Le mardi 15 mai dernier, en fin de matinée, Mazarine Pingeot a vécu une chose étrange. Invitée à la cérémonie d'investiture du nouveau président de la République, François Hollande, elle a pour la première fois franchi la cour d'honneur du palais de l'Elysée. Elle qui, avec un autre François, son père, n'avait pu en connaître jusque-là que les entrées dérobées. Cette scène, très belle, clôt son dernier livre, Bon petit soldat, journal intime le temps d'une campagne électorale (du 8 janvier, jour anniversaire de la mort de François Mitterrand, aux ultimes échos de la victoire) d'une jeune femme, pour dissiper enfin les ombres de l'enfance. Ce qui pouvait menacer d'apparaître comme un exercice égotiste et redondant dans l'oeuvre de Mazarine Pingeot après Bouche cousue (Julliard, 2005) se révèle finalement un curieux mélange tout à la fois douloureux et allègre, et constitue un exercice pleinement réussi d'élucidation intime et littéraire. Que retenir de ce "work in progress" au désordre fécond ? D'abord que l'humour, dont l'auteure semble généreusement pourvue, est ici la politesse, non du désespoir, mais de la confusion. "Souris puisque c'est grave", >chantait Alain Chamfort. Il y a de ça. Ensuite, qu'il n'est pas de tristesse, de trouble, que ne puisse dissiper la compagnie des livres (et celui-ci se place sous l'invocation tutélaire de Christa Wolf) et mieux encore la possibilité d'aller voir ailleurs si on y est et éventuellement de s'y attendre (très belles scènes que celles de la traversée d'une Espagne noire et éternelle en voiture et en famille, sur la route des vacances et du Maroc). Tout ça pour parvenir à écrire enfin : "Cette campagne vous aura appris que vous n'êtes pas votre père, ni une partie de lui, ni son avocat, ni sa vestale, ni sa porte-parole, ni son sosie, ni sa doublure, ni sa copie ratée, ni sa copie tout court, ni l'enfant cachée, ni l'enfant solitaire, ni le tabou, ni le secret, ni la honte : tout cela est votre histoire. Tout cela vous a définie. Tout cela fait partie de vous. Mais vous êtes autre chose." Oui, une écrivaine.
D'un François l'autre
Journal de bord de l'auteure de Bouche cousue le temps d'une campagne électorale, Bon petit soldat de Mazarine Pingeot dissipe les ombres du passé.