“Entre les murs”, le making of (2)

Laurent Bégaudeau © Olivier Dion

“Entre les murs”, le making of (2)

Suite de l'interview de François Bégaudeau à l'occasion de la sortie sur les écrans le 24 septembre d'Entre les murs, palme d'or au Festival de Cannes.

Par Catherine Andreucci
avec ca Créé le 15.04.2015 à 22h43

(suite de l'interview de François Bégaudeau)

Comment avez-vous abordé le parti-pris de faire jouer des adolescents qui n'étaient pas des acteurs professionnels, et faire advenir des situations sans dialogues pré-écrits à apprendre ?
Ce qui était intéressant, c'est qu'il y avait tous les schémas. On est en train de préparer l'édition du scénario. A le relire, on se rend compte que l'on a mis en boîte toutes les répliques qu'on voulait. Il ne faut pas exagérer sur l'improvisation. Nous avions demandé aux gamins de jouer des répliques, en leur laissant une marge de manoeuvre lexicale. Sauf quand on voulait créer quelque chose de précis. Par exemple, il fallait que les filles disent à un moment M'sieur, vous pouvez pas nous insulter de pétasses”, pour que la scène avance. Nous avons fait un travail de mise en boîte des répliques, de réécriture des répliques quand elles ne passaient pas dans la bouche, quand le corps n'en voulait pas. Pour quelqu'un qui s'intéresse à la question de l'acteur, j'avais à peu près tous les cas de figure. Réciter un texte, l'improviser, le recracher à sa manière. J'étais aux anges. J'étais chez moi, là.

L'interrogation sur le langage, son utilisation, les affrontements qu'il peut susciter à travers les différents niveaux de langue font partie de votre univers.
Oui, mais finalement, cette question-là que j'avais beaucoup travaillé dans Entre les murs, l'affrontement des langues, le malentendu, venait directement s'incarner dans le travail de direction d'acteur. Vous proposez une phrase à Boubakar. Il tique un peu, mais il la dit mais ça ne passe pas dans son corps. Parce que la langue qu'on lui demande de parler à ce moment là, n'est pas la sienne, ce n'est pas comme ça que lui l'aurait dit. Finalement, au coeur même du travail de l'acteur se rejouaient les problématiques que vous mentionnez. A savoir : on a un peu la langue de son corps, parfois des mots ne passent pas dans certains corps. Je peux demander à Boubakar de dire une phrase dans un français extrêmement soutenu, il le fera sans problème, mais ça ne sera sûrement pas réaliste, ce sera moins fort, moins incarné car son corps n'y sera pas.

Le corps est plus en jeu dans le film que dans le livre.

Je disais beaucoup à la sortie du livre que j'avais travaillé l'oralité, mais dans la conviction intime et parfois mélancolique que je courais après l'impossible. Car par définition, l'oral, c'est ce qui s'incarne. C'est porté par une voix, un ton, un corps, une gestuelle. Et moi j'étais là avec mon petit ordi et j'étais comme un con à essayer de courir après l'oral. Evidemment que je ne le rattrapais jamais. Après, les gens me disaient “si, si tu as bien capté le truc, on entend bien”. Oui bien sûr, je crois que j'ai fait ce que j'ai pu. Mais je savais tout ce qui manquait : tout ce que j'avais vu comme prof ou comme être humain.
15.04 2015

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