Sydney Joseph Perelman aurait pu être anglais. Ce qui, en matière de travel writing et de nonsense, n’est pas un mince compliment. Il est nonobstant né à Brooklyn, en 1904, dans une famille juive d’origine russe, ce qui explique sans doute en partie son humour si particulier et son sens aigu de l’autodérision, qui l’ont fait saluer comme un maître par des experts tels que Woody Allen ou Gore Vidal. Lequel le qualifia "d’écrivain le plus drôle des Etats-Unis depuis… lui-même". Outre son œuvre littéraire, notre homme adapta au cinéma Le tour du monde en 80 jours (oscar du Meilleur scénariste 1956), et collabora à deux petits bijoux des Marx Brothers, Monnaie de singe (1931) et Plumes de cheval (1932).
Durant près de quarante ans, Perelman, mort en 1979, fut l’un des piliers du New Yorker, à qui il livra plusieurs centaines de textes brefs, de courts récits, voire de novellas. Wombat en avait déjà publié, en 2011, un premier florilège, L’œil de l’idole(1930-1948), en voici un deuxième, Un pékin en Afrique, qui couvre les années 1950-1960, période où, selon ses exégètes, son talent atteignit son acmé.
Voici d’abord neuf nouvelles complètement absurdes, où l’on voit, par exemple, le chef Moustique empoisonner un gâteau par négligence et manquer de vigilance en matière d’hygiène : il avait réutilisé, sans la laver, une étamine à fromage ayant contenu des boules de naphtaline ! Ou encore le Pandit Motilal Nehru, père du futur Premier ministre Jawaharlal, échanger avec son blanchisseur parisien défaillant une correspondance totalement surréaliste.
Mais tout ça, ce ne sont que des zakouskis. Le plat de résistance, qui donne son titre au recueil Un pékin en Afrique, c’est la novella finale. Récit des tribulations (kenyanes, surtout) du narrateur, dans l’Afrique des années 1950, donc encore coloniale. Notre Américain essaie de singer les dandys anglais, et de jouer les aventuriers, sans y croire lui-même d’ailleurs : il a la trouille de tout, en particulier des terribles Mau-Mau, que, comme les Tartares, on ne voit jamais émerger de leur désert (du Kalahari). Nairobi, Mombasa, Zanzibar, Lamu, Bura (tout au nord, à la frontière avec l’Ethiopie), on sillonne le Kenya pour des safaris burlesques, on ira même jusque dans l’île de Pemba en compagnie du sultan de Zanzibar, qui se révélera être un sale bonhomme. A la fin, le héros, ex-futur médecin, tentera même de "soigner" Ernest Hemingway, rescapé d’un crash de son petit avion, en lui prescrivant de manger des légumes verts !
Perelman, décidément, ne respectait rien ni personne, même pas les vaches sacrées de la littérature de son pays. Et c’est pour ça qu’il est grand.
Jean-Claude Perrier