Cybook, Kindle, Kobo, Nook, PocketReader, Sony Reader, etc. : quelle que soit la liseuse qu'ils choisiront, les lecteurs auront sous les yeux le même écran, produit par le fabricant taïwanais E Ink qui vient de boucler le rachat de Sipix, son seul concurrent. L'opération attendait l'avis du gouvernement de Taïwan, qui n'a rien trouvé à redire : la quasi-totalité de ce matériel étant destinée à l'exportation, ce sont les clients étrangers du groupe qui s'en accommoderont, pas les consommateurs locaux.
"Nous n'avons plus du tout de marge de négociation", reconnaît Michael Dahan, cofondateur de Bookeen, concepteur de la liseuse Cybook, dont certains modèles ont été fabriqués avec la technologie de Sipix, inventée aux Etats-Unis, comme celle d'E Ink. Après l'abandon de Bridgestone (Japon) et de Plastic Logic, qui a englouti des centaines de millions de dollars sans jamais pouvoir produire industriellement ses écrans, E Ink disposait déjà d'une position ultradominante sur ce marché. Elle est maintenant sans partage, mais néanmoins pas sans risque. L'activité du producteur dépend étroitement de celle d'Amazon, son principal client, qui se fournit chez E Ink pour équiper son Kindle. Les résultats de l'industriel reflètent ceux des ventes du Kindle.
Au premier trimestre 2012, le chiffre d'affaires d'E Ink a ainsi plongé de 61 %, à 3,84 milliards de dollars taïwanais (101 millions d'euros) par rapport à la même période de l'an dernier, en raison du gel des importations d'Amazon. «Notre principal client s'est montré trop optimiste dans ses prévisions de vente du quatrième trimestre 2011 et a passé trop de commandes", avait expliqué Scott Liu, président d'E Ink. Le groupe fabrique aussi des écrans à cristaux liquides classiques, en concurrence avec de nombreux autres industriels sur cette technologie. Ses marges y sont très inférieures à celles de l'encre électronique, où il a le monopole. E Ink a donc accumulé les pertes, mais espère se redresser avec la nouvelle génération d'écrans éclairés, l'innovation de 2012.
L'avenir des liseuses destinées au seul marché des grands lecteurs apparaît toutefois incertain face aux nouvelles tablettes de 7 pouces en couleurs, vrais machines à (presque) tout faire. Les écrans couleur E Ink ne sont que des prototypes, pas assez performants pour soutenir la comparaison. Devenues tactiles et de plus en plus performantes pour la lecture, les liseuses actuelles en noir et blanc restent encore très lentes dans l'accès à Internet. Les investissements en R&D seront donc déterminants, en fonction des arbitrages : une filiale coréenne d'E Ink possède de toute façon la technologie utilisée dans la tablette Kindle Fire. Et Yuen Foong Yu Paper Group, le papetier taïwanais actionnaire principal d'E Ink, est aussi décidé à profiter de sa filiale pendant qu'il en est encore temps. Cet été, il s'est accordé un dividende en hausse de 50 % sur les bénéfices 2011, la meilleure année de l'histoire de l'entreprise, avec 1,01 milliard d'euros de CA et 171 millions d'euros de bénéfice.