21 mars > essai France

« On cherche à retrouver dans les choses, devenues par là précieuses, le reflet que notre âme a projeté sur elles, on est déçu en constatant qu’elles semblent dépourvues dans la nature du charme qu’elles devaient, dans notre pensée, au voisinage de certaines idées. » Proust prévient que l’objet n’est rien sans la subjectivité de celui qui le contemple. A l’occasion du centenaire du premier volume d’A la recherche du temps perdu, Christophe Pradeau - La souterraine (Verdier, 2005) et La grande sauvagerie (Verdier, 2010) - se rend dans le bourg qu’évoque le narrateur de Du côté de chez Swann : Illiers. Ou plutôt Illiers-Combray, depuis que cette ville, pour les 100 ans de la naissance du romancier, a accolé à son nom celui, fictif, de l’endroit des vacances du héros proustien. Bien sûr, la visite de l’écrivain d’aujourd’hui n’a rien d’un quelconque pèlerinage au mausolée de l’écrivain d’hier, même s’il reconnaît des vertus au projet de muséifier la maison de la famille Amiot-Proust. Germaine Amiot, petite-fille de « tante Léonie », la grand-tante grabataire chez qui le « Marcel » de la Recherche passe ses étés, enfant, rachète la demeure pour l’aménager en « maison des souvenirs proustiens ». Pradeau n’ignore pas que toute référence à la « vraie » vie dans une œuvre est oblique ; le filtre de la fiction l’auréole d’une lumière sublimée par la mémoire. Quoi qu’il en soit, il serait absurde de faire abstraction des ciels qui ont fait rêver le futur auteur, l’environnement qui a suggéré les contours d’une œuvre à venir.

Ce tour du propriétaire n’est pas tant une visite guidée par Christophe Pradeau que l’occasion de déployer sa vision du roman - qu’est la littérature sinon l’invention de chimères qui disent la vérité des êtres ? Aux commentaires du spécialiste de littérature il mêle des anecdotes personnelles : dans leur propriété de Corrèze, la plus jeune de ses tantes avait peur du noir comme le petit Marcel espérant avec angoisse le baiser de « maman ». Pan de rideaux ajourés, rampe d’escalier, bouilloire, coin canapé… Tous ces fragments du quotidien, illustrés par des clichés signés Frédéric Leguetteur, sont tels des cailloux indiquant les sentiers vers nos propres impressions de lecture.

S. J. R.

 

 

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