Ils s'aiment depuis l'enfance et n'ont jamais eu vraiment besoin de se le dire. Entre eux, c'est autre chose. Ils sont inséparables et distants chacun de milliers de kilomètres. Seule la nuit les rapproche. Cette nuit qui est pour eux nécessairement celle de l'indécision du réel. L'un, Ruben, est chauffeur de taxi à Yaoundé. L'autre, Constance, veilleuse de nuit dans un hôtel parisien. La belle affaire. Ce qui les lie, c'est cette enfance bien sûr, entre deux maisons mitoyennes, ce paradis qu'ils n'auraient jamais dû perdre si vite et qui, de ce fait, étend depuis son ombre sur leurs vies. C'est aussi, c'est surtout, la perte, l'absence, le tragique.
Au départ, il y avait donc un homme et une femme, à Paris. Jean-Martial et Catherine. Un noir et une blanche, échec et mat. A l'époque de tous les possibles, de toutes les libérations, notamment pour les pays d'Afrique noire, comme le Cameroun, de l'espoir d'une société enfin démocratique. Jean-Martial, ainsi qu'il convient, est marxiste et militant. Catherine n'attendait que ça. Elle l'aime, d'abord pour cette ferveur dont elle découvre qu'elle est aussi profondément la sienne. Aussi, lorsque Jean-Martial rejoint son pays d'origine pour poursuivre la lutte, ne tarde-t-elle pas à le rejoindre (fut-elle enceinte d'un autre homme, ce qui n'a aucune importance ; les hommes peuvent parfois, juste bien tomber). A Yaoundé, il milite, elle enseigne, leurs enfants s'élèvent donc ensemble, l'espoir de la démocratisation du régime du nouveau président Biya dure le temps d'un soupir. Les années passent, les enfants ont neuf ans et un jour Catherine s'en va sur un chemin de la ville, nul ne la reverra et Jean-Martial goûte aux geôles de la dictature, il y mourra. Pour Constance et Ruben, il ne reste à jamais que des questions, des vides, des visages à interroger sans trêve ni succès. Une vie d'enfants qui attendent à jamais leurs parents dans la nuit.
Ces deux gosses adoptés par la solitude sont les héros de Cette inconnue, le troisième roman d'Anne-Sophie Stefanini. Elle y défriche ses territoires romanesques d'adoption, l'Afrique d'abord, mais avec une grâce et une simplicité qui n'est pas sans rappeler celles des errances également nocturnes d'un autre écrivain de la quête identitaire, Patrick Modiano. Avec ses personnages, elle aussi cherche. Moins une forme qu'une vérité plus puissante que celle de l'Histoire. Celle de l'écriture. Là, incontestablement, elle l'a trouvée.
Cette inconnue
Gallimard
Tirage: 3 000 ex.
Prix: 18 euros ; 224 p.
ISBN: 9782072876714