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Edition : les femmes prennent le pouvoir

Olivier Dion

Edition : les femmes prennent le pouvoir

Depuis six mois, les nominations à des postes stratégiques de l’édition concernent, à quelques exceptions près, des femmes de moins de 50 ans. Doit-on y voir le signe d’une salutaire évolution des mentalités ou d’une désertion des hommes d’un secteur moins séduisant ? En plein débat sur l’égalité homme-femme et à la veille de la Journée de la femme, un point sur la féminisation des postes de direction.

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Par Anne-Laure Walter, Souen Léger
Créé le 06.03.2014 à 18h47 ,
Mis à jour le 03.04.2014 à 17h10

"Quand un pays est au fond du gouffre, les hommes se désintéressent du pouvoir et une femme est nommée à la présidence de la République. Prenez la Centrafrique !" plaisante Béatrice Duval qui dirige Denoël depuis septembre 2011, remplaçant Olivier Rubinstein. Derrière cette boutade, un constat. Depuis quelques mois, les postes de direction des maisons d’édition, particulièrement dans les groupes, sont confiés à des femmes âgées de 35 à 50 ans : Véronique Cardi au Livre de poche, Sophie de Closets chez Fayard, Cécile Boyer-Runge chez Robert Laffont, Hélène Fiamma chez Payot & Rivages, Charlotte Gallimard chez Casterman, Emmanuelle Bucco-Cancès chez Harlequin, Anne Assous chez Folio… A elles d’affronter la tempête du marché du livre.

Le secteur de l’édition est traditionnellement féminisé. Aujourd’hui, 83 % des éditeurs sont des éditrices, et à l’échelon supérieur de directeur éditorial, les femmes représentent 74 % des titulaires de ces postes. Il est donc normal qu’au gré des promotions, et en raison de l’étroitesse du secteur, elles arrivent au sommet des hiérarchies. D’autant plus que les femmes, nombreuses à être hyper diplômées avec des doubles cursus, écoles de commerce et édition (75 % de femmes au mastère édition de l’ESPC), attirent les recruteurs.

Le phénomène reste cependant étonnamment récent. Il y a quatre ans, Livres Hebdo faisait une enquête sur les femmes dans l’édition (1) et celles qui occupaient des postes clés étaient souvent soit des héritières, soit celles qui avaient créé leur propre structure. Les grands groupes étaient plus difficiles à pénétrer et elles y étaient rares aux postes de management, à quelques exceptions près comme Nathalie Jouven, Hedwige Pasquet, Teresa Cremisi, Isabelle Magnac, Isabelle Jeuge-Maynart, Catherine Lucet. "Des femmes à des postes de responsabilité dans l’édition, il y en a depuis longtemps, confirme Sophie de Closets qui forme un duo à la tête de Fayard avec Sophie Charnavel, autre trentenaire, directrice éditoriale débauchée en janvier chez Flammarion. La nouveauté, c’est sans doute l’accélération de ce mouvement et le fait que cette féminisation se combine avec un renouvellement de génération." Dans cette conquête des positions de pouvoir par les femmes, les groupes sont des éléments dynamiques, contrairement à certaines structures anciennes au fonctionnement encore patriarcal. Chez Hachette, l’un des pionniers en la matière, on note que "sur les cinq comités exécutifs internationaux, les cadres dirigeants sont pour moitié des femmes".

 

Freins inconscients

Ce mouvement s’amplifie avec l’effet de cooptation puisque l’on s’entoure généralement de gens qui nous ressemblent. "S’il est un peu prématuré de parler de changement de mentalité, on assiste à une réelle évolution. Notamment, la nomination de Sophie de Closets, qui mérite totalement ce poste mais était entourée de messieurs introduits et connus", constate Marie-Annick Flambard-Guy, chasseuse de têtes depuis plus de vingt ans. Lorsqu’elle contacte des candidates potentielles, elle remarque que "si les mentalités ont changé, c’est surtout du côté des femmes qui n’ont plus les freins inconscients que pouvaient avoir les générations précédentes. Elles savent qu’elles sont aussi bonnes que les hommes et font en sorte que les responsabilités leur reviennent".


