompagnement, la maison a également concocté un livret expliquant les changements liés aux nouveaux programmes, destiné aux parents comme aux libraires et livrés dès la diffusion de ses premiers ouvrages. Se positionnant sur le même créneau, Nathan se veut "rassurant" vis-à-vis des parents en mettant en avant, par un travail sur les couvertures notamment, "sa légitimité et son savoir-faire", annonce Quentin Gauthier, directeur marketing de la maison. Une stratégie également adoptée par Magnard, qui, en plus de la révision totale de sa production, cherche aussi à se positionner comme le "Darty" du parascolaire en offrant des "outils et une gamme de service d’accompagnement déclinés sur tous supports et chargés d’assurer le service après-vente de la réforme. A nous d’user de toutes les vertus pédagogiques, d’imaginer toutes les ficelles pour que les parents et les enfants la comprennent et l’assimilent", insiste Laurent Breton. Plus en marge, Yves Manhès, directeur éditorial de Belin, préfère s’appuyer sur "l’aspect moins cadré de la réforme" pour jouer davantage la carte de l’originalité de ses collections. "Mais aujourd’hui, il reste difficile de savoir de quoi vont avoir réellement besoin parents et enfants, et donc, de fabriquer du parascolaire utile", tempère l’éditeur.
Si la pédagogie auprès des parents et la qualité des contenus constituent des facteurs déterminants dans la bataille que s’apprêtent à se livrer la demi-douzaine d’éditeurs de parascolaire cette année, la visibilité en reste toutefois l’enjeu majeur. "Chacun va parler fort et en même temps", anticipe Rachel Duc. Chacun devra donc s’employer à gagner sa part de visibilité dans les linéaires pour diffuser le plus largement sa production. Premier levier et véritable nerf de la guerre, le choix des dates de parution des différentes collections est encore tenu secret chez bon nombre d’opérateurs. Ces dates devraient toutefois coïncider, notamment pour les ouvrages du type tout-en-un, avec la campagne des cahiers de vacances, en mai. Plus tardifs, les monomatières devraient déferler en librairie cet été.
Second instrument à disposition des éditeurs, les mécaniques d’accompagnement traditionnelles, conjuguant campagne de communication, primes et PLV, sont déjà dans les cartons, variant selon la position qu’occupe chaque maison. Hatier compte sur sa "place naturelle de leader sur le soutien, conjuguée à la promotion traditionnelle et à un dispositif en ligne chargé d’établir un lien entre l’école et les parents" pour "émerger dans l’esprit des consommateurs et des libraires comme l’acteur de référence", indique Camille Cordonnier, directrice marketing parascolaire et jeunesse d’Hatier. Cinquième acteur du marché, Bordas entend davantage sensibiliser les libraires. "A nous de leur signaler l’opportunité de chiffre d’affaires que représente cette réforme, pointe Thomas Massin. A eux, ensuite, de prendre leur responsabilité en redimensionnant leurs linéaires."
Le jeu en soutien pédagogique
Véritable pari pour 2016, la réforme ne devrait toutefois pas éclipser totalement l’autre moment fort de l’année que constituent les cahiers de vacances. Après une année difficile en 2015, Cécile Labro, directrice parascolaire et pédagogie chez Hachette Education, en a fait l’un de ses principaux enjeux. Elle mise sur trois axes forts pour retrouver le chemin des caisses : les 40 ans de sa collection locomotive, "Passeport" ; la maternelle, où tous les titres dans toutes les collections ont été retravaillés ; et les licences. L’éditrice place beaucoup d’espoir sur le personnage de Peppa Pig, positionné sur le même créneau que T’choupi chez Nathan, et sur l’univers de Star wars, qui sera décliné à destination des primaires. La saga intergalactique fait également son arrivée en juin chez Play Bac sous la forme de six éventails, dans le but notamment d’élargir le public cible aux garçons de 7-9 ans. En pleine recomposition de sa marque ombrelle Les Incollables, la maison remplacera également en mai son format "Tongs" par 9 titres en forme de glaces et décline, en février, son offre de soutien ludique "Smartfun" en "Tablettes", destinée à la maternelle.
Toujours dans sa logique de restructuration globale, Magnard profite des 80 ans de sa collection historique "Cahiers de vacances" pour en refaire le contenu en intégralité, en introduisant notamment un aspect documentaire et des jeux, deux éléments qui font désormais partie intégrante des ouvrages de révision. Du côté du ludo-éducatif pur, titillée par les "Petites enquêtes trop chouettes !" d’Hachette Education, "Enigmes des vacances" de Nathan s’offre en 2016 une nouvelle charte graphique qui privilégie une illustration se rapprochant du roman jeunesse. Encore plus proche du jeu, et fort de son succès en 2015, Hatier crée quatre nouveaux titres en maternelle dans la gamme "Mes jeux de vacances", alors que Bordas affiche désormais clairement le parti pris ludique dans la nouvelle mouture de ses carnets "Réviser en vacances".
