Livres Hebdo : Avec le prix des lecteurs Pocket en 2023 pour Ce qu'elle a laissé derrière elle d’Ellen Marie Wiseman, traduit par Typhaine Ducellier (15 000 exemplaires d’après GFK), comment Faubourg Marigny, éditeur à vocation d'abord régionale, est parvenu à se positionner comme un acteur du domaine étranger ?
Laury-Anne Frut : Ça montre qu’il ne faut pas se mettre de barrière. La Geste, c’est 400 titres par an, essentiellement régionaux, et c’est une maison très éloignée des structures parisiennes. Je suis seule à l’édito, nous sommes tous des couteaux suisses. J’ai développé un réseau de libraires partenaires, avec lesquels j’échange beaucoup, et un club de lecteurs. Je gère moi-même les réseaux sociaux et les abonnés sont très sensibles à cette proximité.
En France, on a un côté élitiste et on a encore du mal avec le roman populaire au sens noble. J’ai publié des romans francophones, mais ils ont été plus difficiles à placer. Je me suis donc concentrée sur l’étranger. J’avais travaillé sur la série des Sept sœurs de Lucinda Reiley, et je savais que les forces de l’étranger, un texte fini et une revue de presse solide, peuvent contrebalancer les frais de traduction. Finalement, le confinement a montré que l’étranger avait sa place et j’ai misé sur les cessions pour nous faire émerger. Faubourg Marigny a publié une trentaine de livres dont une vingtaine a été achetée par des éditeurs poche. J’ai eu aussi une chance folle : La Geste est distribuée par Dilisco, et les commerciaux me connaissaient grâce à mon poste chez Charleston.
« Les forces de l’étranger peuvent contrebalancer les frais de traduction »
Vous avez débuté comme éditrice chez First, avant de rejoindre la fiction chez Charleston en 2014, puis de prendre la tête de Faubourg Marigny en 2020. Il est rare de passer du pratique au domaine étranger. Qu'en pensez-vous ?
L’intitulé est le même, mais les métiers sont complètement différents et passer de l’un à l’autre est assez difficile. J’ai pu faire le saut grâce à la confiance de plusieurs personnes, en particulier Karine Bailly de Robien. J’ai rencontré le directeur de La Geste, Romain Naudin, en mai 2019. Il souhaitait créer une marque de littérature générale et m’a offert carte blanche, ce qui était très tentant. On a lancé la maison début 2020, l’énergie était folle, et le confinement a été une porte claquée en pleine figure. Rien ne disait que La Geste pourrait continuer à financer l’aventure, mais nous avons réussi à sortir le premier titre en mars 2021.
« En France, être romancier n’est toujours pas vu comme un métier »
Pourquoi avoir choisi de vous concentrer sur le roman historique ?
J’ai cette envie aussi de sortir des cases dans le choix des textes. Ado, j’ai dévoré Harry Potter cachée sous mes draps ! Quand on vieillit, on perd cette capacité à se plonger dans les romans et à oublier le monde réel. C’est ce que je voulais offrir en créant Faubourg Marigny : le plaisir de la lecture, d’oublier les ordinateurs, la charge mentale, les tracas quotidiens. J’adore les gros romans, plonger dans une histoire, et j’adore le roman historique parce qu’il nous apprend plein de choses, même si on sait qu’il y a une part de fiction.
Certains textes sont assez durs et parlent de femmes internées, d’enfant handicapé… mais je veux provoquer des émotions chez les lecteurs. Si je n’ai pas ce plaisir-là à la lecture, je ne publie pas le livre. C’est aussi une façon d’inculquer des choses aux jeunes lecteurs, souvent assez éloignés de l’histoire. Écrire du roman historique est un travail colossal, l’auteur peut passer quatre ans sur un ouvrage. Malheureusement, les éditeurs français ne donnent pas à leurs auteurs la possibilité de faire ces recherches : ici, être romancier n’est toujours pas vu comme un métier. C’est triste.