 

Et la tendance ne fait que s’amorcer. Car ceux qui feront l’édition dans dix ans, perles rares traquées par les DRH, sont souvent des femmes. "Un recruteur d’Hachette m’a fait venir pour un poste de direction. Il était face à un planisphère de l’édition avec des punaises sur les maisons à cibler : les plus grosses évolutions de chiffre d’affaires depuis trois ans. Forcément c’était le poche qui ressortait", raconte une patronne de maison qui se trouve parmi les dix "hauts potentiels" régulièrement contactés. Or ce vivier pour les recruteurs qu’est le poche est tenu, à l’exception de Points, par les femmes.

Même si, à un certain niveau, le pouvoir compte plus que le genre du dirigeant, les conditions de travail en sont transformées. Chez Eyrolles par exemple, la directrice générale Marie Pic-Pâris Allavena "aménage du temps de travail et veille à ce que les femmes ne subissent pas de machisme au sein de l’entreprise". En haut de la hiérarchie, les femmes souffrent moins de misogynie, comme en témoigne Monique Labrune, à la tête des Puf : "Ponctuellement, on a toutes eu affaire à des comportements misogynes mais ce n’est pas notre quotidien." Et comparée à certains secteurs, l’édition est préservée. "Dans le milieu de la finance où j’ai travaillé auparavant, il y avait beaucoup de machisme, j’ai entendu des phrases hallucinantes", se souvient Marie Pic-Pâris Allavena. On vous met beaucoup de bâtons dans les roues. J’en ai tellement souffert que je lutte pour aider les femmes dans leur vie de famille et professionnelle."

La plupart des dirigeantes interrogées n’ont jamais senti qu’on leur bloquait l’accès à des postes. "Le plafond de verre était déjà fissuré, il a fini par se briser, affirme Sophie de Closets à qui on a proposé la direction de Fayard à son retour de congé maternité. C’est une marque de confiance formidable, un signal qui dit aux femmes : "Vous travaillez, vous y mettez de l’énergie, eh bien, vous pouvez progresser dans votre carrière, ce n’est pas incompatible avec votre vie de famille"."

 

Pénurie d’hommes

Cependant, le tableau n’est pas tout rose. Pour Danielle Hubert, chasseuse de têtes chez DH Conseils, ces récentes nominations sont aussi à relier à une pénurie d’hommes dans le métier. "Lors de mon dernier recrutement d’une direction générale, je proposais un homme et trois femmes. Et ils ont choisi une femme car elle était plus compétente et non parce que c’était une femme." Le lectorat est majoritairement composé de lectrices qui priseront plus naturellement ce type de carrière. Et surtout, l’édition pâtit de l’image d’un secteur qui paie mal, en dehors d’une vingtaine de postes de direction, le rendant peu attractif pour les diplômés de grandes écoles. "On nous dit : "Regardez, on promeut des femmes", mais c’est aussi parce que ça coûte moins cher, explique Martine Prosper, secrétaire générale du syndicat national Livre-Edition CFDT. Elles acceptent de lourdes responsabilités mais sûrement pour un niveau de salaire que les hommes n’accepteraient pas." Et alors qu’elles sont très majoritaires dans l’édition, les femmes y sont souvent moins bien payées que les hommes à poste égal (de 6,5 % à 10 % de moins).