C’est avec la même volonté de se démarquer que la filiale du groupe Editis a créé en 2015 la gamme "Bordas pour apprendre autrement". Née d’une volonté d’innover, elle s’appuie sur la pédagogie Montessori pour proposer une nouvelle forme d’apprentissage, fondée sur les activités, le jeu et les manipulations, et faisant varier les supports. "Après l’école", collection de soutien pour la maternelle et le primaire parue à la rentrée 2015, et "Récré en boîte", commercialisée en mars prochain, en sont l’illustration. Elles proposent, à l’aide d’activités, de puzzles ou de jeux de cartes de "refaire à la maison des apprentissages découverts à l’école", souligne Béatrice Drieu la Rochelle, responsable éditoriale parascolaire de Bordas. Le label intègre également en 2016 J’apprends à programmer tout seul (février), une méthodologie qui vise à expliquer aux enfants le codage informatique et les rudiments de la programmation. Dans le même état d’esprit, La Librairie des écoles publie en juin quatre premiers "Petits Montessori", des cahiers très ciblés et progressifs s’inspirant directement de la méthode développée par la biologiste, médecin et pédagogue italienne. Créée pour aider "à la diffusion plus large de la méthode", selon Jean Némo, directeur de la maison, la collection devrait s’enrichir de 8 titres par an et constitue, pour la petite structure spécialisée dans le scolaire, l’enjeu majeur de l’année.
Le parascolaire en chiffres
Eclaircie sur le technique
Dominé par Nathan et Hachette Education, le secteur a vu ses ventes s’améliorer mais reste en forte contraction.
Dans un contexte de concentration et de forte concurrence, le segment du parascolaire technique et professionnel a connu en 2015 une légère amélioration. Selon GFK, il gagne 4 points par rapport à 2014, à - 10 %. "La contraction reste forte, mais une lueur d’espoir apparaît", estime Nathalie Théret, qui dirige Foucher depuis son absorption par Hatier l’année dernière. Désormais département technique et professionnel de la filiale d’Hachette Livre, Foucher se laisse un an pour digérer la fusion et maintient donc en 2016 sa "logique sécuritaire de consolidation des acquis", avant, comme l’espère Nathalie Théret, un "retour à l’offensive avec pour objectif de reconquérir nos positions en parascolaire et de redévelopper l’ADN de la maison sur son marché naturel".
En attendant, Nathan, le leader du segment, renforce encore sa position grâce notamment à une restructuration complète de sa gamme "Réflexe", déployée sur 2015 et 2016. Motivée par les résultats d’enquêtes menées auprès des consommateurs mais aussi par "la loi du parascolaire qui veut que, pour durer, il faut se réinventer", pointe Xavier Le Meut, directeur du département technique et supérieur de Nathan, la refonte s’est traduite par des couvertures aux couleurs acidulées, qui tranchent sur le bleu habituellement réservé aux ouvrages de parascolaire, et une maquette "repensée autour de la notion de plaisir de l’usage" et destinée à donner envie à l’élève de réviser. Particulièrement plébiscitées, les compilations de fiches, qui couvrent l’ensemble des matières par niveaux, ont par exemple provoqué le recul des monomatières de la collection "Objectif bac" d’Hachette Education, dont les tout-en-un ont néanmoins bien résisté et seront, pour les éditions millésimées, enrichis cette année de vidéos. S’appuyant également sur ses bonnes performances dans la filière ASSP (accompagnement, soins et services à la personne), Hachette Education cible particulièrement cette section en renouvelant ses trois "Top’fiches" et lance au printemps un ouvrage rassemblant 10 dossiers de l’épreuve PSE (prévention santé environnement) spécifique à la filière.
Classiques : renouvelés mais pas bouleversés
Dans un marché stable et moins affecté par la réforme, les éditeurs optent pour des stratégies variées, qui vont du renouvellement complet des concepts à des ajustements à la marge.
Après trois années d’une intense activité liée aux refontes profondes de nombreuses collections, le marché des classiques se stabilise en 2015 en enregistrant, pour la deuxième année consécutive, une progression de quelques dixièmes de point, se fixant, selon GFK, à + 0,6 % à fin décembre. Une stagnation qui constitue tout de même l’une des meilleures performances du parascolaire et qui n’inquiète pas outre mesure les éditeurs. "Avec leurs ventes régulières, portées par la prescription, les classiques restent un terrain sûr, où l’on peut se permettre d’investir sans prendre trop de risques", assure Laurent Breton, directeur du pôle grand public de Magnard.
Stable, le secteur devrait plus ou moins le rester en 2016. Si la réforme touche également les classiques, en supprimant par exemple la liste des livres à lire obligatoirement dans chaque classe et en favorisant l’aspect thématique, elle devrait toutefois engendrer des bouleversements éditoriaux de moindre ampleur. Folio, Larousse ou Nathan ont ainsi choisi d’attendre le second semestre et les premiers retours des enseignants pour lancer une réflexion et réviser les contenus, si le besoin s’en fait sentir. "Nous procéderons à des ajustements du catalogue au fil du temps, plutôt visibles en 2017, explique Séverine Merviel, directrice marketing de Nathan Secondaire. Certains textes changeront par exemple de niveau et nous modifierons également des outils pédagogiques." En 2016, Nathan joue donc plutôt la carte du festif en célébrant les 10 ans de ses "Carrés classiques", un anniversaire qui permettra de jalonner l’année de différents événements promotionnels, qui doivent dynamiser les ventes.