 

Effet inverse, la surreprésentation féminine n’est pas sans conséquences. Comme l’explique Martine Prosper, "la mixité est un facteur d’équilibre au niveau des ambiances et des salaires. On le constate, des métiers trop déséquilibrés sont des métiers moins payés". Ainsi, plus que l’ascension d’une poignée de femmes, "la mixité et la parité sont le levier de changement de l’entreprise et du pouvoir", note Annie Batlle, membre du Laboratoire de l’égalité. Selon l’enquête "Women Matter", réalisée chaque année par le cabinet américain McKinsey, les entreprises qui assurent la mixité se montrent même plus performantes. Reste à trouver des hommes. < A.-L. W. et S. L.

(1) Voir LH 810, du 26.2.2010, p. 15 à 18.

Sophie de Closets, Fayard : P-DG, fille et mère

Photo PH. OLIVIER DION

A 35 ans, Sophie de Closets a fait un parcours sans fautes. A la tête de Fayard depuis le 1er janvier dernier, cette normalienne et agrégée d’histoire est entrée dans la filiale d’Hachette en 2004, comme responsable projets. Depuis, elle a gravi les échelons un à un, devenant directrice littéraire en 2010, puis directrice éditoriale en 2013. Nommée P-DG alors qu’elle rentrait tout juste de congé de maternité, la fille de l’écrivain François de Closets chapeaute désormais une entreprise de 40 salariés qui publie quelque 200 nouveautés par an. Une mission qu’elle mène avec la volonté de "faire partager une vision, insuffler un enthousiasme collectif et animer une communauté de gens qui travaillent dans le même sens".

 

Anne Assous, Folio : les codes masculins

Photo PH. OLIVIER DION

"En tant que femme, je n’ai pas ressenti de frein particulier à ma carrière", assure Anne Assous, 46 ans, qui a pris chez Gallimard la direction de Folio, la marque au format de poche, le 1er février, en remplacement d’Yvon Girard. Directrice marketing de Gallimard depuis 2008, cette diplômée de l’Essec a également travaillé chez J’ai lu et Librio de 1995 à 1999. Sceptique quand on l’interroge sur l’existence de méthodes féminines d’exercice du pouvoir, Anne Assous estime que "ce sont avant tout des histoires et des choix personnels". Selon elle, "il y a des patrons qui sont très chaleureux, très attentifs à l’équilibre entre vie professionnelle et vie privée, et des femmes qui le sont beaucoup moins. Ce n’est pas clivé à ce niveau-là, d’autant plus que les femmes qui ont aujourd’hui une quarantaine d’années ont acquis les codes masculins du monde du travail".

Marie Pic-Pâris Allavena, Eyrolles : s’impliquer pour la cause féminine

Arrivée dans la maison d’édition familiale en 2007 comme secrétaire générale, Marie Pic-Pâris Allavena, 53 ans, en est la directrice générale depuis janvier 2009. Sous son impulsion, Eyrolles, maison auparavant spécialisée dans l’édition technique et professionnelle, s’est orientée vers le pratique et le développement personnel. "Je me définis comme étant au service de la famille pour faire en sorte que l’entreprise fonctionne et soit pérenne", explique la nièce de Serge Eyrolles, le P-DG. Confrontée au machisme lors d’une première vie professionnelle dans la finance, cette fille d’industriel, diplômée de l’Essec, tient à s’impliquer, en tant que femme et éditrice, pour la cause féminine.

Monique Labrune, Puf : travailler davantage

Photo PH. OLIVIER DION

Succédant à Alain Morvan, Monique Labrune a été nommée présidente du directoire des Presses universitaires de France en mars 2012. A 51 ans, elle voit dans ce statut "une forme de liberté" lui permettant de "mettre en œuvre des choix éditoriaux sans contrainte". "C’est aussi impulser des orientations éditoriales, accorder une confiance extrême aux gens avec lesquels je travaille et répondre à leurs attentes, précise-t-elle. Une femme patron, ce n’est pas forcément quelque chose dont les salariés ont l’expérience : ça demande des changements d’attitude et il y a plus de proximité par exemple." Ancienne élève de l’ENS, elle a dirigé le département des sciences humaines de Flammarion de 1996 à 2003, avant de prendre en main celui du Seuil jusqu’en 2011. "Les femmes de ma génération ont pris l’habitude de travailler davantage pour être reconnues", confie-t-elle.

Hélène Fiamma, Payot-Rivages : auprès des grandes

Photo PH. OLIVIER DION

Normalienne, recrutée par Monique Labrune chez Flammarion, Hélène Fiamma a gravi les échelons pour finir directrice éditoriale et n’a jamais ressenti au sein de ce groupe "de différences hommes-femmes, contrairement à beaucoup de maisons parisiennes où il y avait d’un côté des hommes directeurs littéraires et de l’autre des femmes assistantes d’édition". En 2010, la quadra s’expatrie à Londres au Bureau français du livre avant d’être recrutée au 1er janvier à la direction éditoriale de Payot-Rivages. "Effectivement, j’ai appris et je continue d’apprendre auprès de grandes patronnes, Teresa Cremisi puis Françoise Nyssen, aux personnalités complètement différentes mais qui, toutes deux, sont extrêmement réactives, fonctionnent à l’instinct." Quant à son rapport au pouvoir, elle affirme : "Un des éléments les plus excitants de la vie professionnelle et que ce poste de directrice me permet d’expérimenter, c’est de travailler avec des éditeurs experts dans des domaines que je découvre et de réfléchir à ce qu’on peut leur apporter."

 

Anna Pavlowitch, J’ai lu : l’inconfort comme moteur

"Le pouvoir n’a de sens qu’au niveau opérationnel", affirme Anna Pavlowitch. Agée de 40 ans, la directrice de J’ai lu a débuté comme prof de philo, puis a quitté en 1999 l’Education nationale pour l’édition, passant chez Maren Sell, Ramsay, Florent Massot, Fayard, avant de se fixer en 2006 chez J’ai lu. Son poste actuel "permet d’aller plus vite, de passer tout de suite en mode projet, de mettre ses convictions à l’épreuve du réel ou plutôt du marché". Méfiante à l’égard des clichés du management féminin, elle reconnaît cependant que "le fait d’être non pas tant une femme qu’une mère divorcée (ce qui est certes le cas d’une femme sur deux à Paris) aforcement aiguisé certaines des qualités requises: la capacité à mettre en place des organisations sans faille, à penser plan B, C voire D en cas de faillite du plan A, la réactivité, la disponibilité, l’autorité, la capacité de projection, de délégation, le désir de créer un lieu qui soit une véritable "maison" pour ceux qui y travaillent et y publient, voire même - allons-y - l’abnégation et le courage. L’inconfort oblige à se dépasser, mais je suppose que cela marche aussi pour les hommes."

 

Béatrice Duval, Denoël : un métier d’intuition

Photo PH. OLIVIER DION

Béatrice Duval, 54 ans, a débuté comme lectrice pour J’ai lu. Elle a ensuite occupé les fonctions de directrice littéraire dans la même maison, puis au Fleuve noir de 2000 à 2006, chez Calmann-Lévy jusqu’en 2009, puis aux Presses de la Cité comme directrice adjointe domaine étranger. "J’ai l’impression qu’être une femme m’a plutôt aidée dans ma carrière car c’est un métier d’intuition et de sensibilité, des qualités que l’on prête souvent aux femmes." Artisane de nombreux succès comme Le diable s’habille en Prada de Lauren Weisberger, Mange, prie, aime d’Elizabeth Gilbert, Robe de marié de Pierre Lemaitre ou Le chuchoteur de Donato Carrisi, elle est nommée fin 2011 directrice-gérante de Denoël. "Pour moi, le pouvoir est le moyen d’agir, de faire bouger les choses, pas un état qui me permet de régner sur un territoire, d’asseoir une domination, explique-t-elle. Je me sers du pouvoir pour agir et je me fiche des titres sur la carte de visite."


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