Privilégier le visuel
Engagée en 2015 dans une refonte progressive et très ciblée de ses collections phares "Bibliocollège" et "Bibliolycée", Cécile Labro, directrice parascolaire et pédagogie d’Hachette Education, promet de son côté une "amélioration" du concept né l’année dernière et qui, "éditorialement, allait dans le bon sens". Mais "confrontés à des résultats commerciaux encore insatisfaisants et afin de rendre les livres encore plus attrayants pour les élèves, nous avons mis l’accent sur les visuels, ce qui colle de toute façon aux nouveaux programmes, qui privilégient l’image", détaille l’éditrice, qui publiera cette année encore un nombre modéré de titres ainsi retravaillés. Chez Hatier, Rachel Duc, directrice parascolaire, déploie une stratégie approchante. Digérant la refonte massive des "Classiques & Cie", qui a eu lieu l’année dernière et a permis à la collection, en lui donnant une forte visibilité, de réduire l’écart avec la concurrence, l’éditrice prévoit en 2016 une mise en phase progressive de certains titres avec les nouveaux programmes ainsi qu’une ouverture du catalogue aux recueils thématiques et à la littérature jeunesse et contemporaine.
En revanche, pour Tiphaine Pelé, directrice des "Etonnants classiques" chez Flammarion, 2016 représente un "gros enjeu". Elle profite en effet de la réforme pour faire évoluer l’ensemble des titres destinés au collège, qui composent 65 % de son catalogue, et dont la maquette n’avait pas bougé depuis dix ans. "Avec cette nouvelle mouture, nous allons essayer de répondre à toutes les entrées du programme : le dossier sera aménagé pour apporter plus de visuels et de force graphique, sans toutefois tomber dans le cahier de vacances, et nous mettrons l’accent sur les anthologies et les recueils", détaille Tiphaine Pelé, qui augmentera sa production au second semestre. Par effet de bascule, le programme du début d’année a été allégé. Il est surtout marqué par un ouvrage à destination des lycéens, né des attentats dirigés contre Charlie Hebdo, intitulé Liberté chérie et paru en janvier. Avec cet outil pédagogique conçu pour aborder la liberté d’expression en classe, l’éditrice espère réaliser la même performance que Véronique Jacob, directrice éditoriale de la collection "Folioplus classiques" qui a épuisé le premier tirage de sa Petite histoire de la caricature de presse en 40 images, paru en juin dernier.
Passant toujours à l’offensive pour les classiques, Magnard compte également sur la réforme pour accélérer la cadence et négocier le "tournant" qui devrait conduire la maison à "devenir le deuxième acteur du marché", prédit Laurent Breton. Plus d’une vingtaine de titres sont donc programmés, dont plusieurs dans la collection "Les grands contemporains présentent", lancée en 2015. Ces recueils de textes thématiques, chapeautés par une personnalité forte qui en rédige la préface et participe au choix des textes, "collent parfaitement à la réforme et devraient donner lieu à de bons développements", pronostique Laurent Breton.
Meilleures ventes parascolaires : Hachette et Nathan dominent le palmarès
Comme l’an dernier, le classement annuel GFK/Livres Hebdo des 50 meilleures ventes d’ouvrages de parascolaire est largement dominé pour 2015 par les cahiers de vacances (35 occurrences dans le palmarès) et les œuvres classiques (10 titres classés). Il reflète également la très forte concentration du marché autour d’Hachette et d’Editis, qui réalisent à eux deux 39 des 50 meilleures ventes. Avec 17 titres, dont 11 proviennent de sa célèbre collection "Passeport", Hachette Education parvient à rester en tête mais la maison est talonnée par Nathan, qui place 15 références, toutes issues des révisions de vacances. Parmi elles, 4 émanent de la licence T’choupi, qui reste indétrônable sur le secteur de la maternelle. Egalement indéboulonnable sur la première marche du podium, avec sa Conjugaison pour tous de la collection "Bescherelle", Hatier, autre filiale d’Hachette Livre, place 7 titres, répartis entre les ouvrages de référence "Bescherelle", la collection "Hatier vacances" et les annales complètes du brevet.
Parmi les autres éditeurs, Magnard parvient à se maintenir en installant 5 livres, les mêmes que ceux figurant dans le classement des meilleures ventes en 2014. Seuls les rangs changent : Oscar et la dame rose d’Eric-Emmanuel Schmitt recule de la 7e à la 11e place alors que Art de Yasmina Reza, second classique que la maison place dans le Top 50, progresse de la 45e à la 29e position. Grâce à sa fameuse Méthode Boscher, unique cahier de soutien du classement, qui perd toutefois 12 places pour tomber en 45e position, et à L’Ami retrouvé de Fred Uhlman, 42e, Belin s’arrime également aux meilleures ventes.